Les difficultés des petits libraires au Québec nous incitent à adopter sans retard une politique du prix unique du livre au Québec, comme dans plusieurs autres pays, comme la France ou l’Argentine, où cette législation a fait ses preuves depuis des années.
Mais aujourd’hui le développement rapide de la vente en ligne de livres, qu’ils soient de papier traditionnel ou qu’ils soient sous forme de fichiers en ligne que l’on achète et charge comme dans l’industrie musicale, nous invite à réfléchir sur les enjeux de cette nouvelle concurrence qui émerge dans le marché du livre. On pourrait appeler ces livres numériques les « livres bleus ». Certes, cette question semble d’abord plus complexe, puisque nos propres éditeurs sont confrontés à des offres alléchantes de distributeurs étrangers tels qu’Amazon ou Google, formidablement structurés et outillés pour développer ce marché. Mais c’est là aussi un service intéressant pour la clientèle des acheteurs de livres, et une fois de plus, cela se fait au détriment des petites librairies.
Devons-nous nous incliner devant cette évolution qui semble difficile s’inscrire dans la logique technologique et difficile à réguler? Certainement pas. Il est tout à fait possible d’imposer sur le territoire québécois le respect du prix unique du livre bleu, même lorsqu’il est offert par des distributeurs basés hors Québec, puisqu’on est déjà habitués à appliquer les taxes, en l’occurrence la TVQ, aux ventes en ligne venant de l’extérieur.
Allons plus loin. La meilleure option, c’est de vendre au Québec le livre bleu, qu’il soit offert par les distributeurs québécois ou par des compagnies étrangères, au même prix que le livre papier.
Demeureront les avantages d’un service en ligne à domicile et immédiat, qui constituent certainement une valeur ajoutée compensant la dématérialisation du livre, un bel objet qu’on aime tenir en mains, lire sans contrainte technique et conserver sur les rayons de sa bibliothèque. Et les petits libraires, auxquels nous tenons beaucoup, ne seront plus en position inéquitable pour maintenir leur commerce. Nous avons besoin d’eux, faute de quoi ce seront les seuls gros groupes de distribution, la plupart appartenant à des capitaux étrangers, qui établiront leur loi chez nous, comme le font Chapters et Indigo, au point où les éditeurs du Canada anglais doivent s’assurer avant de publier un livre nouveau, que celui-ci sera effectivement distribué par ces holdings. Une évolution qui fait du livre un produit de grandes surfaces et élimine les livres plus difficiles, dont le succès de vente immédiate est improbable, mais dont l’espérance de vie est souvent beaucoup plus grande. Nous ne voulons pas d’une industrie du livre qui réduise nos choix aux seuls « meilleurs vendeurs ». Nous ne voulons pas au Québec nous mettre dans les mains des grands distributeurs étrangers. Nous devons protéger notre réseau de distribution du livre pour défendre notre culture et notre créativité québécoise. Et pour cela, il est fondamental que les auteurs puissent compter sur des lecteurs, donc sur des éditeurs indépendants et sur un réseau dense de petites librairies. Le livre numérique ne se développera pas moins pour autant. Et les petits libraires, notamment en régions, pourront continuer à exister, voire si possible prospérer, grâce à des règles du jeu équitables dans un marché plus solide, où il faut maintenir la diversité des acteurs.
Ce sera une politique très stratégique pour le Québec.
Pourquoi est-il impossible d’acheter en 2012 un livrel chez un libraire ? Gros ou petit ? À Montréal ou en région ? Je comprends bien le concept du prix unique, mais peut-on protèger les librairies contre elles-mêmes ?