BloguesGwenaëlle Reyt

Gourmandise raisonnée

photo: xdachez.com

Gourmandise quoi? Raisonnée….Cela parait peu compatible. Comment un éclair à la vanille ou une religieuse au chocolat pourraient être raisonnables? Encore une méthode pour alléger les recettes….L’idée semble ennuyeuse.

Pourtant, pas tant que ça, à en croire Frédéric Bau, chef pâtissier et directeur de la Création à l’École du Grand Cru Valrhona en France. De passage à Montréal, il est venu présenter son concept devant une audience quelque peu sceptique. «Les pâtissiers doivent rester des marchands de bonheur. Si cela change, on sera à côté de la plaque, assure l’homme qui a travaillé avec Pierre Hermé à Paris. La gourmandise raisonnée c’est se régaler autrement en quantité raisonnable. Ce n’est pas une démarche ayatollesque. C’est la gourmandise vue d’une autre manière: un plaisir égal pour une pâtisserie plus saine.»

Le pâtissier au redoutable bagout était accompagné de son complice, le médecin nutritionniste Thierry Hanh avec lequel il a repensé la pâtisserie. «Il y a un milliard d’obèses sur la planète. Même si la réflexion autour de nos habitudes alimentaires est déjà entamée et que plusieurs chefs ont repensé leurs pratiques, ce n’est pas le cas pour la pâtisserie», explique le médecin français.

Frédéric Bau a entamé sa réflexion il y a une dizaine d’années à la suite d’une conférence donnée par le chef Pierre Gagnaire sur l’avenir de la cuisine et l’impératif de la faire évoluer pour être en adéquation avec notre époque. «La grande cuisine escoffienne est délicieuse, mais elle est désuète pour plusieurs raisons. Nous devons rendre les recettes plus raisonnables.»

Il raconte les débuts de sa carrière en 1983 dans une pâtisserie du sud de la France à Nice où les gâteaux étaient préparés pour la semaine sans être réfrigérés. «Il fallait que ça tienne debout, que cela ne sèche pas ni ne fermente. Les pâtisseries étaient très riches en gras, en sucre et en alcool, car c’étaient des agents de conservation», se souvient-il. Le froid, avec l’arrivée du surgélateur et l’arrivée de Gaston Lenôtre ont complètement chamboulé la pâtisserie. «On a pu dire bye-bye le beurre et bonjour la crème! Avant cela, il était impensable de monter une crème et de la garder un ou deux jours en boutique. La seule préparation légère était la fameuse crème chiboust, qui a fait beaucoup de victimes de la salmonelle.» Ainsi, cette époque a vu naître les recettes avec de la crème montée. Les gâteaux étaient conservés à 2ºC pendant deux ou trois jours et non plus à 20ºC pendant une semaine comme c’était le cas avant. «C’était une véritable révolution», assure le pâtissier qui veut aujourd’hui repenser les pratiques de son métier.

«On a tous les outils techniques qui nous permettent de nous remettre en question», poursuit Frédéric Bau tout en précisant qu’il n’y aura aucune concession sur le goût. Mais pour revoir la pâtisserie à la légère, il ne suffit pas d’enlever du sucre ou des œufs. «On ne prend pas simplement la recette de la pâte sablée en enlevant 10% de sucre, parce que cela devient une bombe à cholestérol», prévient le chef qui peine à convaincre ses propres collaborateurs. D’après lui, il faut donc revisiter complètement la recette. «On fonctionne en 100%. Si j’enlève du sucre sans rien toucher d’autre, le pourcentage de gras augmente, donc ce n’est pas mieux.»

Concrètement, cela ressemble à quoi la pâtisserie raisonnée? «On substitue des ingrédients pour répondant aux mêmes besoins de plaisir.» Il s’est donc attaqué à tout ce qui manque de raison….Le Paris-Brest, la crème brûlée, la tarte citron. «J’ai appris à faire la crème anglaise diplomate avec 16 jaunes d’œuf par litre de crème et 11 gousses de vanille et 320 grammes de sucre. C’est orgasmique quand on en mange, mais c’est une bombe calorique. Faut pas exagérer», reconnait-il.

Dans sa démarche, la meringue raisonnée est donc à base d’eau, de gélatine et d’un tout petit peu de sucre. «On passe à 160% de sucre en moins et on peut ajouter du fruit pour les aromatiser», précise le chef. La crème citron, quant à elle, est à base de beurre de cacao pour remplacer le beurre. Dans la crème brûlée, la cassonade est remplacée par la monnaie du pape, un mélange de blanc d’œuf, d’eau, de farine, de très peu de sucre et de beurre. «C’est de l’albumine un peu sucrée et amidonnée par la farine qui donne une sorte de feuille de sucre qui réduit de 40% l’apport énergétique.»

Pour le Paris-Brest, qui a été rebaptisé en Paris-Vichy, il a fallu repenser la crème, sans faire de la chantilly pralinée. «Une pâte à choux sans beurre et sans œufs, c’est possible. Une crème pralinée sans jaunes c’est aussi possible. Mais c’est important de garder le référent», conclut le pâtissier.  «Notre rôle est de maîtriser notre art et de le faire évoluer avec son époque.»