La mythanalyse tente de découvrir et de déchiffrer l’inconscient collectif de chaque société et plus minutieusement de chaque groupe social, comme la psychanalyse tente d’élucider les paramètres de chaque biographie individuelle. L’une et l’autre ont des objectifs théoriques et thérapeutiques. On objecte souvent, que le mythanalyste ne peut allonger la société sur le divan pour l’écouter se raconter. Mais l’objection est nulle, car le mythanalyse a plus de matière à étude que le psychanalyste, et plus qu’il n’en peut analyser. C’est la culture de chaque société que le mythanalyste étudie. Toutes les cultures sont, dans leur diversités, l’expression même des inconscients collectifs de toutes les sociétés selon leur diversité. Bien sûr, il faut entendre le concept de culture au sens anthropologique, qui désigne non seulement la littérature, la musique, l’architecture, le cinéma, bref les grands arts, mais aussi les usages alimentaires, les modes de socialisation, les idéologies, les pratiques économiques et financières, l’éducation, la médecine, le temps social, etc.
Certaines oeuvres culturelles deviennent emblématiques et méritent notre grande attention, mais la vie quotidienne, ordinaire, les superstitions, les crises, les modes d’individualisation, de compétition, etc., toutes ces facettes multiples de chaque culture ont une signification identitaire distinctive incontournable. J’en ai moi-même fait l’expérience en décidant à l’âge de 40 ans d’émigrer d’un inconscient collectif dans un autre, en l’occurrence de France au Québec. Je voulais changer de scénario sociologique. Et cela m’a permis de mieux percevoir les traits distinctifs des cultures et des inconscients collectifs français en m’en séparant, mais aussi d’apprendre à découvrir ceux du Québec en m’y intégrant. Et la difficulté de l’expérience m’a démontré la puissance distinctive de chaque identité culturelle. Plus encore, en devenant québécois, j’ai pris la mesure de la différence considérable qui subsiste après plusieurs siècles entre la culture, l’identité et l’inconscient collectif québécois, d’une part, et celles du reste du Canada, d’autre part. Des différences si importantes, non seulement de langue, mais aussi d’idéologie, de valeurs, de sensibilité, de références mythiques, de projets collectifs, qu’elles semblent irréductibles et fondent durablement l’indépendantisme québécois.
L’inconscient collectif, c’est la culture. L’inconscient collectif qui est au coeur de chaque culture fonde et légitime sa différence identitaire, ses mythes et donc ses valeurs et sa sensibilité.
Bien sûr chaque culture est dynamique, inclut des tensions, intègre plus ou moins bien ses diversités, ses marges, dialogue avec d’autres cultures, subit des pressions externes. Et même lorsqu’une culture est dominante, ces lignes de force ou de fracture se retrouvent dans la dynamique de l’inconscient collectif qui la fonde. Les rapports entre inconscients collectifs et cultures ne sont pas d’une linéarité simpliste; ils peuvent même devenir dialectiques dans leur dynamique; mais ils seront toujours étroits et même indissociables; et s’ils ne sauraient être pérennes, ils ont cependant une très longue durabilité. 900 ans de colonisation du Vietnam par la Chine n’ont pas fondu leurs différences au point que l’indépendantisme vietnamien ne resurgisse pas finalement pour imposer sa loi. Il est plus facile de créer un pays sur d’immenses territoires vierges en en soumettant les autochtones peu nombreux et dispersés, que d’unifier la France et l’Angleterre ou la Catalogne et l’Espagne. Ainsi, le Québec devra-t-il peut-être s’accommoder à l’avenir d’une fédération canadienne réaménagée pour prendre en compte sa légitimité, mais jamais il ne s’intégrera dans une dynamique canadienne d’uniformisation identitaire. J’ai consacré à cette question un livre, qui demeure à mes yeux définitif *, même si le caractère tabou du sujet a pu en occulter les conclusions au moment de sa publication.
La mythanalyse s’impose comme une nouvelle science humaine incontournable. On s’étonne même qu’elle n’existe pas depuis toujours.
* Québec imaginaire et Canada réel, l’avenir en suspens, édition vlb, 2008.
Bien sûr, que les attachements identitaires collectifs varient d’une région à l’autre, cela s’avère tout à fait naturel. On ne comprend que peu – et même souvent très erronément – des réalités qu’on ne connaît pas.
De la sorte, ici-même au Québec, il ne me semble pas qu’il y ait réellement un «inconscient collectif» véritable. Plutôt, je considère qu’il y en a au contraire plusieurs. Pour illustrer, même maladroitement mais utilement, il suffit de considérer le fossé des perceptions qui existe entre Montréal et ce qu’on appelle les régions.
Et même chose pour le vaste territoire canadien. Le cultivateur des Prairies n’est pas tellement sur la même longueur d’ondes que le pêcheur des Maritimes. Leurs réalités propres diffèrent trop.
Alors, cela étant, il ne saurait y avoir au mieux qu’un très mince filet de cet «inconscient collectif» dans une société aussi disparate que celle du Québec, ainsi que celle du Canada. Nous ne sommes pas des étrangers les uns aux autres, certes. Mais nous ne sommes pas pour autant des proches.
Nous avons des liens communs. Comme tout patchwork. Sans plus.