La société canadienne semble ne reconnaître ni la place ni la valeur de l'artiste en ce bas monde. La chorégraphe-interprète Priscilla Guy n'est pas la seule à dénoncer cette réalité et à appeler à une transformation profonde des politiques culturelles et des mentalités.
En prélude à la table ronde sur la reconnaissance et les responsabilités sociales de l'artiste programmée le 25 avril dans le cadre de Recommandation 63, Normand Marcy poursuit sa réflexion écrite en y allant d'une démonstration en règle de la nécessaire et légitime existence de l'artiste. À lire ci-dessous.
Pendant ce temps, en France, le gouvernement Sarkozy tire discrètement la plogue du financement public des arts et du développement culturel. Là-bas, comme ici, l'argument de priorités plus urgentes ne manque certainement pas d'être avancé. Là-bas, contrairement à ici, des groupes forts d'intellectuels se dressent publiquement pour protester et les médias ne se privent pas d'analyses critiques sur le phénomène. Ici, la masse s'enlise dans le consensus mou et la logique marchande et il faudrait sans doute quelque chose comme une révolution pour perturber son doux sommeil. En sommes-nous capables?
Quels échos le Refus Global et la Révolution tranquille pourraient-ils bien avoir dans le contexte actuel? Qui en seraient les artisans et sur quels leviers pourraient-ils peser? Et puisque l'État-providence rend les armes et ne donne pas aux artistes la place qu'ils revendiquent, comment peuvent-ils la prendre, autrement qu'en pleurant, envers et malgré tout?
La question est posée. La tribune est ouverte.
***
La contribution des artistes dans la société
Normand Marcy
Pour reprendre une fois de plus les mots de Simon Brault, les artistes, dont le processus de recherche pourrait s'apparenter avec à celui des scientifiques, «explorent constamment la psyché humaine et le rapport de l'homme à la nature. Ils sont des éclaireurs aventureux qui partent sans prévenir vers des territoires qui ne nous sont pas encore familiers et qui en reviennent avec des mots, des images, des mouvements ou des sons qui fascinent, inquiètent, questionnent, dérangent, révèlent, émerveillent ou préparent à des changements de perception, quand ce n'est pas des changements sociaux.» (Le Facteur C, 2009, p.42).
Depuis que les êtres humains se rassemblent sous forme d'organisations collectives plus ou moins étendues – et cela ne date pas d'hier – la création artistique s'inscrit comme une composante importante du processus d'adaptation à l'environnement. La création artistique participe, de manière cognitive, à la transmission du savoir. Elle participe – grâce aux entités symboliques développées au fil du temps par l'esprit créatif – à la modélisation d'un monde qui nous échappe constamment. À ce compte: «L'artiste est un créateur scientifique involontaire dans la mesure où, laissant libre cours à son imagination, il invente hors des sentiers battus d'innombrables regards sur le monde qui peuvent donner lieu à de véritables processus d'acquisition de connaissance par génération et vérification d'hypothèses.» (Jean-Paul Baquiast, 2005; tel que consulté le 22/02/10)
Il est désormais notoire que la présence des artistes dans une communauté – ce que Richard Florida (2002) nomme «indice bohémien» – est un facteur de développement et de rayonnement important pour cette communauté. Selon l'étude menée par Florida, les artistes composent une part importante d'une nouvelle «classe créative» de travailleurs. En plus des artistes, on retrouve dans cette classe les ingénieurs, scientifiques, professeurs d'université, architectes, etc. Et celle-ci constitue 30% de la main-d'œuvre (Florida, La Presse, 2002): un travailleur sur trois. C'est-à-dire, un pourcentage non négligeable de l'électorat.
L'impact économique de la culture est également considérable, comme le démontre une récente étude de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (Claude Lafleur, Le Devoir, 2009). À titre d'exemple, à Montréal seulement, le secteur culturel emploie près de 100 000 personnes et génère près de huit milliards de dollars en retombées directes. Pourtant, malgré ces chiffres significatifs, le salaire moyen des artistes est de 24 400 $ par année, soit environ la moitié moins que celui des travailleurs culturels et des travailleurs des autres industries. Pourtant, même si l'apport de tous les intervenants du secteur de la culture est essentiel, les artistes en sont quand même les principaux acteurs. Or, ils en sont encore les plus pauvres.
J’irai une fois de plus de mon commentaire succinct, légèrement à contre-sens…
Bien que cet argumentaire pro-Arts soit cohérent, sophistiqué et inspiré, je ne peux m’empêcher d’y trouver un élément troublant. Un détail que je tenterai d’élever au niveau d’une certaine vérité. Je m’explique…
Les citations mises de l’avant par Normand Marcy cherchent toutes à inspirer un idéal renouvelé de l’artiste dans sa société, or trois des quatres sources citées ne proviennent pas des artistes! (N.B.: Je ne pointe pas Normand ici, mais bien une réalité qui me paraît toute contemporaine.)
Mon questionnement est celui-ci : est-il possible qu’en 2010 l’artiste ait perdu ses repères au point où il n’est plus cet »éclaireur aventureux », ce »créateur scientifique involontaire »? Est-il possible que notre société de loisirs et de consommation ait mystifié l’Artiste d’une manière si insidieuse qu’il se croit maître d’une oeuvre dont il est désormais l’otage ? Maître sans pouvoir d’une société du divertissement, dont il ne parvient plus à s’extraire, pour renouer avec sa quête ultime de liberté?
En tout cas, pour ma part, je me méfie des citations et des statistiques. (J’ai étudié au HEC ;0)
À méditer en fin de semaine : la liberté me semble débuter là où la référence exterieure prend fin. (Hypothèse à confirmer.)
En toute amitié.
Remarque très pertinente mon cher David.
D’où la nécessité, je crois, de définir une identité de l’artiste contemporain. Et la responsabilité revient tout d’abord aux artistes de nommer et définir leur réalité, afin de pouvoir revisiter cette notion d’identité.
Pour aller dans le sens de ce qui a été soulevé dans votre commentaire, je pose donc une question qui permettra de poursuivre l’évolution de cette intéressante réflexion:
– Quels pourraient être les repères significatifs de l’artiste d’aujourd’hui?
J’aime ça.
Voici donc quelques propositions de base :
1) Intégrité individuelle de l’artiste à l’égard des rôles qu’il tient et de ce qu’il »produit » comme artiste.
2) Persévérance de l’artiste dans l’approfondissement de sa démarche artistique. L’Art et un Artisanat.
3) Volonté de conscience sociale, communautaire et citoyenne, en vue d’être apte à prendre position à l’égard du monde dans lequel il vit.
4) Avoir le courage du dialogue public (sans exclure que ce puisse être uniquement par l’entremise de ses oeuvres) et le respect de ses interlocuteurs.
5) (Et, tant qu’à moi) Sentiment de responsabilité à l’égard de la communauté artistique dans une optique d’approfondissement collectif de l’Art, incluant l’impératif de la transmission des savoirs et des savoirs-faire entre les générations.
Commentaires ?
Bon. Je continue tout seul alors…
Quelques repères significatifs
Version 1.2
1) Intégrité de l’artiste à l’égard de ce qu’il crée. (Ex.: Lorsqu’un artiste veut me vendre de la Mal Bouffe dans une publicité, il érode sa crédibilité d’artiste à mes yeux. Je ne peux dissocier un artiste de l’ensemble de son »oeuvre ».)
2) Persévérance de l’artiste dans l’approfondissement de sa démarche artistique. L’Art et un Artisanat.
3) Volonté de participer au monde dans lequel il vit. Désir d’être conscient de sa société, de sa communauté, de son humanité. (L’utopie inhérente au travail artistique ne va pas de pair avec la misanthropie et le sentiment d’exclusion.)
4) Courage du dialogue avec ses concitoyens (sans exclure que ce puisse être uniquement par l’entremise de ses oeuvres) et respect de ses interlocuteurs (incluant les critiques, bien sûr ;0).
5) Responsabilité à l’égard de la communauté artistique dans une optique d’approfondissement collectif de l’Art (incluant l’impératif de la transmission des savoirs et des savoirs-faire entre les générations).
bonjour David,
sois rassuré.. tu n’es pas seul.
je n’ai pas eu le temps de répondre à ton commentaire, hier, car j’étais occupé à notre table ronde sur la reconnaissance et la responsabilité sociales de l’artiste… ensuite, c’était la dernière présentation des Éprouvettes #1 de cette première fin de semaine de Recommandation 63.
cette table ronde m’a d’ailleurs donné beaucoup de jus pour alimenter notre réflexion.
Version 1.3
1) Intégrité de l’artiste à l’égard de ce qu’il crée.
Commentaire:
Pour aller plus loin en ce sens, je crois même que ce point touche au principe d’autonomie de pensée de l’artiste (prise de position claire). Je vois les artistes, au même titre que les intellectuels, comme des objecteurs de conscience. Dans cet ordre d’idées, j’aurais très mal vu un Jean Baudrillard, tout comme un Richard Desjardins, faire une annonce de Mac Donald, car leur position est clair.
Questions:
Doit-on s’attendre de tous les artistes qu’il aient une position claire face à la société dans laquelle il vivent?
2) Persévérance de l’artiste dans l’approfondissement de sa démarche artistique.
Commentaire:
Hier, lors de notre table ronde, nous avons débattu sur le fait qu’il devient laborieux et stérile de revenir sans cesse sur cette nécessité de définir des terme comme «Art» et «Artiste». Je ne cèderai donc pas à la tentation de te demander de m’expliquer ta conception des mots «Art» et «Artisanat», en sachant très bien que tous ne s’entendent pas sur la même définition de ces termes.
Je soulignerai donc le fait que j’associe l’artiste à une pratique et à une vision du monde singulière, sans tomber dans le piège d’une définition. Je préfère établir des liens…
Questions:
Cette fragmentation des pratiques est-elle encore pertinente et justifiable? De quelle manière rend-elle encore service à l’évolution de notre condition?
3) Volonté de participer au monde dans lequel il vit. Désir d’être conscient de sa société, de sa communauté, de son humanité.
Commentaire:
Hier, certains artistes ont soulevé le fait que le processus de création prend parfois la forme d’une bulle qui nous coupe de la réalité extérieure. Je ne sais pas dans quelle mesure cette conception de la création ne correspond pas encore une fois à la vision romantique de l’artiste.
Je reprendrai un exemple personnel, afin d’illustrer mon propos: le fait d’avoir un enfant à charge me rend responsable 24hrs sur 24 d’un élément extérieur à ma recherche-création et me ramène constamment au fait que je suis responsable face à un autre que moi même.
Cette constatation renvoie alors, selon moi, à un principe de «niveau de conscience» relié à une expérience sensible et concrète: pour ma part, à la paternité.
Questions:
Dois-on faire appel au «niveau de conscience» des artistes, lorsqu’on parle de responsabilité sociale? Si oui, comment faire appel à ce «niveau de conscience»?
4) Courage du dialogue avec ses concitoyens et respect de ses interlocuteurs.
Commentaire:
J’aime le mot «dialogue» que tu emploies afin de décrire un aspect de notre pratique. J’annexerai à cela quelques mots clés: partage, échange, transmission de savoir, déplacement, cognitif.
Pour moi, l’art à une fonction cognitive qui ne peut s’opérer que par un système ouvert d’échange et de transmission de savoir. D’où l’édification d’une connaissance collective par le partage (rhizomique et aléatoire) de l’interprétation des oeuvres (ce qu’Eco nomme «Oeuvre ouverte»). Et que je me plais à nommer la résonance d’une oeuvre.
Cette résonance engendre (on l’espère toujours!) le déplacement des idées conçues et, donc, par extension, des changements d’ordre social.
Tout comme tu l’énonces, ce dialogue avec le public et les médias, doit rester sportif, car tout débat de société (quoiqu’il puisse comporter des placages sévères contre la bande), doit aussi se produire en respectant un certain code d’éthique.
Il s’agit avant tout d’un exercice.
Question:
Au Québec, sommes-nous prêts à laisser de côté une certaines susceptibilité qui nous empêche souvent de concevoir le débat d’idées comme un exercice intellectuel constructif, plutôt que comme une attaque à notre intégrité personnelle?
5) Responsabilité à l’égard de la communauté artistique dans une optique d’approfondissement collectif de l’Art.
Commentaire:
Selon moi, il s’agit ici d’un point fondamental, car tout changement profond et durable commence par soi même. Or, nous sommes souvent les premiers à nous tirer nous mêmes une balle dans le pied.
Je remarque, à travers la réaction de plusieurs, que nous attendons encore la venue d’un messie qui parlera en notre nom et qui nous permettra de vivre par procuration les changements désirés (ou fantasmés). Je ne crois pas au messie, comme je ne crois pas aux vedettes. Je crois aux connecteurs: des gens qui permettent d’établir des liens entre différents domaines, entre différentes idées… entre les gens, afin de que des lieux et des moments de concertation et d’échange soient possibles.
Les artistes sont, entre autres, pour moi, des connecteurs.
Nous attendons trop souvent les situations et contextes «parfaits» avant de s’impliquer et s’engager dans l’action. Nous avons peur de l’échec (mais aussi peur de la victoire). Or, cette vision plutôt manichéenne (opposition bien/mal) est réductrice, lorsqu’on fait référence à un système qui m’apparaît autrement plus complexe: celui de la connaissance, celui de l’existence.
Question:
Concernant ce point, notre première responsabilité serait-elle de reconnaître notre imperfection et notre complexité, et de les voir comme une source positive de réflexion, de création, d’approfondissement et d’action?
L’imperfection ouvre une porte sur l’infini… ; )
Comme j’aime davantage répondre à des questions, qu’en poser… je repars des questions de Normand Marcy, qui sont basées sur sa lecture des »5 repères significatifs » que j’ai suggéré plus haut…
1_ Doit-on s’attendre de TOUS les artistes qu’ils aient une position CLAIRE face à la société dans laquelle il vivent?
RÉPONSE : Non. La clarté vient avec le temps. Mais je crois que les artistes qui sont intègres à l’égard de leur société, méritent l’estime de leur société. À l’heure qu’il est les artistes accusent (comme le reste de la société…) une perte d’idéaux qui se traduit notamment par une perte d’intégrité. L’artiste est souvent un technicien qui vend son travail au plus offrant. Et ce n’est pas ça un artiste, pour moi.
2_ Cette fragmentation des pratiques est-elle encore pertinente et justifiable? De quelle manière rend-elle encore service à l’évolution de notre condition?
RÉPONSE : Lorsque je dis que »l’Art est un Artisanat », je souligne uniquement l’importance de l’assiduité dans le travail. L’assiduité est la seule manière d’atteindre l’approfondissement de quoi que ce soit. Quant à la fragmentation des pratiques – bien que ce soit à peu près inutile – ça demeure, pour moi, une question secondaire.
3_ Doit-on faire appel au «niveau de conscience» des artistes, lorsqu’on parle de responsabilité sociale? Si oui, comment faire appel à ce «niveau de conscience»?
RÉPONSE : J’ai la conviction qu’un artiste qui s’intéresse à sa société, à sa communauté, à l’humanité en général ne pourra faire autrement que d’en rendre compte dans ses oeuvres. On ne peut taire sa sensibilité! L’acte volontaire de l’artiste à ce niveau est donc simplement son intention. Intention de s’intéresser au monde dans lequel il vit, au-delà de sa superficie.
4_ Au Québec, sommes-nous prêts à laisser de côté une certaines susceptibilité qui nous empêche souvent de concevoir le débat d’idées comme un exercice intellectuel constructif, plutôt que comme une attaque à notre intégrité personnelle?
RÉPONSE : Oui. (Sinon, nous vivrons sans espoir.)
5_ Concernant ce point, notre première responsabilité serait-elle de reconnaître notre imperfection et notre complexité, et de les voir comme une source positive de réflexion, de création, d’approfondissement et d’action?
RÉPONSE : Je pense que non. À cet égard, je pense que la première responsabilité de l’artiste en 2010 est de surpasser (l’ère de) l’individualisme. Et c’est ce point que je place en filigrane de l’ensemble de mes cinq propositions. Quant à reconnaître le positif dans l’imperfection, c’est assurément intrinsèque au travail artistique, quel qu’il soit…
À suivre !
À propos du point 3, je suis bien d’accord avec l’idée l’engagement de l’artiste passe par la « VOLONTÉ de participer au monde dans lequel il vit et par le DÉSIR d’être conscient de sa société, de sa communauté, de son humanité ».
Les artistes en danse se réfugient souvent derrière l’excuse de la précarité et du temps passé à gagner sa croute autrement qu’en créant pour ne pas s’engager dans les actions communes pour la défense de leur art. Plusieurs d’entre eux ignorent même la teneur des grands dossiers d’actualité au Regroupement québécois de la danse. Dans ce contexte, il est fréquent que le monde révélé par les oeuvres en danse se résume au nombril de ceux et celles qui les créent, quand ils ne parviennent pas à transcender le personnel pour parler de l’universel. Un phénomène plus particulièrement patent dans la jeune génération.
Ceci dit, j’ai été frappée par la très faible présence d’artistes en danse dans le public très diversifié de cette première table ronde de Recommandation 63. Je me serais au moins attendue à y trouver tous ceux qui ont participé aux laboratoires de création de la semaine et qu’on a retrouvés sur scène une heure plus tard. Me semblait qu’ils étaient invités autant pour la réflexion que pour la création, non ?
Afin de poursuivre cette réflexion déjà très bien amorcée, je partirai de quelques termes qui ont attiré plus particulièrement mon attention, dans la dernière «réponse aux questions» de David Lavoie.
Tout d’abord, une confusion d’origine orthographique est venue brouiller les cartes: j’ai bien cru lire «l’Art et un Artisanat»… et non «l’Art est un Artisanat», dans la version 1.2 de l’énoncé des repères. Un seul «s» manquant et la proposition prend un tout autre sens.
J’ai alors cru comprendre qu’il y avait, ici, comparaison ou division, alors que le sens premier proposait plutôt une inclusion. Sachant ceci, nous sommes donc d’accord sur ce point.
J’aimerais revenir sur cette phrase: À l’heure qu’il est les artistes accusent (comme le reste de la société…) une perte d’idéaux qui se traduit notamment par une perte d’intégrité (David Lavoie, réponse du 26 avril, 22h47).
Je me questionne sur la perte d’idéaux. Y a-t-il perte d’idéaux? Le capitalisme n’est-il pas une forme d’idéal pour plusieurs d’entre nous? Loin de moi l’idée d’affirmer que c’est mon idéal, mais je crois plutôt que nous nous rendons compte, présentement, que les idéaux par lesquels nous avons fonctionné au cours de l’Histoire (communisme, capitalisme) ne comportent pas une solution IDÉALE. Nous constatons plutôt l’échec des idéaux.
Maintenant, cet échec des idéaux est-il responsable du manque d’intégrité de certains artistes (dont David Lavoie parle)? Le lien me semble s’opérer par un raccourci qui me confond un peu, je l’avoue.
Ce que je perçois dans ce propos serait davantage un lien entre manque d’intégrité et valeurs capitalistes. Suis-je dans l’erreur?
Une inconnue s’insère dans le débat..
D’abord, je salue l’initiative de Recommandation 63. Je salue la pertinence des thèmes et l’originalité de la proposition de même que le spectre d’un manifeste qui plane depuis quelques semaines, même si cette idée m’enchante et m’effraie à la fois.
(À propos de l’origine du statut de l’artiste)
Penser le rôle social de l’Artiste, aussi noble soit cette profession, aussi exigent et mystérieux puisse être le geste de création, le rôle social des artistes passe avant tout, à mon sens, par un rôle social POINT, par un souci d’indistinction. En ce sens, je me demande pourquoi, comme David Lavoir l’a demandé via plusieurs médias sociaux, pourquoi les artistes n’ont-ils pas réagi lorsqu’on a applaudi le dernier budget en leur nom?
(À propos d’intégrité et du capitalisme):
À mon sens, l’intégrité est un luxe et l’ampleur des sacrifices qu’elle exige, variable. Elle est à jauger à l’aune (1) de la complexité du regard critique qu’on porte sur le monde et (2) de la condition matérielle immédiate.
Les compromis sont évidents: compromis du temps, compromis de la pureté de l’oeuvre (qui semble ici problématique), compromis matériel… C’est la hiérarchisation des compromis qu’on doit questionner et plus en profondeur, pourquoi on doit faire des compromis. Je n’ai aucun problème avec un artiste qui joue une pub de McDo si l’$ lui permet de travailler davantage sur sa prochaine création. (temps + $)
La perte d’idéaux n’entraîne pas à mon sens la perte du désir d’intégrité, mais en résulte une intégrité à géométrie variable. Et c’est selon l’ampleur de la violence physique ou symbolique à laquelle les individus doivent se soumettre, que le capitalisme globalisé entraîne le piétinement de l’intégrité. Non? Voilà pour les liens entre capitalisme et intégrité.
Cette notion d’intégrité est-elle si pertinente lorsqu’elle favorise les biens-nantis, qui sont, dans le champ des arts : les boxofficeux, les boursières au fonctionnement…. etc.
Si ces «arrangements» pour se maintenir dans le réel me sont compréhensibles, par contre, ne pas se sentir concernée par le politique (Cité) me semble injustifiable.
(À propos des espaces de transmission des savoirs, partage des savoirs):
Et c’est dans ces espaces critiques, permanents ou non, comme l’espace créé par recommandation 63, qu’on peut nourrir le désir de la Cité et nourrir sa compréhension du monde, d’où l’importance de l’art dans la société, d’où l’importance pour l’art de se sortir de l’autonomisation de son champ. L’un ne va pas sans l’autre. Je viens de consulter l’horaire de R63 et la deuxième séance me paraît d’une grande importance. «Recherche fondamentale, mentorat et transmission des savoirs». Ces espaces de partage des savoirs, ces espaces critiques essentiels à la poursuite du monde et qui peuvent s’inscrire dans trois grands axes, i.e., média, art, université (le principe plus que l’institution actuelle), sont au même titre compromises. Ces acteurs subissent les mêmes contraintes et sont tout autant entraînés dans une précarisation de leur condition de travail et de leur liberté de parole.
(À propos de l’espoir)
L’espoir, évoqué ci-haut lorsqu’il était question de la revalorisation du débat et de l’intellectualité, qu’on méprise au Québec, parce qu’être intellectuelle, c’est prétentieux, repose à mon sens sur notre capacité à préserver et dynamiser la vitalité, voire l’existence, de ces espaces critiques, sans quoi aucun changement de cap n’est envisageable. Comment avoir le désir d’une direction quand on ignore où on est?
(À propos d’alliance)
Assez. Pour terminer, je vous fais part d’un de mes rêves les plus fous. Je souhaiterais voir une alliance des espaces critiques. Artistes. Journalistes. Intellectuels. Et de leur communauté respective.
Je serai succinct, pour marquer avec force ma réaction à l’un des énoncés avancé par Emmanuelle Sirois.
Un artiste doit adhérer à tout ce qu’il crée, à tout ce qu’il promeut. Point à la ligne. L’intégrité n’est pas une valeur à géométrie variable. S’il adhère à la malbouffe, qu’il en vende. S’il aime les gros chars, qu’il en vende. Sinon, qu’il gagne sa vie autrement.
C’est mon humble avis.
Réponse succincte très appréciée.
Précision:
Le point proposé par David: «1) Intégrité individuelle de l’artiste à l’égard des rôles qu’il tient et de ce qu’il »produit » comme artiste» me semble terriblement pertinent.
Or, la suite pose problème. On ne vis pas à une époque «moins intègre». Il n’y a pas «perte d’intégrité». Il y a fragmentation, qu’elle soit souhaitable ou non. C’est en ce sens que j’ai choisis «géométrie variable» et non pour appuyer un laxisme ou un relativisme radical.
Et considérant que la «vente de soi» emprunte des visages très subtils, et devient parfois inévitables, je ne favoriserai pas une vision rigide de l’intégrité, car je trouve au final qu’il est souvent question de degré de compromis. Je continue de penser, et c’est aussi une bien humble opinion, que ne pas se salir les mains ni l’âme ni le coeur est facilité par la situation matérielle (je ne veux ouvrir la porte à la déresponsabilisation) et irrémédiablement entravé par la complexité de la critique qu’on porte au monde. J’en appelle tout simplement à une réserve quant aux condamnations.
Du reste, je ne crois pas être en désaccord avec vous.
Du moins, dans l’ensemble.
J’aurais quant à moi envie de parler de sens de l’adaptation plutôt que d' »intégrité à géométrie variable », misant sur le fait qu’un artiste pourrait se « compromettre » dans une publicité, par exemple, tout en restant en accord avec ses valeurs profondes et, éventuellement, en renforçant même son identité artistique selon le produit ou service que la dite pub vend et selon les valeurs que sous-tendent son message.
Un vieil exemple me vient en tête, celui de Philippe Decouflé, en France, qui, dans les années 70/80 a produit une série de pubs très artistiques pour la firme Kodak. Elles ont marqué l’imaginaire français et se sont inscrites de façon harmonieuse dans ses productions audiovisuelles, faisant peut-être même office de laboratoire de recherche pour certaines d’entre elles. À la même époque, Salvador Dali déclarait en gros plan être fou du chocolat Lanvin dans un scénario qui renforçait son image médiatique.
Pour en revenir à aujourd’hui et à la danse, quand je vois des personnalités comme Marc Boivin et Linda Rabin dans des pubs télé pour Radio-Canada, je ne doute pas une seconde de leur intégrité mais me réjouis qu’ils aient fait en quelques heures le salaire de six mois d’un interprète en danse. (RApport à vérifier mais qui ne m’étonnerait pas.)
Petites précisions sur mes propos :
Mon opinion est que l’intégrité totale est LA SEULE position envisageable pour l’artiste. L’intégrité totale consiste à adhérer totalement à ce que l’on fait, à ce que l’on dit, à ce que l’on crée. L’objectif n’est pas du tout d’adopter une posture utopique et rigide. Il s’agit plutôt de prendre acte de ce que l’on fait, toujours et pleinement, pour mieux prendre pied dans le monde, pour continuellement tendre vers le mieux.
Par ailleurs : je ne suis pas contre l’artiste riche, mais j’éprouve néanmoins une très forte empathie pour l’artiste pauvre, amené à partager le sort de »l’homme ordinaire ».
Enfin : oui, à mon humble avis, nous traversons une époque de pertes d’idéaux, et les générations montantes en sont imprégnées. Et si l’on voulait considérer le capitalisme comme un idéal, je tiendrais encore tête, en prétextant que le capitalisme était un idéal il y a vingt ou trente ans, mais pas en 2010. Cela dit, lorsque je parle d’idéaux, je songe bien davantage au bien-être de l’humanité… qu’au bien-être individuel.
Je suis heureux de constater que d’autres se joignent à David et moi pour le débat d’idées.
Au fil de cette réflexion se sont accrochés plusieurs thèmes liés à la responsabilité de l’artiste. Entre autres, celui de l’intégrité semble retenir l’attention.
Je me ferai peut-être une peu l’avocat du diable en soulignant que les mots «totale» et «seule» (tout comme le seraient les mots «vraie» et «parfaite») sont plutôt dangereux à utiliser dans le contexte d’une définition.
David les utilisent avec une conviction qui me dérange, je l’avoue. Car bien que je partage la même opinion que lui, sur l’engagement de l’artiste, je ne crois pas en une «seule» solution «totale» qui règlerait tout d’une manière universelle.
Le problème me semble beaucoup plus complexe, comme l’illustre Emmanuelle. Et les exemples qu’apporte Fabienne (Marc Boivin et Linda Rabin) sont tout à fait pertinents.
Lorsque l’on met de l’avant le concept d’intégrité, ce n’est pas dans le but de demander aux artistes d’être plus purs que le Saint-Esprit. Je crois que c’est pour les amener à être conséquent avec leur propos.
Par exemple, j’entends chialer plusieurs artistes en danse autour de moi, sur le fait qu’ils ne reçoivent pas d’argent des bailleurs de fonds, qu’on ne les diffusent pas assez, qu’il n’y a pas assez de ci, trop de cela, etc.
Pourtant, lorsque l’on organise des tribunes publiques dans le but qu’ils viennent exprimer leurs idées et affirmer leur engagement, ces mêmes chialeux brillent par leur absence.
Pour moi, l’intégrité, ça commence là: tu veux des meilleures conditions = tu participes aux débats, tu prends parole, tu nommes et décris ta réalité, tu défends tes idées, tu apportes des pistes de solutions et tu poses des actions concrètes pour les actualiser. Sinon, tu arrêtes de chialer.
Que certains vendent leur c.. chez M. le Diable ne me dérange pas. Au moins, leur position est clair, dans la mesure où ils l’assument. Je sais où ils se situent par rapport à moi. Ce qui me dérangent le plus, c’est ceux qui me disent une chose, en personne, et qui font tout le contraire en acte.
L’intégrité, selon moi, ça pourrait déjà commencer là…
Intégrité : caractère de ce qui est intègre, d’une probité absolue
Probité : honnêteté, loyauté
Honnêteté : qualité de ce qui est conforme à l’honneur
Honneur : fierté de soi-même, dignité
Excusez-moi, mais votre prédisposition à relativiser le sens de l’intégrité me déprime profondément.
Amitiés.
Tu es trop fort Lavoie…!! ça me fait penser: il faudrait bien qu’on se fasse une petite partie de Scrabble un de ces quatre… (je rigole!)
allez! on se reparle après cette fin de semaine endiablée des Éprouvettes #2, qui commence demain soir à Tangente + table ronde sur la recherche fondamentale, le mentorat et la transmission de savoir (dimanche 13h à 15h).
Au plaisir!
Oui… c’est vrai..
Oui. C’est vrai. Merci. Très enrichissant. Je retiens du débat « courage du dialogue », « transmission des savoirs », «responsabilité à l’égard de la communauté artistique»… Et surtout, merci pour le terme «connecteur.e» que je vais me permettre de le reprendre pour sûr.
Je me demande encore pourquoi le manifeste spécifiquement par ou pour ou sur les artistes plus que l’ensemble des intellectuels (le mot est peut-être mal choisi…) Bref, le monde des médias, le monde des universitaires et le monde des arts, qui partagent, au final, la précarisation de leur condition immédiate, le statut de travailleur atypique, et surtout, l’importance de leur contribution à la vie de l’esprit, l’importance de leur espace de parole et d’expression…
Longue digression sur le thème de l’intégrité…
Peut-être que ma nuance avec l’intégrité c’est une lubie….
Quand j’en ai appelé à plus de nuance avec l’intégrité, j’avais en tête cette histoire du surréaliste (Soupault?) qui s’est fait mettre à la porte de sa gang de surréalistes, parce qu’il ne participait pas assez aux actions politiques. Or, lui, contrairement à celui qui l’a foutu à la porte, n’était pas rentier… Il devait travailler et ne pouvait donc pas faire le compromis du temps. Il dû opter pour le compromis de l’oeuvre. Et dire qu’on retient de sa trajectoire qu’il avait changé son fusil d’épaule. (Lahire, 2008)
(exemple de contextualisation)
Pourquoi le McDo plus que les IGA plus que le resto indien? Pourquoi pas cesser d’acheter les paniers de légumes bioéquitables du marché Jean-Talon cueillis essentiellement par des travailleurs saisonniers d’origine latinoaméricaine, dont les conditions sont catastrophiques?
(exemple de l’inaccessible étoile.)
Je tiens à réitérer que je ne suis pas contre la proposition de l’intégrité comme énoncé de principe! Je suis sensible et dérangé par la posture intellectuelle «totale» «seule» «vrai»..
Je comprends David lorsqu’il condamne l’imbuvable relativisme. Par chance qu’il y a une différence entre relativisme (école de pensée répandue où tout vaut tout et rien ne vaut rien) et relatif à (dont la réalité est à comprendre à l’aune de ).
C’est juste ça ma nuance avec l’intégrité.
Bonne recommandation 63. (d’ailleurs, pourquoi 63.)
Oh sachez aussi que la répétition de mon «oui vraiment» est involontaire. Aucun cynisme!… Aucun déplaisir.
bon! alors juste pour toi Emmanuelle, je me permets une dernière petite intervention… après je file…
la Recommandation 63 provient du Recueil des propositions adoptées par l’assemblée plénière du 26 avril 2009 (RQD / Seconds états généraux de la danse)
Cette recommandation dit ceci:
«Reconnaître que les suites des Seconds états généraux constituent une responsabilité partagée par tous les acteurs du secteur de la danse qui prendront, en fonction de leur capacité d’intervention, les mesures pour que ces suites prennent forme».
Pour terminer, je rajouterais que ton idée de joindre artistes et intellectuels à l’écriture d’un manifeste me plaît beaucoup. Je ne m’étais pas posé la question, parce que cela va de soi pour moi; je n’ai pas peur de me considérer comme un artiste et comme un intellectuel à la fois. Mais je crois que ce n’est pas une conception acquise dans le milieu artistique où j’évolue présentement.
Ta remarque est donc, pour moi, doublement pertinente…
Au plaisir!
Je salue l’initiative de Normand Marcy et sa volonté de ramener sur la place publique l’idée de rédiger un Refus global, disons, prise 2. Il est temps. Pour ce faire, il serait souhaité que l’action ne se limite pas qu’au seul milieu de la danse contemporaine et ne s’engage pas dans un débat stérile, déclenchant les passions acerbes. Cela ne ferait que tuer l’initiative dans l’œuf.
Quelles sont les questions fondamentales qui aujourd’hui refont surgir ce trop plein, cette grande désillusion, cette grande noirceur qui semble revenir nous accabler, cette déception, cette détermination à vouloir voir nos conditions de pratiques professionnelles s’améliorer ? États de faits que partagent nombreux praticiens, artistes actuels, las de veines batailles et de hurlements dans le désert ? Je n’ai nullement l’impression de détenir les réponses. Je souhaite simplement témoigner de mon questionnement survenu sur le terrain à titre de travailleur culturel.
Dans les années 80 et 90, le milieu des arts, d’abord au Québec et ensuite au Canada, s’est attablé à définir et à légiférer sur le statut socio-économique de l’artiste au sein de notre société. Dans un document que publiait la Conférence Canadienne des arts, ABC sur le statut de l’artiste un modèle pour les relations professionnelles dans la nouvelle économie créative, nous pouvons lire le préambule suivant :
« Il existe une école de pensée, en pleine croissance, selon laquelle les modèles économiques des pays développés seraient en pleine mutation. La nature même du modèle, passant d’une économie de type industrielle/grégaire à une économie basée sur l’information ou d’une économie du savoir à une économie créative. En contrepartie, le cadre de la politique publique demeure fermement ancré dans le paradigme d’une économie industrielle/grégaire dans lequel dominent les notions de relation employeur / employé et de carrière chez un unique employeur. Malheureusement, ces concepts sont désuets dans le contexte de l’économie créative.
Dans l’économie créative, un individu peut aisément opter pour le statut de travailleur autonome comme mode de travail, recherchant et retirant des revenus d’une variété de sources et d’activités reliées au processus créatif. De par la nature et la diversité des activités exercées, cet individu doit souvent s’investir dans une éducation continue ou parfaire sa formation professionnelle afin de maintenir son niveau de compétence avec les nouvelles technologies ou les médias pour soutenir ses activités de création et de subsistance.
Le défi confrontant les législateurs et les politiciens consiste à adapter le marché du travail à ces nouvelles réalités tout en encourageant la créativité et l’innovation alors que les transformations menant vers une économie créative sont en cours. Ces changements au marché du travail doivent également tenir compte des secteurs ne répondant pas aux nouveaux modèles, par exemple le secteur manufacturier et le secteur agroalimentaire. Ces défis ont été relevés aux niveaux fédéral et provinciaux, et le gouvernement du Québec a développé une série de mesures formant une politique du statut de l’artiste ».
En réponse à ces batailles d’un passé fort récent, je serais tenté d’affirmer : Grand bien nous fasse. Mais voilà, l’adoption de ces lois sur le statut de l’artiste n’a pas encore résolu la question. Loin de l’école de la rhétorique idéologique européenne et plus près d’une pensée économique américaine, le débat et la législation qui en résulte à porter principalement sur un rapport marchand, souhaitant ainsi répondre à l’urgent besoin de reconnaître les activités professionnelles de nos créateurs et de nos artistes. Ai-je besoin de souligner au trait rouge que l’acte de création est beaucoup plus qu’une relation économique à nos contemporains ?
Parallèlement au Québec, l’école de pensée de François Colbert a fait son œuvre. Nous avons largement discuté les questions artistiques en termes « d’industrie culturelle ». Il ne faut pas en douter un seul instant. Il existe bien ici une industrie de l’art et de la culture de par le nombre toujours croissant de propositions artistiques qui nous sont offertes annuellement et d’un réseau d’équipements culturels dans lequel nous avons investi collectivement des centaines de millions de dollars afin d’implanter des structures de béton. L’apport des émules de l’école des Hautes études commerciales, a bonifié notre professionnalisme d’un point de vue organisationnel et marchand. Mais nous n’avons pas encore assisté à l’éclosion systématique de directions artistiques dans nos centres de diffusion multidisciplinaires favorisant l’épanouissement des disciplines. Ils sont encore trop rares les centres qui effectuent un véritable travail de développement et d’éducation populaire. Heureusement ils existent et des initiatives sont à féliciter. Mais majoritairement nous demeurons dans l’industrie du divertissement. Je n’ai rien contre. Je souhaite simplement plus.
Pour en revenir à l’acte de création, ne nous faudrait-il pas nous remettre à la table de travail et développer davantage cette notion du rôle de l’artiste au sein de notre société, de sa contribution et surtout de la compréhension de nos actions professionnelles par nos contemporains, de nos méthodes de création, des raisons qui nous motivent à se consacrer à cette carrière ?
Bien entendu, notre questionnement sur un statut économique et au cœur de nos revendications, mais à ce jour n’est-il pas d’abord question d’une reconnaissance sociale et du désir d’une manifestation de respect face à la profession ? N’aurions-nous pas un véritable travail d’éducation populaire à effectuer ? Ne sous-estimons pas l’intelligence du public. Sincèrement, je crois que c’est à nous d’entreprendre cette éducation et d’ouvrir les portes de nos ateliers, de nos imaginaires.
Le simple mot artiste est actuellement un mot générique, un mot fourre-tout où se côtoie des pratiques fortes différentes, de la performance pointue à la variété, de la musique savante à la musique populaire, du peintre du dimanche à l’installateur, sculpteur. Ne serait-il pas temps de bien faire la part des choses entre le divertissement des foules et une contribution à l’évolution de l’imaginaire humain universel ?
Pour bifurquer et amener le débat dans une autre direction, je voudrais simplement témoigner du nombre de carrières, de talents qui ont été détruits ici. Effectivement, la pratique et le besoin d’assurer sa survie, le phénomène de l’élimination naturel, du « que le meilleur gagne » exigeant une santé à toutes épreuves et un système nerveux blindé, des nerfs d’acier, des conditions de travail qu’aucun travailleur n’auraient accepté dans quelques profession que ce soit, de la serveuse à l’ingénieur, auront eu raison de plusieurs. N’avez-vous pas, comme moi, été témoins quotidiennement des profondes remises en question de la part de nos artistes, souvent parmi nos plus renommés de toutes disciplines et catégories d’âges confondues ? Combien auront reçu une excellente, une savante formation dans nos meilleures institutions, auprès des meilleurs maîtres et auront été obligés de déclarer j’abandonne n’ayant pu trouver ou maintenir leur niche ? Combien ?
Au fil du temps, au contact de nombreux artistes, je serai venu à considérer que nous délaissons, laissons pourrir une de nos plus grandes richesses naturelles : le talent, le savoir, la connaissance, l’intelligence.
En sommes-nous toujours à un questionnement identitaire ? Quelle est mon identité à titre d’artiste ? Quel est mon rôle ? Quelle est ma place ? Suis-je entendu ? Suis-je compris ? Qu’elle est cette volonté de m’inscrire dans les courants de l’histoire de l’art, de la danse, du théâtre, de la littérature ? À coups sûrs nous contribuons collectivement à l’histoire de notre civilisation marchande et nous éprouvons tant de difficulté à sortir de ce rapport économique, totalement légitime, mais trop souvent réducteur. Nous demeurons à la recherche d’une reconnaissance autre que narcissique, autre que l’idée romantique de l’artiste souffrant dans sa misère. Nous portons le souci d’apporter une véritable contribution à l’intelligence de notre société.
Aurions-nous peur de porter le débat hors de notre milieu artistique ? Le travail n’est plus à faire entre nous. Nous ressassons les mêmes litanies depuis tant d’années. Le Refus global, prise 2, oui en ce sens qu’il nous faudra porter un coup d‘éclat et interroger les pouvoirs publics et nos concitoyens. Comme Marcy, je préconise un Refus Global, mais en une performance collective. Comme dirait une de mes grandes amies : un pont, une route ça se bloque et avec permis de l’ordre public. Je souhaite cette performance sortie de nos tanières, de nos antres théâtrales et de nos lieux de diffusion, de nos espaces réservés, de nos chapelles. Il faut prendre la place publique et créer un grand rassemblement pour sortir le débat d’entre les artistes et réveillés les conscience qui dorment au fonds de leur lit, puisqu’aucune personnalité politique actuelle ne semble comprendre ces enjeux liés au respect et à la reconnaissance que nous souhaitons voir poindre à titre de professionnels hautement spécialisés.
Auparavant, il faudra bien identifier les revendications. Pour avoir pratiqué, côtoyé, pour m’être dédié au développement de l’art en cette société, pour en avoir fait acte de foi, de patience et d’espérance, je sais que la liste de ces revendications est longue et risque d’être confuse à l’image de la complexité de ce débat. Il nous faudra peut-être établir un consensus et déterminer notre dénominateur commun. Les questions les plus simples sont parfois les plus difficiles à cerner. Nous retournerons inévitablement aux questions économiques et aux conditions favorisant le soutien du développement des carrières, puisque c’est de survie professionnelle, de reconnaissance dont il est question. Mais ne faudrait-il pas en amont débattre pour mieux faire saisir nos méthodes de travail afin de bien départager les étapes nécessaires entre la création, la production et la diffusion qui régissent les ressources financières actuellement disponibles aux soutien des pratiques artistiques ? Encore une fois, nous ouvrirons ici tout un autre débat. Est-ce que les programmes de subventions, dans leur cadre de juridiction actuel, répondent toujours à nos besoins ? Ne nous pousse-t-il pas trop rapidement dans des impératifs de production et à la confrontation publique d’un travail en développement ? Et ce public, avons-nous offert les clés permettant d’ouvrir les voies de la compréhension de nos démarches savantes ?
Et puis encore, la concentration des activités dans un marché restreint ? Tout se passe principalement à Montréal et à Québec. La quantité de propositions est si importante lorsque nous observons toutes les disciplines rassemblées ? Le travail n’a pas eu le temps de prendre son souffle, il est déjà retiré de l’affiche. Il vous faudra dès lors viser les marchés internationaux. L’œuvre est-elle suffisamment mature pour cette internationalisation ?
Ne nous faudrait-il pas abonder vers une véritable révolution culturelle et imposer une politique de décloisonnement et de développement à l’échelle du Québec ?
Finalement, pour ma part ce que je refuse de manière globale, et j’y reviens, c’est de voir mourir le talent qui s’est formé dans nos meilleures institutions collégiales et universitaires. En boutade, j’ai souvent questionné, mais pourquoi ne pas fermer quelques institutions de formation si cette niche professionnelle est trop restreinte ? Pourquoi ne pas contingenté ? Arrêtez de nourrir de vains espoirs ! Cela ferait l’affaire de certains qui pourraient abonder en ce sens. Loin de moi cette idée. C’était une boutade. Ce qui est à souhaiter par dessus tout, c’est de voir prospérer un Québec par sa richesse d’imaginaires électrisants à l’échelle nationale et internationale.
Place à l’intelligence, au développement de la pensée ! Non à l’assujettissement, aux règnes des lavages de cerveaux voués à la consommation à outrance ! Non au nivellement par le bas et à la fermeture de nos chaînes culturelles rares voix des intellectuelles, sans mot dire, sans rechigner. Quelques 300 000 personnes signent une pétition pour arrêter le massacre ! Laissons la tempête se noyer dans un verre d’eau, aux dires de la direction. Tout cela pour un remplacement d’un espace musique à gogo, temple supplémentaire du divertissement qui veut nous distraire de nos questionnements. Non à la fermeture de nos institutions pour nous réduire au silence, à la soumission. Place au choc des idées, simplement pour évoluer dans le respect et la compréhension d’autrui ! Place à la redéfinition de nos imaginaires ! Place au partage de nos richesses ! Place au respect du travail de nos pionniers qui ont lutté pour nous, pour faire de nous ce que nous sommes aujourd’hui ! J’ai lu. À leur invitation, je me suis instruit. Je me souviens ! Je me souviens de ces luttes. Il nous faudra sans cesse les renommer. Allez, courage ! Place à l’avant-gardisme ! Place aux artistes, de grâce !
Cher Daniel,
La dernière fois que nous nous sommes parlés, le projet Recommandation 63 n’était encore qu’embryonnaire. Je t’expliquais, avec tout le feu qui m’habitait – et qui m’habite encore – la nature de cet événement qui se voulait un exemple de partage de ressources et d’idées, dans le but de proposer des modèles de recherche et de présentation artistique qui ne servent pas uniquement l’économie de marché. Mais aussi, pour qu’un réel débat public se poursuive entre artistes et intellectuels; entre citoyens.
Les batailles que tu avais jadis menées t’avais épuisé, me disais-tu. J’avais presque perdu espoir qu’un jour tu reviendrais prendre parole à nos côtés. Je trouvais alors dommage de perdre un allié d’envergure et d’expérience.
Ce billet que tu as écris me réjouit donc doublement et je bénis ce qui t’as sorti du silence.
Ce serait, pour moi, un grand plaisir de te faire part du bilan de Recommandation 63, ainsi que d’accueillir ton point de vue sur ce qui pourrait être une suite stratégique à cet événement.
Au plaisir d’échanger quelques idées avec toi!
P.S. tu pourras trouver de la documentation sur R63 en allant sur le site de Tangente et sur mon site Internet.
http://www.tangente.qc.ca
http://web.mac.com/bangdebrut
Bonjour Normand,
Effectivement, lorsque nous nous sommes croisés je te faisais part d’un épuisement d’une manière de faire, d’un travail que j’effectuais sur moi-même afin de me sortir de cette déception, d’un trop grand sentiment d’impatience qui en bout de ligne se résumait en de vaines colères avec lesquelles je ne suis pas en harmonie. Elles semblent pourtant me caractériser. Déception face à un engouement, une volonté trop grande de voir les choses se mouvoir, face à un Québec qui m’invite à m’instruire et qui, par la suite, semble du même coup, me le reprocher ayant de la difficulté à établir ma niche. J’étais à ce moment en pleine réflexion entre l’action militante et le désir de m’approprier un rôle d’observateur externe, d’un analyste.
À titre d’exemple, au moment de notre rencontre, je venais d’essuyer un autre revers. Je revenais dans le milieu de la danse après quelques années d’implication dans le domaine du théâtre. On me reprochait immédiatement d’être trop ambitieux. Je venais de lancer l’idée d’une coopérative de travail et d’habitation afin d’alléger le poids économique des danseurs contemporains. Je recherchais à répondre aux besoins d’un milieu et non d’une chapelle. Mais il fallait bien rechercher des alliés, des appuis. Je m’adressai à quelques personnalités du milieu. Les idées ne sont pas la panacée d’une personne, mais souvent l’expression d’un fait social qui doit naître. Je me retrouvais, sans préparation, en compétition avec un groupe qui était également à se constituer pour ce même objectif. J’avoue avoir mal fait mon travail et agit encore une fois avec impatience et trop d’enthousiasme se résumant probablement, chez les récepteurs, en désinvolture. Cet événement remettait aussi en lumière un passé qui m’a pris des années de réflexion avant de comprendre les enjeux de nombreuses incompréhensions beaucoup trop émotives et où je n’ai jamais réussi à installer la rationalité, tant pour moi, que pour mes antagonistes. Personnellement j’y suis arrivé et la page est tournée, prêt à admettre mes erreurs du moment et accepter le poids des reproches qu’on m’a adressés à tort ou à raison n’étant pas le seul responsable mais au centre de la polémique.
Dans cette histoire de coopérative j’ai vite saisi que ce qui m’importait ce n’était pas le messager mais l’objectif. À la réponse reçue et à l’invitation de retrait dont on me faisait part, je souhaitais effectivement voir prendre le gouvernail du navire par un autre commandant, un joueur plus important. C’est fait. Du moins je l’espère puisque je suis demeuré sans nouvelle. Enfin ! Trêve de petite histoire qui me sont trop personnelles et qui n’aident en rien l’avancement du débat, sinon que d’apporter un éclairage vivant, le reflet d’un milieu dans son quotidien pouvant jeter les bases d’une méthodologie d’analyse dite d’observation.
Je me souviens aussi t’avoir confirmé que je ne prendrais pas part active au débat. De t’avoir dit que je serais là, comme observateur. Voilà, j’y suis. Tu m’avais même adressé une invitation comme panéliste que je déclinai. J’avoue, Normand, prendre un très grand plaisir à lire tout ce qui en ressort, à m’offrir ce recul. À ne pas être dans l’action mais la réflexion. De plus cela ne fait que commencer.
Tu peux être assuré, qu’en retrait volontaire, dans mon monastère heureux de l’étude et de mes tâches quotidiennes, je lirai les suites de tes actions sur ton site Internet ou celui de Tangente. Je mettrai tout en œuvre pour établir les liens et suivre les méandres des nombreuses études soit de l’Observatoire de la culture et des communications ou autres instances publiques qui ont analysé notre champ d’intérêts. Prêt à assumer d’autres erreurs. Je tenterai d’établir ces liens entre ce qui existe, sur les analyses officielles et officieuses de ces luttes et victoires acquises, passées et actuelles, de vos revendications. Je t’en ferai part d’une manière ou d’une autre. Ne serait-ce que pour mon plaisir personnel et le partage d’un très grand souhait : voir la cause artistique ne pas cesser d’évoluer. Voir la profession estimée. Voir notre richesse naturelle qu’est le talent, encouragé et toujours mieux soutenu dans une meilleure compréhension de sa complexité.
Bonne chance Normand !