BloguesHervé Fischer

mythanalyse d’une nation*

mythanalyse qc

 

Les résultats des dernières élections législatives au Québec se sont soldés par un recul du Parti Québécois et une victoire du Parti libéral qui ont créé la surprise. Le renversement des tendances initiales qu’indiquaient les sondages, puis l’écart grandissant entre les gagnants et les perdants ont été trop marqués pour qu’on ne s’interroge pas, au-delà du factuel, en cherchant les raisons profondes du mécanisme invisible qui a manifestement déterminé cette évolution de l’opinion publique.

On a le sentiment qu’une réaction irrationnelle, mais forte et finalement majoritairement partagée a causé  cette volte-face. Et il est intéressant d’interroger ici l’inconscient collectif québécois. On a dit que le parti libéral a été élu par défaut, non pas parce qu’il présentait un programme mirobolant – le tandem économie/emploi est une vieille recette qui n’avait rien d’exaltant -, les subventions à la rénovation ou un Plan Nord 2 n’avaient rien de nouveau, et une stratégie maritime ne suffit pas à rassembler. Mais ce que la majorité des Québécois ont manifestement voulu refuser, c’est ce qui a finalement été perçu comme un programme de division des Québécois par le PQ. C’était certainement une interprétation des plus contestables, mais le parti libéral a eu beau jeu dans sa campagne d’enfoncer le clou en dénonçant l’éventualité d’un referendum et en pourfendant le projet de la Charte des valeurs québécoises, qu’il accusait de créer inutilement la bise-bille. Alors que l’intégrité du Parti libéral était en cause et que tous les partis la questionnait publiquement, M. Philippe Couillard s’est facilement défendu en dénonçant l’esprit de chicane de Mme Pauline Marois, qui «lançait de la boue». Et il apparait aujourd’hui que le Parti libéral a bien choisi son slogan «Ensembles» qui résumait cet appel à l’entente et à l’harmonie contre l’esprit de division qu’il a identifié au PQ. Cela lui a manifestement permis d’attirer des électeurs de plus en plus nombreux.

Côté Coalition Avenir Québec, M. Legault a aussi été accusé par M. Couillard de vouloir casser et saccager la maison en appelant à la suppression des commissions scolaires, en sabrant dans la fonction publique, etc. Mais cela n’a pas eu le même effet négatif, parce qu’il ne touchait pas autant une corde hypersensible de la psyché collective des Québécois que le PQ.

Il faut ici considérer l’histoire du Québec, ses mythes fondateurs et identitaires. Les Québécois sont originellement un peuple orphelin de sa mère patrie, la France, qui l’a abandonné aux Anglais. Et même s’il est séparé de fait du reste du Canada en raison de son histoire, de sa religion et de différences linguistiques et culturelles qui ont constitué son identité propre, il garde une crainte d’être doublement orphelin, en se séparant à son tour du Canada, une crainte qui semble plus forte que sa volonté d’autonomie.

Les Québécois ont pleinement conscience d’être une minorité vulnérable dans l’océan anglo-saxon de l’Amérique du Nord.  Ils veulent donc être unis. L’union fait la force qui leur permettra, pensent-ils, de survivre envers et contre tout et tous. Ils ont peur de la répétition possible de l’échec d’un referendum, qui les fragiliserait encore plus. Et c’est sans doute cet inconscient collectif qui les pousse à rejeter tout ce qui pourrait les diviser et donc les affaiblir. On ne pourra donc pas les convoquer à assumer l’autonomie de leur destin sans leur proposer un projet incontestablement rassembleur. C’est là une condition sine qua non. M. Couillard, dont rien ne laissait prévoir initialement la victoire, et encore moins une victoire si nette, nous en a administré la preuve avec éclat.

Les Québécois ont démontré lors des dernières élections qu’ils craignaient encore plus la séparation que la corruption. Ils ont donc préféré s’aveugler et suspendre leur dénonciation des soupçons qui pèsent sur la gestion du parti libéral sous la gouverne de Jean Charest, que de sanctionner le parti libéral du Québec comme ils avaient sanctionné le parti libéral du Canada après le scandale des commandites. Ils comptent sur la Commission Charbonneau et sur les enquêtes de l’UPAC pour y mettre bon ordre. Et à l’avenir, seul un danger venant du reste du Canada et  menaçant leur survie,  pourra, par instinct de conservation, les rassembler pour devenir indépendants. A moins que le PQ ou un nouveau parti politique ne soit capable, en construisant mieux sa stratégie, de créer un appel à un rassemblement et à un élan enthousiaste. Tout ce qui semble diviser le Québec, à tort ou à raison, même seulement en apparence, mènera à la défaite. Même une confortable situation économique ne pourra suffire à changer cette condition ; elle pourra même y faire obstacle, invitant au statut quo, que rien n’invite à changer. Le PQ devra donc redéfinir sa vision et sa stratégie. Les traumatismes mal cicatrisés de l‘inconscient d’un peuple sont plus forts que tous les arguments rationnels et que tous les statuts quo, même les plus ordinaires. Ils demeurent extrêmement sensibles. Ils perdurent à travers les changements, et ils peuvent resurgir négativement, mais tout aussi bien positivement et dynamiquement à la moindre provocation, créant à nouveau la surprise parmi ceux qui, les croyant oubliés, n’y prêtaient plus attention. L’histoire du Québec est loin d’être achevée !

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*Le lecteur pourra consulter:

La société dur le divan, éléments de mythanalyse, vlb éditeur, 2006

Québec imaginaire et Canada réel, l’avenir en suspens, édition vlb, 2008.