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Taxons les envahisseurs

Télé-Québec a demandé récemment au CRTC la permission d'augmenter le temps alloué à la publicité dans ses émissions. Encore une fois. Comme son financement gouvernemental s'est fait rétrécir au fil des ans encore plus que la taille des sous-vêtements féminins, il faut trouver des revenus ailleurs…

Et tout ça se passe sans que personne ne s'offusque. Il y aura plus de pauses, c'est tout. Le bon peuple téléphage ne s'en plaint pas et, chez les gens de culture, de toutes façons, on ne regarde pas la télé. Mais ce temps de publicité qu'on augmente allègrement depuis des années, il ne vient pas de nulle part. C'est à nous tous, téléspectateurs, qu'on le vole.

Je me suis loué dernièrement une saison complète des Simpsons, dont j'avais manqué quelques épisodes. J'en ai profité pour écouter les commentaires du créateur de la série, Matt Groening, ainsi que du réalisateur et du scénariste des épisodes. À un moment, Groening explique que, souvent, les moments les plus drôles et les plus mémorables de certaines histoires, c'était justement ceux qui ne servaient pas vraiment le récit, les digressions absurdes, les histoires tertiaires qui reviennent par surprise, les intros tarabiscotées. Mais que, comme le temps alloué à la pub a augmenté (il semble que même le père de la série de dessins animés la plus populaire de l'histoire n'aie aucun contrôle là-dessus) la marge de manoeuvre des auteurs se trouvait réduite et les épisodes en venaient à perdre leur rythme. Je comprenais enfin pourquoi plusieurs épisodes des plus récentes saisons de cette série-culte me laissaient un peu sur ma faim. Une petite minute de grignotée ici et là et toute l'histoire semble précipitée, trop chargée, bousculée.

Certains cyniques me diront que si on considère la piètre qualité de notre télé, voir des émissions stupides interrompues par des pubs stupides est un moindre mal. Et si, justement, ces interruptions continuelles faisaient partie de ce qui empêche notre télé de s'améliorer? Qu'on le veuille ou non, cette machine à images est un des plus importants vecteur de culture. On devrait se soucier du paysage qu'elle forme, de son impact sur les esprits.

Le problème, c'est que si on ne fait que réduire le temps alloué à la publicité, les télédiffuseurs vont crier famine. Pourtant, en multipliant ce temps, on en a réduit la valeur. Le cycle est exponentiel. Il faut donc combler ce manque à gagner.

Les entreprises qui investissent en publicité peuvent déduire ces dépenses de leurs impôts. C'est absurde. On a toutes les misères du monde à aller chercher l'argent là où il est, chez ces corporations dont les profits fracassent des records année après année. Il y a toujours cette menace qui plane: "Vous voulez qu'on paie plus d'impôts? On va déménager!" Mais voilà, ils ne peuvent pas déménager la demande. Les consommateurs québécois n'iront tout de même pas regarder la télé en Chine.

Le temps des citoyens-auditeurs devrait être considéré comme une ressource naturelle. Et nationale. Ceux qui ont accès à ce "temps de cerveau disponible" dixit Patrick Le Lay, de TF1 en France, devraient payer une redevance qui pourrait servir à la culture, entre autres. Comme la redevance sur l'eau. N'importe quel artiste et artisan qui fait aussi des annonces vous le dira, la pub a tellement de moyens que c'en est indécent. Quand des troupes de théâtre et des cinéastes font des miracles avec des bouts de chandelles, la moindre pub de Bell bénéficie de budgets princiers. Allons chercher l'argent là où il est.

On réduit le temps alloué à la pub au quart de ce qu'il est présentement, on le taxe pour en multiplier le prix par six, on redonne aux réseaux exactement ce qu'ils recevaient avant et l'État garde le reste. La télé reçoit le même financement, l'État trouve une source de revenu, le public se fait moins assommer, les concepteurs publicitaires trippent parce qu'ils devront séduire par la qualité et l'originalité de leurs concepts plutôt que par le bombardement, et les créateurs d'émissions arrêtent de se casser la tête pour aller tout le temps à la pause et prennent le temps de développer leurs histoires.

On les verrait quand même, les annonces. Mais elles arrêteraient de nous envahir. Me semble que ça se fait. Si on a arrêté la cigarette dans les lieux publics au nom de notre santé physique, on peut diminuer le temps que la publicité nous enfume l'esprit. Au nom de notre santé mentale…