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Un Zapatero pour le Canada ?

Pendant qu'à Montréal, les moteurs de formule 1 enterrent la St-Jean, Stephen Harper est à Québec avec son conseil des ministres. Ça aussi ça fait du bruit. La dernière fois qu'un chef anglophone s'était ainsi invité dans la citadelle, c'était Wolfe, ou presque. Et si à Montréal, on entend les moteurs, à Québec, on entend les freins.

En conférence de presse, le chef conservateur a refusé d'affirmer que le Québec est une nation. Parce que Boisclair et les séparatistes pourraient s'en servir pour briser le Canada. Le Québec est donc une nation conditionnelle. Si elle promettait de ne pas aspirer à plus, ça pourrait aller. Mais tant qu'il y aura la trace d'un rêve d'indépendance, niet.

Pendant ce temps, en Europe, les Catalans ont voté Oui. À 73%. Bon, ce n'est pas pour l'indépendance, ils ont aussi leurs purs et durs là-bas et ceux-ci sont plutôt frustrés par le résultat qui donne une autonomie accrue à la Catalogne à l'intérieur de l'Espagne, ce qui leur coupe un peu l'herbe sous le pied. De plus, la participation a été faible, environ 50%, ce qui prouve que la question ne soulève pas en Catalogne le même psychodrame qu'ici.

N'empêche, le président espagnol José Luis Zapatero s'est personnellement investi dans cette proposition d'autonomie. Il a clairement parlé de la Catalogne comme d'une nation. Chez nous, Harper a beau jouer la carte de l'ouverture au Québec, ça ne va pas aussi loin. Ça reste dans les ententes à la pièce. Et ce n'est pas que le fait des conservateurs. Les politiciens du Canada anglais qui soutiennent devant un auditoire canadien-anglais que le Québec est une nation sont aussi rares que les Montréalais qui disent s'ennuyer du baseball.

Bien sûr, la comparaison ne peut qu'être boiteuse. Le catalan n'a pas en Catalogne l'importance du français au Québec et le mouvement séparatiste y demeure plus marginal que chez nous. Mais ce développement récent dans le rapport entre la Catalogne et l'Espagne renforce une impression que j'ai depuis un bon bout : pour que le Québec devienne indépendant un jour, il faudra des Canadiens pour appuyer la démarche.

Pierre Bourgault s'est souvent questionné publiquement sur l'unanimité canadienne contre le projet d'indépendance du Québec. Il n'avait pas complèment tort, mais il existe quelques exceptions. Sur le site Internet de l'Aut'Journal, l'auteur Robin Philpot nous en présente une, l'urbaniste Jane Jacobs, décédée en avril dernier.

http://www.lautjournal.info/default.asp

Philpot cite madame Jacobs:

Dans son livre de 1979 elle avait écrit : « En somme, Montréal ne peut se permettre de se comporter comme d'autres villes régionales au Canada sans causer un tort énorme au bien-être de tous les Québécois. Montréal doit devenir un centre économique créateur en soi. (.)

Or, il n'y a probablement aucune chance que cela se produise tant que le Québec demeurera une province du Canada. Les banquiers, politiciens et fonctionnaires canadiens, captifs de l'enchantement de l'exploitation des ressources naturelles, des succursales clé en main et des projets technologiques grandioses, ne pourront pas répondre aux demandes économiques très différentes de Montréal. Les croyances et les pratiques partagées au Canada ne changeront pas seulement parce qu'une ville, Montréal, et une province, le Québec, ont un besoin criant de changement. (…)

Comme nous le savons, écrit-elle, la dépendance est débilitante. Sa contrepartie est parfois aussi vraie. C'est-à-dire que parfois l'indépendance libère des efforts de tous genres, dégage des sources d'énergie, d'initiative, d'originalité et de confiance en soi jusque-là inexploitées. C'est l'expérience, par exemple, de la Norvège quand elle s'est séparée de la Suède au début du XXe siècle.

Jane Jacobs a été une exception. Pourquoi ? Je pense que ça a à voir avec l'insécurité identitaire du Canada. Plus cachée, elle est encore plus grande que celle du Québec. Le Canada a encore besoin de nier l'existence du peuple québécois pour se sécuriser. Je reviendrai sûrement là-dessus bientôt. Mais je crois que, pour susciter d'autres Jane Jacobs au Canada, ce n'est plus le temps de déchirer sa chemise à chaque scandale. Ce n'est plus le temps de chercher la discorde. Elle fouette le sens patriotique un moment mais, ultimement, elle implique des conséquences qui font peur. Le moment est venu pour les souverainistes québécois de dire au Canada, en sous-texte : «Allez, tu seras mieux sans moi, sans toutes ces querelles qui n'en finissent plus. T'en fais pas, mon grand, ça va bien aller.».