BloguesLe blogue de Frédéric Bérard

MENTEUR, EN PLUS

M’était d’avis qu’on avait tout vu. Qu’on pouvait enfin tourner la page. Que tout ceci était un mauvais rêve qui, de manière inopinée, reviendrait hanter nos nuits de temps à autres, sans plus. Que l’Histoire, avec un grand H, le jugerait sévéremment. Nul besoin d’en ajouter. Erreur.

Les avis juridiques sur lequels se basaient le projet de Charte des valeurs étaient, selon toute vraisemblance, inexistants. Dans le sens de n’ont jamais existé, dans le sens de gros mensonge indigne d’un enfant de cinq ans. Celui-là même affirmait, d’une voix semi-autoritaire et empreinte de certitude : «Nous avons la conviction que ce projet-là est constitutionnel. On a des avis qui vont dans ce sens. Mais comme vous le savez, ces avis constitutionnels sont toujours confidentiels, l’ont toujours été et vont le rester.» Donnons-lui au moins raison sur ce point : un avis inexistant demeurera, par définition, confidentiel.

Il a ainsi menti, monsieur le ministre. En pleine face, la nôtre, pendant plus de six mois. On répliquera qu’il ne s’agit certainement pas du premier politicien à se fourcher la langue, ni à fourcher tout court. Évidemment. Sauf qu’ici, on ne parle pas de trucs banals. Ni de politicaillerie bon marché (excusez le pléonasme).  On parle d’un ministre qui, du haut de sa fonction noble, aurait-on souhaité, de ministre responsable des institutions démocratiques, était en charge de faire adopter un projet de loi à la fois dynamite et inconstitutionnel à sa face même. Un projet de loi qui, afin d’assurer maints gains électoraux surfant sur une islamophobie galopante moussée par le gouvernement et son satellite Janettes, en venait jusqu’à amender la pourtant noble et fondamentale Charte québécoise des droits et libertés de la personne.

Oui, vous avez bien lu. La Charte des valeurs, simple loi ordinaire, aurait procédé à la modification de la Charte québécoise des droits, laquelle se situe pourtant au quasi-sommet de la hiérarchie des normes juridiques applicables. Dans l’histoire du Québec, du jamais vu. Malheureux, va. Toute démocratie constitutionnelle qui se respecte s’oblige à mettre les droits civils, notamment ceux des minorités, à l’abri de dérapages alimentés par la saveur du jour. C’est justement ce à quoi sert une charte. Une vraie. Celle qui agit à titre de rempart à l’encontre de politiques homophobes ou pro-vie, pour seules illustrations.

S’il est possible, par le claquement de doigts de quelques excités identitaires nostalgiques de modifier ces mêmes règles du jeu, sans consensus social ou appui de l’opposition, voilà qui la fout mal. Bien mal. Comme disait Camus : « La démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité, mais bien de la protection des minorités ». Il aurait d’ailleurs pu ajouter que les droits de ces mêmes minorités ne sont pas, n’en déplaise, issus d’un buffet chinois. On ne peut y choisir que ce qui nous plaît, que ce qui semble être à l’abri de la vindicte populaire, que ce qui ne peut se qualifier de payant électoralement parlant.

Alors tout ce réaménagement du contrat social et constitutionnel sans…avis juridique ? En fait, c’est faux. Il en avait. Plusieurs. Et d’excellents. Sauf qu’ils allaient quasi-systématiquement à l’encontre des souhaits du ministre. L’avis de la Commission des droits de la personne, notamment. Ou celui du Barreau. Dans ces deux cas, ce cher futur ex-ministre avait déploré, voire dénoncé, leur caractère trop légaliste. Voilà qui a le mérite d’être original : un Barreau et une Commission des droits de la personnes qui rendent dorénavant des avis juridiques trop…légalistes. Gros nono, va.

Ainsi donc, il a menti. Grossièrement. Éhontément. Pendant tout ce temps.

On le savait capable de discréditer une institution, le pouvoir judiciaire, au motif qu’il était temps de mettre fin au « gouvernement des juges », celui-là même qui empêche les apprentis-Duplessistes de violer les droits fondamentaux en toute impunité.

On le savait capable de mettre le feu à la grange en s’inquiétant, sur les ondes publiques, d’une pseudo-islamisation de Montréal, sans bien sûr être en mesure de fournir quelconque preuve à l’appui.

On le savait capable de mousser une doctrine identitaire réactionnaire de quasi-extrême droite, le même ratelier auquel mange depuis longtemps le Front National français, dont le slogan « La France aux Français » s’assimile (sans mauvais jeux de mots) à un slogan souvent entendu aux congrès du parti de monsieur le ministre.  La France, modèle d’intégration vanté par l’ex-boss de l’ex-ministre, rappelons-le.

On le savait capable de tripoter les droits fondamentaux sur la base de fausses prémisses (égalité homme-femme et la neutralité religieuse de l’État), lesquelles visant plutôt à dédouaner la conscience de nos idéologues xénos, trop hypocrites pour assumer leur volonté de mettre au pas toute femme musulmane dite voilée.

On le savait capable de populisme-extrême, mettant sur pied une Commission-bidon où les druides et autres clowns-polyglottes de type Pineault-Caron pouvaient exalter leur insignifiance et racisme en public, devant l’oeil et l’oreille manipulatrice dudit ministre.

On le savait capable de mettre en place un mécanisme de consultation publique des plus loufoques et populistes, soit l’envoi de courriels, lequel remplacerait les études scientifiques habituellement requises devant les tribunaux.

On le savait capable d’instrumentaliser les propos racistes d’une pauvre personne âgée qui l’est tout autant, Janette Bertrand, afin de poursuivre l’opération du « à soir, on fait peur au monde » ignorant toutefois, ô ironie, que son public cible craignait davantage le référendum que l’Arabe. Faut dire qu’il a déjà eu rendez-vous avec le premier.

On le savait capable de patenter, ô apprenti-sorcier, un nouveau contrat social, aux fractures assumées, à la division avouée. Le Nous contre l’Autre. Et n’oubliez pas de voter pour celui-ci (le Nous, pas l’Autre, ducon).

Alors maintenant, on sait davantage. Menteur. En plus.