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Dépêche de Tokyo : La gouvernance collaborative en environnement

La dernière dépêche de notre envoyé spécial à la 3ième conférence du Earth System Governance Project, qui se déroulait la semaine dernière à l’Université des Nations Unies à Tokyo, nous arrive aujourd’hui suite à un long voyage Tokyo-Québec.

 

Dans mes dépêches précédentes sur la gouvernance de l’environnement, j’ai parlé de l’importance stratégique de bâtir des coalitions d’acteurs ayant des raisons différentes de s’intéresser aux questions environnementales, de la nécessité d’adopter une approche holistique pour comprendre et gérer les interactions complexes entre les systèmes écologiques, sociaux et économiques et enfin du rôle de l’apprentissage dans l’élaboration des politiques publiques. Dans cette dernière dépêche de la conférence du Earth System Governance Project à Tokyo, je vais conclure en traçant les grandes lignes d’une approche que la littérature académique anglophone décrit comme la nouvelle gouvernance (« new governance ») qui découle des idées que j’ai présentées plus tôt cette semaine.

Alors que la gouvernance traditionnelle s’effectue par l’exercice des pouvoirs de commande et de contrôle par des autorités publiques centralisées, la nouvelle gouvernance met plutôt l’emphase sur la collaboration entre les acteurs de la politique publique, incluant les autorités étatiques, les citoyens, les parties prenantes et les entreprises, dans l’élaboration des politiques ainsi que sur la flexibilité dans leur mise en œuvre.

La notion de collaboration implique l’instauration de mode de prise de décision qui cherchent réellement à encourager la participation des parties prenantes et à entretenir un dialogue productif avec ceux-ci. En misant sur la collaboration, la nouvelle gouvernance  peut ainsi permettre aux décideurs d’identifier des gains d’efficacité, de cerner des opportunités d’innovation et de s’assurer que toute nouvelle politique soit réellement adaptée à sa problématique cible. Par ailleurs, des expériences en psychologie sociale démontrent clairement que plus les gens ont le sentiment que leur identité (comme citoyen, bénéficiaire d’un service, membre d’une communauté ou employé) est valorisé, plus ils vont accepter de faire des sacrifices pour le bien commun et aller au-delà de leurs responsabilités ou obligations élémentaires. Ainsi, le rôle que joue la collaboration dans la promotion de la coopération volontaire des individus et entreprises permet de réduire les coûts du contrôle et de la supervision des systèmes de gouvernance.

La notion de flexibilité signifie que l’on privilégie la mise en place d’incitatifs sociaux et économiques pour influencer les acteurs de la société à adopter des comportements positifs pour l’environnement. En laissant la liberté de choix aux individus, la nouvelle gouvernance vise à instaurer les conditions leur permettant de faire de meilleurs choix. La mise en place d’incitatifs a deux avantages principaux par rapport à une approche règlementaire traditionnelle du haut vers la bas. D’abord, ces incitatifs sont normalement moins coûteux  de manière globale que la mise en place d’un système de contrôle s’appuyant sur la règlementation et la surveillance. Il est moins coûteux à long terme de s’assurer que les citoyens décident volontairement de protéger l’environnement, plutôt que de les obliger de le faire par la loi et l’ordre. Ensuite, les incitatifs ont l’avantage de permettre aux acteurs de choisir la solution qui leur convient pour adopter des comportements qui sont favorables à l’environnement. Cela est notamment important dans le domaine de l’innovation en environnement où le gouvernement est souvent mal placé pour imposer des solutions technologiques ou économiques de rechange. Par exemple, dans la lutte contre la pollution, il est préférable d’établir une cible contraignante à atteindre et de permettre aux entreprises de trouver les solutions innovatrices ou économiques pour atteindre cette cible. C’est notamment un recours aux mécanismes de marché dans la lutte contre les pluies acides et les substances détruisant l’ozone qui ont permis de résoudre ces deux problèmes (et non l’imposition d’un standard technologique).

Je dois préciser que le concept de la nouvelle gouvernance n’implique pas d’avoir des objectifs environnementaux moins ambitieux au profit de l’économie et du maintien de la société de consommation. En fait, la nouvelle gouvernance cherche plutôt à identifier et instaurer des moyens intelligents d’atteindre des objectifs ambitieux en misant sur la collaboration, la participation, l’innovation, l’efficacité, le savoir et la flexibilité. Les lecteurs de ce blogue ne seront pas surpris d’apprendre que la Suède est l’un des pays dont les pratiques délibératives et innovatrices sont souvent associées au concept de la nouvelle gouvernance.

Sébastien Jodoin
Tokyo, Japon
1er février 2013