Allumer une cigarette et aspirer la fumée, c’est le symptôme d’une demande d’affection, d’un désir d’emplissement, de lien, de sécurité et d’apaisement, qui réactive le tétage du nouveau-né au sein maternel. Le désir de twitter, d’envoyer un court message aux autres, même lorsqu’on a rien à dire, à peine un prétexte, le plus souvent anecdotique, c’est un substitut au désir d’allumer une cigarette, qui lui aussi ne comporte pas de message, si ce n’est le désir de lien virtuel au sein maternel qu’on éprouve. La bouche demande un apaisement et emplit les poumons, comme le lait maternel emplissait l’estomac du nouveau-né, pour assurer son existence. La fumée est le corps virtuel de la société. Elle euphorise, comme le lien du tweet. Elle érotise, comme le tweet (désir d’amour).
La pulsion qui nous faisait allumer une cigarette s’exprime désormais par le tweet. L’envie nous en prend plus ou moins souvent, éventuellement de plus en plus en cas de dépendance.
L’avantage du tweet sur la cigarette, ce n’est pas seulement qu’il ne nous infligera pas un cancer des poumons, ce n’est pas seulement non plus qu’il coûte moins cher que les paquets de cigarettes, c’est surtout qu’il socialise beaucoup plus, du moins virtuellement, que la cigarette. Il ne se contente pas d’aspirer: il exprime. Il envoie un volute qui est un message à distance, adressé à nos abonnés, à nos amis sur twitter. Le tweet que nous exprimons sera virtuellement lu par quelques centaines ou milliers d’abonnés. Peu importe que personne ne prête beaucoup d’attention aux tweets des autres. En réalité, on twitte pour soi.
Le tweet répond à une pulsion numérique. Il relève d’une dépendance existentielle que nous avons développée vis-à-vis du corps virtuel de la société, du besoin d’y impulser une vibration individuelle. Il exprime le besoin d’exister, de se lier aux autres internautes pour qu’ils aient conscience de notre existence. Nous avons besoin de cette conscience extérieure qui reconnait et confirme la nôtre. Le tweet est un message qui semble réel, que d’autres liront. Le tweet, c’est la fumée de la cigarette qu’on allumait, quasiment tout aussi éphémère et volatile que la fumée, mais qui nous donne l’illusion de l’être beaucoup moins et de concrétiser réellement notre lien au corps social (maternel), d’appeler à un échange de messages avec les autres qui le prendront en compte.
Durkheim parlait du lien organique de l’individu au corps social comme d’une nécessité. Il lui opposait l’anomie des désordres sociaux et de la solitude propice au suicide. Nous investissons beaucoup dans ce lien à la société qui est l’extension du lien au corps maternel. Le mythe de l’unité, de la solidarité, des liens sociaux, des hyperliens numériques a un fondement biologique, celui de l’unité originelle du fœtus avec le corps maternel. Nous en gardons adultes la nostalgie, nous en éprouvons la nécessité vitale, symbolique, économique, culturelle. Nous devons assumer adultes la séparation, sa nécessité, mais nous en compensons le manque de toutes sortes de manières, individuelles et institutionnelles. Les religions et les Eglises en sont les modalités les plus répandues. De même, aujourd’hui, les médias sociaux tels que Facebook en tirent des milliards. La cigarette et le tweet en sont des variantes laïques gestuelles, quasiment rituelles.