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Développement durable: Une approche stratégique.

On célèbre cette année le vingtième anniversaire du Sommet de la Terre qui s’est tenu à Rio de Janeiro, en tenant à nouveau une conférence internationale sur le développement durable dans cette même ville (Rio +20). En préparation à cette nouvelle conférence, l’Université Yale a accueilli, les 24 et 25 mars 2012, un sommet citoyen Canada/États-Unis sur cette question. Voici un compte-rendu de notre blogueur qui a participé à ce sommet préparatoire.

            Contexte

Le Sommet de la Terre, en 1992, a réuni des représentants de presque tous les pays du Monde, dont plus d’une centaine de chefs d’États, afin de discuter d’environnement et de développement. Cette conférence a abouti sur plusieurs textes, dont l’Agenda 21 (plan d’action sur le développement durable) et la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, laquelle a pavé la voie au Protocole de Kyoto en 1997.

Pour plusieurs, le Sommet de la Terre a été un franc succès, ne serait-ce qu’en raison d’une mobilisation jusqu’alors sans précédent autour du concept de développement durable. Malheureusement, les choses se sont quelque peu gâtées depuis : on pense notamment aux pays qui ont refusé de ratifier le Protocole de Kyoto (par exemple les États-Unis), mais surtout au Canada qui s’en est retiré en décembre 2011. La perte d’enthousiasme s’est aussi fait sentir lors des dernières conférences (Durban, Cancun et Copenhague) au cours desquelles on a cherché, en vain, à s’entendre sur les modalités d’une seconde période d’engagement du Protocole de Kyoto (la première période arrivant à terme cette année). Dans cette optique, il est crucial de repartir du bon pied avec Rio +20.

À cette fin, un regroupement d’académiciens et d’ONG s’était donné rendez-vous les 24 et 25 mars 2012 à l’Université Yale, à New Haven au Connecticut, pour un sommet citoyen canado-américain sur le développement durable. Soulignons au passage qu’un des principaux instigateurs de cet événement est québécois (Sébastien Jodoin, étudiant à Yale).

Ce sommet visait à identifier des outils, des ressources et des approches communes pour la société civile de ces deux pays sur la question du développement durable. Considérant l’absence flagrante de volonté politique qui caractérise actuellement les négociations internationales en cette matière – et surtout, sur la question des changements climatiques – c’est à la société civile qu’il revient de mener l’assaut, si l’on veut que les prochaines rondes de négociation débouchent sur des engagements concrets.

Or, un tel combat est très difficile. D’abord, parce que les questions de développement durable sont très complexes, et que les bénéfices qui en découlent sont souvent moins visibles que les coûts d’implantation. Ceci affecte doublement la volonté politique : premièrement, parce qu’un trop petit nombre de citoyens se mobilise en faveur d’un développement durable souvent trop flou; ensuite, parce que dans le doute, les politiciens vont favoriser la composante économique de ce principe au détriment des composantes environnementale ou sociale, afin de gagner des votes auprès d’un électorat qui cherche surtout des emplois et de la croissance économique. Notons d’ailleurs à ce sujet qu’il n’existe pas encore d’indicateur général du développement durable pouvant rivaliser avec le produit intérieur brut : il est donc plus difficile de parler de développement durable que d’économie.

Par ailleurs, les problèmes de gouvernance et de transparence que l’on retrouve dans plusieurs démocraties (dont la nôtre) contribuent à retarder la mise en application de principes de développement durable. En effet, de puissants groupes peuvent, derrière des portes closes, faire fléchir les gouvernements sur certaines questions opposant leurs intérêts économiques à la protection de l’environnement. À l’inverse, lorsque tout est public, on augmente les chances que tous les points de vue soient entendus et que le meilleur soit retenu.

Solutions

Le sommet de Yale a permis d’identifier certains principes devant guider la société civile dans ce combat. En voici quelques-uns :

La rigueur – Lorsque l’on veut convaincre nos dirigeants, il est nécessaire de conserver un très haut niveau de crédibilité, notamment en reconnaissant les limites de la connaissance scientifique. En effet, il existe toujours un certain scepticisme à l’égard de l’impact de l’homme sur l’environnement, surtout en matière de changements climatiques. Dans un tel contexte, la moindre erreur dans la thèse de ceux qui militent en faveur de la protection de l’environnement sera utilisée afin de discréditer l’entièreté de cette thèse.

C’est malheureusement ce qui s’est produit il y a quelques années avec le quatrième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) : celui-ci a essuyé plusieurs critiques parce que l’une de ses conclusions portant sur le rythme de fonte des glaciers de l’Himalaya n’était pas suffisamment solide. Le GIEC aurait dû reconnaître cette faiblesse  pour donner plus de poids à ses autres conclusions; malheureusement, en prêtant le flanc à la critique sur cet aspect spécifique, il a miné la crédibilité de l’ensemble de ses travaux.

La présentation du message – En plus de maintenir une rigueur absolue au plan scientifique, la société civile doit aussi trouver de meilleurs moyens pour véhiculer son message. Les mémoires de 400 pages (plus annexes) sont certes utiles pour convaincre des académiciens, mais pour rejoindre le grand public il faut une campagne publicitaire bien menée. Le message doit être simple et attrayant.

Rallier plutôt que dénoncer – Lorsque l’on cherche à sensibiliser la population sur un enjeu tel que les changements climatiques, il est préférable d’adopter une approche conciliante envers les différents groupes de la société que l’on veut rallier à la cause en ciblant de manière spécifique l’objectif à atteindre (réduction des GES), plutôt que de s’attaquer à tout comportement que l’on trouve répréhensible. En effet, il sera difficile de rassembler la masse critique nécessaire si l’on attaque de manière générale des groupes particuliers (par exemple, les banlieusards).

Dans un même ordre d’idées, il faut aussi éviter de donner une connotation morale à ces enjeux : la consommation à outrance, bien qu’elle contribue de manière importante aux changements climatiques (principalement par le transport de marchandises), ne doit pas être stigmatisée si l’on veut rallier à la lutte aux changements climatiques ceux qui passent leurs samedi dans les centres d’achats. À l’inverse, la réduction des GES n’est pas une question de vertu, mais plutôt une question de survie.

En fait, à l’échelle individuelle, c’est même souvent une question de choix : si je prends mon vélo pour aller travailler alors que mon voisin prend sa voiture, je suis principalement motivé par le plaisir que j’éprouve à faire du vélo et par les économies que je réalise en ne prenant pas ma voiture (essence et stationnement). Il serait évidemment préférable que mon voisin soit redevable du coût de son impact sur l’environnement à travers une taxe sur le carbone. Il n’est toutefois pas opportun de montrer son comportement du doigt. Ce n’est pas un crime que d’émettre du CO2.

Une approche stratégique

Les solutions proposées lors du sommet de Yale ne sont certes pas nouvelles. Cela dit, elles témoignent d’une attitude plus réaliste face aux problèmes environnementaux, d’une société civile qui s’aperçoit qu’il ne suffit pas d’énoncer de grands principes pour que ceux-ci deviennent réalité. C’est une approche qu’on pourrait qualifier de « stratégique », qui cherche à rallier ceux qui polluent plutôt que de leur tenir tête. En espérant qu’une telle approche porte fruit.