Sa venue devait être discrète et presque anonyme. Il a passé trois jours à Montréal pour recevoir un prix honorifique de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ) et donner une conférence pour les étudiants de l’école. Rien d’autre n’était prévu. Sauf qu’il en a été autrement. Dès que la venue de Ferran Adrià a été annoncée, le téléphone n’a pas arrêté de sonner dans les bureaux de l’ITHQ. À tel point que la conférence a été ouverte aux professionnels de la restauration et à quelques admirateurs venus parfois de Québec pour voir LE chef.
Mardi matin, comme n’importe quelle autre star de la musique, son nom était en grand à l’entrée de la salle Pierre-Mercure à Montréal. La foule était au rendez-vous et la salle comble quand Ferran Adrià est arrivé sur scène. L’homme décontracté s’est adressé en français aux étudiants, pour que cela soit «plus chaleureux». Pendant deux heures, il a expliqué l’importance de se positionner dans sa carrière de chef et de rester humble dans sa pratique. «C’est quoi la cuisine? Je n’en sais rien. Je ne sais rien, a-t-il lancé d’entrée à l’audience en brandissant une orange. Si vous me dites que vous savez tout, vous n’êtes rien.» Avec beaucoup d’humour, le chef du restaurant catalan El Bulli a raconté l’évolution de la cuisine et ses différents styles. «On peut faire des recettes et le faire très bien. On peut aussi faire de la cuisine comme à El Bulli, mais c’est beaucoup de travail et de stress», a-t-il expliqué.
Mais le plus important selon lui, est de conceptualiser. «El Bulli n’ai pas inventé la barba papa, mais il l’a conceptualisé. C’est comme Steve Jobs. Il n’a pas inventé l’ordinateur, mais il a apporté le concept de beauté à la technologie.» Le chef a présenté quelques techniques et plats qui ont marqués l’histoire d’El Bulli dont la sphérification, l’utilisation d’azote liquide pour faire geler des alcools ou l’emploi d’une perceuse Black et Decker pour faire des tubes de sucre caramélisés. Le résultat est poétique, comme cette page d’herbier faite de barba papa et parsemée de fleurs. Des «wow» parcourent la salle.
Pour la première fois, a été projeté un petit clip sur la dernière journée à El Bulli qui a fermé ses portes définitivement le 31 juillet 2011. Pour Last Waltz, la dernière valse, Ferran Adrià a invité quelques anciens stagiaires, et non des moindres, à venir partager ce moment émouvant. Ainsi, René Redzepi du restaurant Noma à Copenhague ou encore Grant Achatz du Alinea à Chicago étaient présents pour servir les rares privilégiés à manger ce repas. Le restaurant sera transformé en fondation et permettra dès 2014 de faire encore évoluer la cuisine ou de «faire de nouvelles omelettes» comme illustre le chef en parlant de sa cuisine.
Depuis Ferran Adrià à lancé son dernier livre qui vient de paraître aux éditions Phaidon, La cuisine familiale, qui reprend les menus servis à son équipe. «Personne ne s’intéresse à ce que les cuisiniers mangent tous les jours, alors que c’est très important. Quand on mange bien, on cuisine bien.»