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Je constate une chose, c'est que pendant longtemps, les fumeurs ont été complètement insensibles aux plaintes des non-fumeurs. Je ne m'en rendais même pas compte, j'avoue, quand on fume, on ne sent pas la fumée, et les fumeurs ont longtemps mis les critiques à propos de la fumée sur le dos d'une certaine moumounerie. Dans le triomphe souvent arrogant des non-fumeurs, il y a aussi une bonne part de vengeance.

On sait maintenant que la fumée secondaire est un vrai problème, argument que même la plupart des fumeurs avouent maintenant ne pas pouvoir réfuter. C'est d'ailleurs le point qui fait la différence avec toute forme de malbouffe. Si mon voisin mange un hamburger aux hormones avec une tranche de gras et de la sauce au sucre, ça ne m'affecte pas du tout.

Certains d'entre vous ont fait valoir qu'on aurait pu quand même avoir des fumoirs séparés. Le problème qui se pose ici est celui des employés. Aucun employé ne doit être contraint à respirer de la fumée. Faudrait donc des employés qui signent comme quoi ils acceptent ce risque, ce qui créerait un précédent. C'est vrai que c'est compliqué. Il faudrait des scaphandriers de fumeurs.

Mais je ne peux pas supporter non plus le ton intransigeant de ceux qui jugent la dépendance à la cigarette pathétique justement parce que c'est une dépendance et ordonnent péremptoirement d'y mettre fin. Justement, une dépendance a en général ceci de particulier qu'on s'y attache. Aussi néfaste puissent-elles être, nos dépendances, nos petits vices structurent souvent nos vies, deviennent des rituels. Je ne suis pas Zen, ne plus être attaché à rien, ce n'est pas mon truc.

Imaginez qu'on interdise le café. Ça aussi c'est une drogue entraînant la dépendance (je ne peux parler à personne avant mon premier café, ça vous dit quelque chose ?) Ça aussi c'est produit par de méchantes multinationales qui exploitent le tiers-monde. Mais je m'égare car je ne veux pas qu'on se mette ici à comparer la nocivité du café par rapport à la cigarette, ce n'est pas le propos (et d'abord, il n'y a pas de « gorgées secondaires »). Je propose juste le parallèle aux non-fumeurs qui seraient caféinophiles pour qu'ils comprennent.

Du jour au lendemain, plus aucun café en public, plus de pause-café, rien. Ça vous frustre ? Voyons, ce n'est qu'une dépendance qui taxe votre système nerveux, augmente vos chances de cancer du foie, vous donne mauvaise haleine, tache vos dents et nourrit les multinationales. Lâchez ça tout de suite au lieu de vous plaindre de la loi.

Mais je me suis demandé s'il y avait eu par le passé une interdiction aussi controversée, une restriction majeure de ce qui avait autrefois été permis et avec laquelle j'ai été d'accord. Et il y a bien un exemple, un grandiose exemple, en fait. La loi 101. Pour le bien commun de la vivacité du français, l'État du Québec a décidé de baliser l'usage d'autres langues que le français. On n'a plus eu le droit d'afficher en anglais. On a exigé que les espaces de travail soient francisés. Ça a bousculé bien des habitudes. Ça a frustré bien du monde. Et je crois que ce fut une des lois les plus importantes du Québec. Ce n'est qu'aujourd'hui, dans mon rôle de fumeur, que je peux un petit peu comprendre la réaction de nombreux anglophones.

Je peux donc enfin admettre que, même si elle me fait considérablement chier, la loi anti-tabagisme est peut-être une bonne chose. J'espère juste qu'elle sera appliquée avec autant de vigueur que la loi 101.