BloguesLe blogue de Frédéric Bérard

COURTE LETTRE À PETER MACKAY

Bonjour Peter,

 

Tu ne me connais pas. Et vice-versa. Quittes, ainsi donc.

 

Je me doute que tu as hâte d’entendre parler d’autres choses. Mais comme aurait dit Coluche, ce n’est pas nous qui avons commencé.

 

De prime abord, j’ai crû à une blague. De très mauvais goût, il va sans dire, mais une blague quand même. Tu sais, celle qu’on peut échapper parfois en Chambre lorsque le baromètre tend à grimper, merci à l’opposition. Mais j’ai compris que tel ne fut pas le cas. Que tu aurais même reconfirmé lesdits propos par la suite, dans cette même Chambre, à froid: « Les femmes sont trop liées à leurs enfants pour devenir juges ».

 

Quand même. Avoue. En 2014, Peter. 2014. Bien qu’habitués aux folies de ton gouvernement en termes de violation à l’État de droit et autres propos homo sapiens, les juristes canadiens t’ont rapidement sauté à la gorge pour ces mêmes propos. Les femmes, surtout. Et tu sais quoi ? Elles ont bien raison. C’est un peu comme si tu vivais sur une autre planète, Peter. Une autre galaxie, en fait, serait sans doute plus exact.

 

Comme ministre de la Justice, dis-moi, franchement, tu n’es pas sans savoir les contributions majeures des juges femmes, notamment celles de la Cour suprême, n’est-ce pas ? Tu te souviens de la juge Wilson, dans Morgentaler et Daigle ? De L’Heureux-Dubé dans Baker ? D’Arbour dans Canadian Foundation ? Et j’en passe des tonnes et des tonnes. Tu me diras que l’ensemble des décisions précitées est venu instaurer (imposer, dirais-tu) des mesures de gauche, mais quand même. Et dis, Peter, tu savais aussi que l’actuelle Juge en chef était une…femme ? Bien sûr que oui. Tu sais aussi, les quelques exemples ci-haut en témoignent d’ailleurs, que les magistrates ont fortement contribué à l’évolution du droit au pays, à bon nombre de mesures qui n’eurent été d’elles, seraient peut-être encore, sait-on, en gestation. Alors c’est quoi cette connerie ? D’où sortent ces propos misogynes, déconnectés, voire simplement débiles, Peter ?

 

Et tu sais quoi, aussi ? Ton commentaire, quand on y pense est aussi excessivement offensant, et je pèse mes mots, pour les hommes. Oui, Peter. Penses-y deux secondes. Quel est le sous-entendu de ton propos ? Moi, je vois celui-ci : que les hommes sont nécessairement moins liés à leurs enfants que ne le sont les femmes. Difficile d’y voir autre chose. Tu rajoutais il y a quelque jours, toujours sur le même ton suave, que « les femmes changent les couches, les pères forment les leaders ». Franchement, Peter. Come on. On dirait que tu sors tout droit d’un épisode des Filles de Caleb. Ah, laisse tomber.

 

Tu t’en fiches, avec raison d’ailleurs, mais j’ai une petite fille de douze ans, Peter. Un enfant né dans les normes de la société actuelle (du moins la mienne). Enfant désiré, longue relation, l’amour et tout. Bon, elle n’est pas baptisée (doux Jésus, t’entends-je dire) et sa mère et moi n’étions pas mariés (re-doux Jésus), mais sinon, tout va bien, rien de plus normal. Et tu sais quoi ? Je m’en occupe depuis toujours. Garde partagée et tout le tralala.

 

J’ai par conséquent sacrifié une carrière dans les grands bureaux d’avocats montréalais pour être avec elle, ce dont je ne regrette rien. Ma fille serait donc, en date d’aujourd’hui du moins, le produit de sa mère et son père, j’ose croire à parts égales. Je te dirais que la plupart de mes amis juristes pourraient prétendre la même chose. Tu me suis, Peter ?

 

Le cas échéant, ça m’a fait plaisir, et surtout du bien. On se reprend à la prochaine pelure de banane. Je te laisse pour l’instant. Ma fille m’appelle.

 

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