BloguesLe blogue de Frédéric Bérard

Des villes sécuritaires

Nous étions tous Charlie. Même Netanyahu. C’est dire. À la défense de la liberté d’expression, quasi coûte que coûte. Une valeur. Le droit de dire des trucs désagréables, choquants, provocateurs, parfaitement irrévérencieux. Des caricatures de type Charlie Hebdo, par exemple. Seule limite canadienne : l’incitation à la violence.

Débarque ensuite l’imam Chaoui, lequel souhaite ouvrir un centre communautaire à Montréal, histoire de propager sa bonne nouvelle. Un diplômé de Laval (l’université, s’entend). Des propos, abjects à souhait, rapportés par La Presse : les femmes devraient avoir un tuteur. La démocratie est une honte, une blague, les gais et athées pouvant être élus comme parlementaires (imaginez un député athée et gai-la poisse). Chaoui s’objecte néanmoins à l’interdiction de conduire pour les femmes saoudiennes. Cette mesure, dit-il, aurait pour effet de les forcer à prendre le transport en commun et, de ce fait, se frotter aux hommes !

Voyez le genre. Propos dégueulasses. Moyenâgeux. Homophobes et misogynes. On s’entend là-dessus (j’espère, du moins). La population s’insurge. Pour avoir participé à des lignes ouvertes sur le sujet, j’en sais quelque chose : on n’en veut pas du monde de même, ici. S’il n’est pas content, qu’il retourne dans son pays (mais s’il vient d’Anjou, madame, on fait quoi?). Tutti quanti.

Le bon maire Coderre, toujours à l’écoute de la moindre voix électorale, entend le message : y’en aura pas, d’imam Chaoui, dans ma ville. Que le permis ait préalablement été autorisé, on s’en fiche. On adoptera, à la hâte, un vague règlement de zonage afin d’interdire dans ce secteur de HoMa tout centre communautaire du type.

Grand libéral, monsieur le maire tend à rassurer les défenseurs de libertés civiles (et surtout le vote musulman) : ma décision n’a rien à voir avec la liberté d’expression ou de religion. Il s’agit plutôt d’une question de sécurité. Chaoui est un fomenteur de troubles sociaux. Ah bon. En vertu de quoi, monsieur Coderre ? D’un propos. Un propos qui étonne, qui dégoûte, certes, mais un simple propos. Ce qu’on appelle, rappelez-vous Charlie, la liberté d’expression. Aucun règlement de zonage, monsieur le maire, ne peut réprimer celle-ci. Votre règlement, adopté dans l’unique but de faire taire le propos de Chaoui, est inconstitutionnel. À sa face même. Ne vous en déplaise, une municipalité, aussi importante soit-elle, ne bénéficie d’aucun pouvoir permettant d’attaquer de front le discours de quiconque, même impopulaire. Un règlement doit être impersonnel et fondé sur des critères précis, objectifs.

On comprend la récupération politique, vous en êtes d’ailleurs un as, la nécessité de démontrer au peuple votre capacité de « mettre vos culottes ». Le problème en l’espèce, monsieur Coderre, est que vous avez mis les culottes de quelqu’un d’autre. Celles du fédéral.

Lisez l’article 319 du Code criminel, par exemple. Tout y est. Vous souhaitez faire condamner Chaoui ? Alors déposez la plainte pertinente au poste de police le plus près de la mairie (et envoyez un communiqué de presse sur le sujet, suis sûr que les médias vous y accompagneront – d’une pierre deux coups).

Le problème, par contre, sera pour vous de démontrer que Chaoui en a appelé à la violence contre un groupe identifiable. Dégueulasse, le propos de l’imam ? Oui. Mais appel à la violence ? Pas certain. Pas sûr du tout. Surtout si on considère que Chaoui refuse l’importation de la charia au pays et incite ses ouailles à respecter les lois canadiennes (ce qui inclut, au demeurant, le Code criminel).

Aucun recours légal contre l’iman radical, donc ? Je sais. C’est moche. Mais tant et aussi longtemps que Chaoui ne franchira pas cette ligne marquée qu’est celle de l’incitation à la haine, rien à faire. La règle de droit ne peut, monsieur le maire, être instrumentalisée aux fins politiciennes. On ne peut exercer un pouvoir public non fondé sur cette même règle de droit. En d’autres termes, pour le citoyen, tout ce qui n’est pas interdit est permis. C’est comme ça. Et je vous soumettrais, avec respect, que c’est tant mieux.

L’autre problème, monsieur Coderre, est que vos culottes ont fait des jalouses. D’autres villes et arrondissements vous imitent, maintenant. Hier Shawinigan, aujourd’hui Outremont. Et on va encore plus loin : les mosquées y sont dorénavant interdites, toujours au motif d’un quelconque règlement de zonage prêt-à-porter.

Un clair sophisme : 1) les propos d’un imam sont dangereux 2) les propos des imams sont habituellement prononcés dans les mosquées 3) celles-ci constituent donc des lieux de culte dangereux 4) mettons nos culottes.

Ce néo-dérapage découle, fallait s’y attendre, de la prémisse suivante : une limitation patentée de la liberté d’expression, voire de religion,

Vous répondez, et votre homonyme Labeaume est d’accord là-dessus, que ce discours est dangereux. Peut-être. Alors faudrait faire taire tous ceux et celles qui tiennent ce genre de discours rétrograde, malsain, mon’oncle. Et qui prêchent à leurs ouailles respectives. Par commencer par le Cardinal Ouellet, grand boss québécois de l’église catholique. Celui-là même qui refuse l’avortement pour toute femme ou adolescente violée. Oui, messieurs les maires, je poursuivrais votre opération de nettoyage discursif avec lui. En adoptant un règlement de zonage lui enjoignant de fermer ses églises. Nos villes seraient, faut croire, davantage sécuritaires.

Twitter : @F_Berard