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Fêtons avec nos Acadiens!

J'ai vraiment été
choqué de la réaction de rejet total par certains indépendantistes (plusieurs
desquels étant par ailleurs des militants respectables et estimés d'une quête
qui est aussi la mienne) à l'idée que les groupes québécois anglophones
"Lake of Stew" et "Bloodshot Bill" puissent chanter en
anglais dans le cadre d'un spectacle secondaire de la fête Nationale du Québec
le 24 juin, dans le quartier Rosemont de Montréal, appelé l'Autre St-Jean.

Dans les deux cas,
on parle ici d'artistes qui s'expriment en anglais, des anglophones natifs de
Montréal, des enfants de la loi 101, qui savent s'exprimer au moins un peu en
français, contrairement souvent à leurs grands-parents ou même à leurs parents
directs. Ils font de la musique et des chansons dans leur langue maternelle,
qui est la langue d'expression chez des familles entières au Québec depuis des
générations. Mais ils ont quand même envie de fêter la "St-Jean", la
fête nationale des Québécois, le jour où les rues deviennent des rivières de
fleurs de lys et que des millers de "frogs" ben saoûls avec leur king
can de Bleue crient "Québec libre, ostie!" à tous les 10 minutes. Ils
sentent pourtant que c'est leur party à eux aussi.

Et puis un jour en
2009, parce qu'ils sont bons dans ce qu'ils font, quelque part dans un comité
formé de Québécois francophones qui aiment faire des shows qui lèvent, on pense
que ça lèverait avec eux dans un party de la St-Jean en mixant ça avec Vincent
Vallières, Malajube, les Dale Hawerchuck et Marie-Pierre Arthur, et on les
invite à faire partie du spectacle. Et ils sont très heureux d'embarquer.

Bien sûr que c'est
d'abord une "gig", une paye, et que ces groupes-là ne roulent pas sur
l'or. Enfin, je ne sais pas pour eux précisément mais on ne parle pas ici de
Simple Plan (d'ailleurs, qu'aurait-on dit dans le cas de Simple Plan? Ils
doivent éviter soigneusement la question…). Et c'est toujours le fun de jouer
devant de bonnes foules.

Mais pour faire
cette gig là, il faut quand-même reconnaître l'occasion qui la porte. C'est à
Rosemont en plus, pas à Beaconsfield. Il faut minimalement avoir du respect
pour ce qui entoure cette fête là, et ne pas reculer devant sa charge de
connotations politiques. Il faut que, quelque part, l'identité québécoise qu'on
célèbre ce jour-là fasse au moins un peu partie d'eux.

D'ailleurs, voir
ce papier à propos de Bloodshot Bill sur le blogue de "Rue
Frontenac": http://ruefrontenac.com/philipperezzonico/6818-bloodshot-bill-fete-nationale

Le Québec en est
là. Des groupes d'anglos ont le goût de fêter la Fête Nationale avec nous, avec
tous les Québécois. Et des francophones ont l'idée de les y inviter. Yeah!
C'est cool en ostie! Vous imaginez une telle chose du temps d'avant le samedi
de la matraque? Quel progrès formidable!

Savez-vous à quel
point c'est précieux que des indivivus d'expression anglophone, natifs d'ici,
en viennent non seulement à reconnaître mais plus encore à vouloir célébrer une
identité au sein de laquelle ils sont linguistiquement minoritaires? Ils sont
nos Acadiens! Ne trouverait-on pas scandaleux, comme franchophone, que des
artistes acadiens ou franco-manitobains soient exclus de la fête du Canada à
cause de la langue dans laquelle leur créativité s'exprime, et ce même si le
Québec ne faisait plus partie du Canada?

Je vous accorde
qu'ils peuvent parfois être des Acadiens un brin arrogants, nos anglos, et plus
connectés sur le reste de l'Amérique qui parle leur langue que sur leurs
voisins francophones. Mais ils représentent la même responsabilité d'ouverture
à une minorité nationale que les francophones représentent envers le Canada partout
en-dehors du Québec.

La plus grande
réussite politique du peuple québécois à ce jour demeure la loi 101. Or même
sous sa première version, la loi de Camille Laurin prévoyait une exception aux
règles d'affichage extérieur dans le cas des commerces à vocation culturelle
liés à une autre langue que le français, comme une librairie anglophone, par exemple.
Les artistes venus d'ici devraient tous pouvoir bénéficier de cette même
sensibilité qui démontrait, et démontre toujours, que le projet
indépendantiste, s'il a été porté historiquement par une majorité francophone,
n'a pas à être craint pour autant comme étant fermé ou exclusif.

Et en passant
qu'est-ce qu'on fait des artistes québécois autochtones de plus en plus
nombreux qui s'expriment dans leur langue maternelle, comme en Innu? On les
confine à leurs festivals locaux ou on les embrasse comme étant Québécois eux
aussi?

Mais là, pour de
l'anglais, on s'objecte. Selon certains, ce serait contraire à l'esprit de la
St-Jean (qui est soudain comme un peu moins la Fête Nationale, on dirait…)
que de permettre à la langue anglaise de venir coloniser jusqu'à notre plus
ardent retranchement de "Nouvelle-France" orpheline, cette belle fête
d'été où nous nous permettons d'être chauvins pour compenser le fait d'être
dépressifs le reste de l'année.

Chers confrères de
lutte, la St-Jean n'est pas une espèce de case sur un grand damier symbolique
où des puissances immémoriales se joueraient une partie de dames entre des
petites langues bleues et des petites langues rouges. C'est un moment de
célébration, un moment qui se partage, un moment de rencontre, de souvenirs de
brosse, de communion. Et mine de rien, c'est aussi une occasion de dire au
monde qui on est. Y'a de la visite à ce party là, aussi, ne l'oublions pas.

Et cette
communion-là ne se fait pas en l'honneur de la langue française. Elle se fait
au nom du Québec, de l'identification que la collectivité québécoise fait
naître chez ceux qui en font partie. Bien sûr que la langue française est
incontournable dans l'existence de cette identité. Mais elle ne se réduit pas à
elle seule. La culture française du Québec n'a pas à être une déesse devant
laquelle les anglophones d'ici doivent se prosterner tous les 24 juin pour
prouver leur allégeance. On ne parle pas de la langue de travail au quotidien
dans une shop ou une boîte d'infographes, on parle d'une fête où tous les
artistes de talent d'ici sont invités à venir pousser leur toune pour fêter ce
que nous sommes. Si c'était la fête de la langue française, je ne dis pas. Mais
là, c'est la Fête Nationale des Québécois. Ces artistes en sont, ils chantent
en anglais, ils sont bons, je les veux dans mon party. Point final.

S'ils ne
s'adressaient pas à la foule en français ou que le show au complet se faisait
en anglais, je trouverais pour le moins que ça manque effrontément de
sensibilité culturelle de la part des organisateurs et des artistes en
question. Mais ce n'est pas de ça qu'on parle. On parle de chansons, donc,
d'oeuvres artistiques, une activité dont personne ne peut dicter le mode
d'expression, pas même la langue. Bien sûr, on applaudit les Jim Corcoran qui
choisissent de créer en français. Mais il ne peut pas y avoir que ça. Je suis
fier que Leonard Cohen soit Québécois. Je suis fier que Montréal soit une ville
créative dans deux grandes langues internationales.

Bien sûr, j'ai
envie que la langue française "gagne" au Québec, qu'elle perdure,
florisse et continue de servir à nous distinguer face au reste du monde et à
nous unir entre Québécois. Et oui, il m'arrive souvent de rager en constatant
qu'elle perd du terrain en certains lieux ou qu'on lui manque de respect (le
service dans les commerces de notre crisse d'aéroport de PET est une insulte).
Mais je n'ai pas envie qu'elle soit imposée mur-à-mur par décrêt jusque sur les
scènes, SURTOUT PAS à la St-Jean (ok, c'est juste plus le fun dire "St-Jean",
je veux encore entendre "Fête Nationale" quand je dis
"St-Jean"). Ce serait une mascarade qui ne reflèterait pas notre
réalité. Comme beaucoup d'autres Québécois, j'écoute tout de même beaucoup de
musique anglophone J'aime quand une oeuvre vient me rejoindre peu importe la
langue, même si ça me rejoint un peu plus profondément quand c'est en français.
Et je trouve très "winner" que des artistes francophones et
anglophones puissent cohabiter sur scène dans un même show et que ça fasse
quelque chose d'assez cohérent et trippant pour faire lever un party. Vous ne
voyez pas à quel point c'est prometteur?

Et vous n'avez pas
idée du message que ça envoie que de vouloir renvoyer ces artistes chez eux le
soir du party. Déjà que les médias anglophones peuvent voir de la fermeture
d'esprit (et souvent pire) de la part des indépendantistes là où ce n'est pas
de ça qu'il s'agit du tout, imaginez ce que ça leur fait quand il y en a pour
vrai. L'ensemble de nos voisins culturels et politiques reçoit alors l'écho
d'une société frileuse et contrôlante qui n'est pas celle dans laquelle je vis.
Ni celle dans laquelle je veux vivre. Je peux comprendre que c'est sans doute
bien plus de l'insécurité que de l'intolérence qui est à l'oeuvre ici.
N'empêche. Notre fête est l'occasion idéale de passer par-dessus.

Parce que ça
s'arrête où, l'insécurité? Les Dale Hawerchuck auraient-ils du s'appeler les
Mario Lemieux? Malajube, c'est dans quelle langue ça? Dans sa
chanson"Tom", Vincent Vallières fait référence à un gars qui écoute
du Metallica, ce serait pas mieux qu'il ait écouté du Offenbach à la place? Et
Marie-Pierre Arthur, je ne suis pas sûr, mais je crois que j'ai entendu de la
guitare hawaïenne sur une de ses tounes. Franchement, quand on a des belles
guitares françaises…

Quand René Lévesque
a changé le nom de la St-Jean Baptiste pour "Fête Nationale", c'est
qu'il voulait faire sortir le canadien-français de l'ethnie, . Nous étions
invités à devenir Québécois, et à le devenir tous ensemble. Ça devenait la fête
de l'identité québécoise.

On nous a parlé
d'intentité territoriale versus culturelle, on nous a dit d'un bord que le
nationalisme ethnique était dangereux et de l'autre que le nationalisme civique
était désincarné. Bien sûr que l'identité Québécoise tire la légitimité de
célébrer en son nom propre précisément du fait qu'elle est est différente,
qu'elle est née dans l'Histoire de la rencontre d'une autre culture, venue de
France, avec ce continent, ses possibilités et ses contraintes. Ça doit se
refléter dans notre Fête Nationale. Mais cette culture habite un territoire où
elle n'est pas toute seule. Elle y est majoritaire mais elle n'y est pas
monolithique. Il faut savoir célébrer ça aussi. C'est vrai maintenant et ce le
sera demain, peu importe de quoi demain sera fait.

Tous ceux qui ont
des racines dans le territoire du Québec devraient donc être invités à se
joindre à cette identité nationale. Puisqu'on s'est lancé le défi de faire de
la fête d'une ethnie (sans aucun sens péjoratif, c'était une réalité
démographique) une vraie fête nationale comme en ont les pays, puisqu'on a
voulu que la St-Jean devienne comme une espèce de pratique annuelle du pays que
nous voulons devenir, il serait peut-être temps de se montrer à la hauteur de
cet idéal. Et, quand on fait partie de la majorité francophone, d'agir en
majorité responsable et confiante. D'autant plus quand on est indépendantiste! Qu'il
y ait des artistes anglos et leurs amis "backstage" à un show de la
St-Jean est une inestimable avancée. Après l'indépendance, tout ces gens seront
encore ici. Déjà que les médias qui s'adressent à eux dans leur langue ont
tendance à les faire capoter sur toutes sortes de scénarios d'apocalypse,
faudrait pas leur donner l'impression que c'est vrai.

Et puis, chez les
indépendantistes, ne regarde-t-on pas souvent de haut les artistes qui décident
de s'aligner à un spectacle de la fête du Canada? Moi, oui, j'avoue, même si je
suis plein de miséricorde si les artistes en question ont la qualité de faire
du stock qui me fait tripper. Mais si les Québécois francophones qui acceptent
de participer à la fête fédérale peuvent être considérés même juste sourire en
coin comme des traîtres à la cause de l'indépendance, que celà fait-il des
anglophones qui acceptent de fêter le Québec? Des traîtres au fédéralisme?
J'vas les prendre, bordel!

Parce que les
vrais artistes ont généralement la capacité de reconnaîtres les vraies Fêtes.
Et le fédéral peut bien continuer de gaspiller des millions, presque seulement
au Québec, pour tenter de nous faire vibrer une corde identitaire qu'on n'a
pas, je prédis qu'un jour le vrai fun va gagner…

Chers collègues
militants qui vous êtes sentis choqués par cette présence de la langue anglaise
dans ce que vous voyez comme votre Fête, je sais, vous avez des fois
l'impression qu'on recule et vous voulez avancer. Mais là, j'ai l'impression
que vous préférez reculer de l'autre bord. Par réflexe, vous me semblez parfois
habités d'une idée du Québec qui est un rêve avorté, que ce que vous cherchez,
c'est de venger le passé, pour retrouver une sorte d'Eden de Nouvelle-France en
Amérique qui n'a jamais vraiment existé.

Mais nous sommes
devenus autre chose. Et ce que nous pouvons devenir encore de mieux, c'est
d'assumer pleinement ce que nous sommes. Un pays francophone avec une minorité
nationale anglophone respectée dans ce qu'elle est, fière de son appartenance à
ce nouveau pays majoritairement français et heureuse d'y vivre, exactement ce
que nous souhaitons à nos frères et soeurs francophones du reste du Canada au
lendemain du Grand Soir. On ne fera pas l'indépendance en allant chercher la
portion acadienne du Nouveau Brunswick, ni en sacrifiant le West Island au
Canada. On va faire le Québec avec tout le Québec et tous ceux qui sont dedans.
Chaque peuple portera ensuite en lui le germe de l'autre, comme le Ying et le
Yang. On devrait tous être un peu plus Zen, là dedans, ça ferait du bien.

Alors, voulez-vous
revenir en arrière ou aller de l'avant? Parce que si vous voulez avancer, je
pense que ce n'est pas de ce bord là. Suivez donc le bord où on a le plus de
fun, vous pouvez pas vous tromper. Le fun va gagner, je vous le dis. Le fun va
gagner. C'est d'ailleurs pour ça qu'André Pratte fait fausse route lui aussi en
exigeant qu'on retire toute connotation politique à cette fête. Cette fête
Nationale tire en grande partie sa "drive" du fait qu'elle est politique,
c'est ce qui lui donne sa tension créatrice. Mais elle est aussi trippante
parce qu'elle est assez festive pour ne pas à être que ça. C'est pourquoi j'acceuille
avec beaucoup d'enthousiasme cette Autre St-Jean qui est aussi un peu la
St-Jean de l'Autre.

Je vous la
souhaite très bonne à tous. And I mean it.

PS: Heille, les boys. Les deux groupes, là,
Bloodshot Bill et Lake of Stew: Un peu de français sur vos sites Internet
SVP?…