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Artistes en voie de disparition

La société canadienne semble ne reconnaître ni la place ni la valeur de l'artiste en ce bas monde. La chorégraphe-interprète Priscilla Guy n'est pas la seule à dénoncer cette réalité et à appeler à une transformation profonde des politiques culturelles et des mentalités.

En prélude à la table ronde sur la reconnaissance et les responsabilités sociales de l'artiste programmée le 25 avril dans le cadre de Recommandation 63, Normand Marcy poursuit sa réflexion écrite en y allant d'une démonstration en règle de la nécessaire et légitime existence de l'artiste. À lire ci-dessous.

Pendant ce temps, en France, le gouvernement Sarkozy tire discrètement la plogue du financement public des arts et du développement culturel. Là-bas, comme ici, l'argument de priorités plus urgentes ne manque certainement pas d'être avancé. Là-bas, contrairement à ici, des groupes forts d'intellectuels se dressent publiquement pour protester et les médias ne se privent pas d'analyses critiques sur le phénomène. Ici, la masse s'enlise dans le consensus mou et la logique marchande et il faudrait sans doute quelque chose comme une révolution pour perturber son doux sommeil. En sommes-nous capables?

Quels échos le Refus Global et la Révolution tranquille pourraient-ils bien avoir dans le contexte actuel? Qui en seraient les artisans et sur quels leviers pourraient-ils peser? Et puisque l'État-providence rend les armes et ne donne pas aux artistes la place qu'ils revendiquent, comment peuvent-ils la prendre, autrement qu'en pleurant, envers et malgré tout?

La question est posée. La tribune est ouverte.

 

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La contribution des artistes dans la société

Normand Marcy

Pour reprendre une fois de plus les mots de Simon Brault, les artistes, dont le processus de recherche pourrait s'apparenter avec à celui des scientifiques, «explorent constamment la psyché humaine et le rapport de l'homme à la nature. Ils sont des éclaireurs aventureux qui partent sans prévenir vers des territoires qui ne nous sont pas encore familiers et qui en reviennent avec des mots, des images, des mouvements ou des sons qui fascinent, inquiètent, questionnent, dérangent, révèlent, émerveillent ou préparent à des changements de perception, quand ce n'est pas des changements sociaux.» (Le Facteur C, 2009, p.42).

Depuis que les êtres humains se rassemblent sous forme d'organisations collectives plus ou moins étendues – et cela ne date pas d'hier – la création artistique s'inscrit comme une composante importante du processus d'adaptation à l'environnement. La création artistique participe, de manière cognitive, à la transmission du savoir. Elle participe – grâce aux entités symboliques développées au fil du temps par l'esprit créatif – à la modélisation d'un monde qui nous échappe constamment. À ce compte: «L'artiste est un créateur scientifique involontaire dans la mesure où, laissant libre cours à son imagination, il invente hors des sentiers battus d'innombrables regards sur le monde qui peuvent donner lieu à de véritables processus d'acquisition de connaissance par génération et vérification d'hypothèses.» (Jean-Paul Baquiast, 2005; tel que consulté le 22/02/10)

Il est désormais notoire que la présence des artistes dans une communauté – ce que Richard Florida (2002) nomme «indice bohémien» – est un facteur de développement et de rayonnement important pour cette communauté. Selon l'étude menée par Florida, les artistes composent une part importante d'une nouvelle «classe créative» de travailleurs. En plus des artistes, on retrouve dans cette classe les ingénieurs, scientifiques, professeurs d'université, architectes, etc. Et celle-ci constitue 30% de la main-d'œuvre (Florida, La Presse, 2002): un travailleur sur trois. C'est-à-dire, un pourcentage non négligeable de l'électorat.

L'impact économique de la culture est également considérable, comme le démontre une récente étude de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (Claude Lafleur, Le Devoir, 2009).  À titre d'exemple, à Montréal seulement, le secteur culturel emploie près de 100 000 personnes et génère près de huit milliards de dollars en retombées directes. Pourtant, malgré ces chiffres significatifs, le salaire moyen des artistes est de 24 400 $ par année, soit environ la moitié moins que celui des travailleurs culturels et des travailleurs des autres industries. Pourtant, même si l'apport de tous les intervenants du secteur de la culture est essentiel, les artistes en sont quand même les principaux acteurs. Or, ils en sont encore les plus pauvres.