BloguesLe blogue de Frédéric Bérard

MARIO BEAULIEU OU LA CHRONIQUE D’UNE MORT ANNONCÉE

 

L’élection de Mario Beaulieu à la tête du Bloc Québécois fait sourciller. Euphémisme. Le parti de Bouchard et Duceppe, vraiment ? Le mouvement souverainiste ne pouvait trouver mieux, plus crédible, plus leader, plus rassembleur ? Aucun ministre déchu du gouvernement péquiste précédent ne s’est laissé tenté par ce job jadis prestigieux ? Paraît que non. M’est d’avis que ceci est sinon révélateur, au moins symptomatique d’une déchéance convenue, d’une mort annoncée, aurait écrit Garcia Marquez. Peut-on, sérieusement, croire qu’un Bloc mené par Beaulieu réussirait à (re)séduire un électorat ayant principalement déserté au profit du NPD ? Mulcair contre Beaulieu ? Hum.

 

Je rejoins cela dit, et pour une rare fois (bonheur d’occasion), les propos de Mathieu Bock-Côté : les critiques quant au style, look et autres apparences de Beaulieu sont inutiles, insidieuses. Paraît que nous avons les dirigeants que l’on mérite. Bien possible. Mais encore faudrait-il, de ce fait, porter davantage attention aux idées qu’à l’allure de celui qui les avance. Plus de fond, moins de forme. Évaluer nos hommes et femmes politiques du fait de leurs actions, tout simplement. De ce qu’ils ou elles produisent politiquement. Au-delà de la donne médiatique, de l’image, du clip, du sondage, de sa participation à Infoman, la Poule aux oeufs d’or ou, pourquoi pas, à Occupation double.

 

Non, le problème avec Beaulieu, justement, ne découle pas des apparences de ce dernier. Plutôt de ces idées et actions, précisément. Folkloriques, écrivait récemment l’ami Marissal. Pas en désaccord, bien que le terme choisi est d’une politesse propre au chroniqueur de La Presse. Alors idées folkloriques, disons. Celles-ci semblent bien étayées par le parcours assumé de l’ex-président de la Société Saint-Jean-Baptiste. Faute de temps, d’espace et d’envie, loin de moi la volonté d’en faire la nomenclature. Un truc, par contre, a attiré mon attention, soit cette vidéo, laquelle fut apparemment retirée du trafic au lendemain de l’élection de Beaulieu http://www.youtube.com/watch?v=J1js44nxRGE. Un visionnement rapide permet aisément de comprendre pourquoi.

 

Si le nouveau chef du Bloc souhaitait se dépeindre tel un dino linguistique, il n’aurait pas choisi mieux. Peut-on, un seul instant, imaginer Parizeau, Bouchard, Duceppe ou Boisclair à la tête d’une telle mascarade loufoque ? Peut-être l’auto-proclamé patriote Landry (qui a d’ailleurs appuyé la candidature de Beaulieu), mais les autres chefs du Bloc ou PQ ? Pense pas, non. Pas fort sur l’idée d’invoquer la mémoire des morts, alors je passerai outre celle de Lévesque. Mais voyez ce que je veux dire.

 

Que Beaulieu se projette en bouffon linguistique, grand bien lui fasse. En autant, ceci dit, qu’il se garde dorénavant une petite gêne lorsqu’il sera tenté, à titre de chef du Bloc, de parler au nom des Québécois.

 

Ce qu’il y a de plus désespérant de cette vidéo, ceci étant, est le propos anti-anglo et, sous-entendu, le fait que le régime fédéral canadien empêche un affichage commercial français total au Québec, notamment à Montréal.

 

Il ne vaut que peu ou pas la peine de s’arrêter sur le premier, c’est-à-dire le propos anti-anglo, celui-ci démontrant par lui-même la faiblesse de l’argumentaire de Beaulieu et ses sbires (« John James Charest ! » « Non à Lévi’s ! (prononcé à l’anglaise), oui à Lévis ! (prononcé à la française) ». Bref, en termes d’auto-ridiculisation, difficile de faire mieux.

 

Le deuxième point, toutefois, mérite discussion. On peut évidemment souhaiter un visage français pour Montréal (j’en suis), et assurer toute vigilance nécessaire à ces fins (j’en suis aussi). À croire qu’un Québec indépendant en viendrait à protéger miraculeusement le fait français (j’en suis…pas si sûr). À tout événement, ceci ne peut amener un droit absolu à dire n’importe quoi et n’importe comment, à faire fi des faits. De l’histoire et du droit.

 

Une légende québécoise se veut particulièrement tenace : celle blâmant la Charte canadienne des droits, et conséquemment Trudeau, pour l’invalidation de la section de la Loi 101 portant sur l’affichage unilingue français. Rien n’est plus faux. Bref rappel des faits, l’histoire débutant par l’arrêt Ford, celui-là même assassiné par la vindicte populaire.

 

D’abord, l’article 58 de la Charte de la langue française (ou Loi 101) a été invalidé non pas de l’application de la Charte canadienne des droits, mais bien de la Charte québécoise. Et pourquoi ? Simple. Parce que la Charte canadienne, justement, ne pouvait trouver application en l’espèce. Et pourquoi ? Parce que l’Assemblée nationale avait adopté, aux lendemains du rapatriement de la constitution, la Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982. Celle-ci avait dès lors pour effet d’éviter l’assujettissement de toute loi québécoise aux articles 2 et 7 à 15 de ladite Charte canadienne. La Cour suprême, au contraire de la Cour d’appel du Québec, a reconnu la validité de cette même loi faisant un usage bulldozer, on l’a compris, de la clause dérogatoire.

 

Ainsi donc, seule la disposition relative à la liberté d’expression de la Charte québécoise était, dans cas qui nous occupe, en jeu. La question qui se posait devant la Cour : la liberté d’expression inclut-elle, explicitement ou implicitement, la liberté d’expression dite commerciale ? À court de jurisprudence canadienne, la Cour s’est ainsi tournée vers les…États-Unis, le tout afin de conclure par l’affirmative. On considère ainsi, basé à la fois sur la Charte québécoise et la jurisprudence américaine, que l’article 58 de la Loi 101, en excluant toute autre langue que le français en matière d’affichage, violait la liberté d’expression prévue à même la Charte québécoise.  Rien à voir, par conséquent, avec la Charte canadienne ou le spectre trudeauiste.

 

Restait toutefois à savoir si la violation en question pouvait se justifier eu égard à l’article 9.1. de la  Charte québécoise, qui permet que les droits soient aménagés restrictivement pour mieux s’épanouir dans une société libre et démocratique.

 

La Cour conclut : « En fait, dans son mémoire et dans ses arguments oraux, le procureur général du Québec n’a pas tenté de justifier l’exigence de l’emploi exclusif du français…[…] Alors qu’exiger que la langue française prédomine, même nettement, sur les affiches et les enseignes serait proportionnel à l’objectif de promotion et de préservation d’un « visage linguistique » français au Québec et serait en conséquence justifié en vertu des Chartes québécoise et canadienne, l’obligation d’employer exclusivement le français n’a pas été justifiée. …[…] En conséquence, nous estimons que la restriction imposée à la liberté d’expression par l’art. 58 de la Charte de la langue française ne résiste pas à un examen fondé sur le critère de la proportionnalité et ne reflète pas la réalité de la société québécoise » (nos soulignements).

 

Insatisfait de la décision Ford, le gouvernement Bourassa applique la clause dérogatoire prévue à la Charte québécoise (et renouvelle celle afférente à la Charte canadienne) afin d’infirmer ladite décision. Mal lui en pris. Quelques anglos-québécois iront porter l’affaire jusqu’au…Comité des droits de l’homme des Nations Unies ! Oui, vous avez bien lu. Les requérants prétendent ainsi que l’usage des clauses dérogatoires vient ainsi mettre un frein à une liberté fondamentale pourtant prévue aux deux chartes applicables sur le territoire québécois.

 

Après analyse, le Comité des Nations Unies arrive à la conclusion que les dispositions québécoises sur l’affichage et les raisons sociales violaient la liberté d’expression prévue à l’article 19 du…Pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel le Canada et le Québec sont parties. C’est seulement après cette décision du Comité, laquelle semble d’ailleurs avoir été radiée de l’histoire québécoise, que l’Assemblée nationale revint sur ses pas et se conforma à ladite décision et adopta le régime d’affichage linguistique encore en vigueur aujourd’hui, grosso modo.

 

 

Morale de l’histoire ? N’en déplaise à Mario Beaulieu, le Canada et sa Charte n’y sont pour rien quant au visage linguistique québécois afférent à sa politique d’affichage. Les grands responsables, si on peut dire, sont plutôt la Charte québécoise et, dans une mesure similaire, les instruments internationaux de protection des droits. Bien sûr, on pourra répondre que la Cour suprême, suppôt du fédéralisme canadien, a rendu la décision Ford. Mais que répondre à la légitimité du Comité des droits de l’homme des Nations Unies ? Fait-il également partie d’un vaste complot mondial visant à réprimer le fait français au Québec ? Permis d’en douter. Par voie de conséquence, et à moins de plaider qu’un Québec souverain plaquera la hache à même la Charte québécoise, qu’il reniera les engagements d’ordinaire acceptés en matière de droit de l’homme, que sa Cour suprême se distanciera de la jurisprudence classique au niveau international, nous en sommes à conclure ceci : le visage linguistique québécois demeurera, indépendance ou non.