On l’a sans doute déjà trop souvent dit, mais le site d’information Huffington Postinaugurait mercredi sa section québécoise. Loin de moi l’idée de revenir sur la question des blogues, de la rémunération desdits blogueurs, ou encore des salaires des journalistes… toutes ces sortes de choses ont abondamment occupé l’espace médiatique, déclenchant même l’ire de certains, incluant un certain barbu dont on taira le nom.
Au-delà de toutes ces controverses – réelles ou amplifiées – il importe toutefois de saluer l’apparition d’un nouveau joueur médiatique en moyens sur une scène québécoise trop souvent déchirée entre les quelques empires journalistiques engagés dans une lutte féroce. Après tout, l’arrivée du HuffPost Québec sur les Internets (oui, les Internets) pourrait bien agréablement surprendre et signifier la diffusion de contenu diversifié, original et de grande qualité.
Ce qui irrite, toutefois, quand on observe l’impressionnant et immense ballet médiatique autour de l’arrivée du dernier rejeton de l’empire Huffington, c’est que le débat journalistique québécois semble désormais tourner autour des blogues. Adieu, donc, au contenu journalistique, voici l’époque de la sacro-sainte opinion. Je saisis d’ailleurs toute l’ironie de la chose, soit de s’emporter contre les blogues sur cette même plateforme…
Pas que l’opinion comme telle soit une mauvaise chose, d’ailleurs. Un bon texte d’opinion peut mobiliser, indigner ou faire réfléchir d’une manière différente d’un article, qu’il s’agisse d’une chronique, d’un éditorial ou – Dieu nous garde – d’un billet de blogue.
Non. Le problème, alors que la profession traverse une crise (on le saura !), c’est que l’ensemble des discussions portent sur l’arrivée de ce qui est finalement un agrégateur de nouvelles version améliorée.
Qu’en est-il des réflexions profondes sur l’avenir du métier ? Le rapport Payette, qui devait signaler le début d’un procédé de réflexion sur le journalisme et l’évolution de la profession, est mort au feuilleton, embourbé dans les discussions entourant le titre de journaliste professionnel. Ledit rapport offrait pourtant de nombreuses autres recommandations toutes aussi utiles, à mon avis, que ce fameux – et tabou – titre de journaliste professionnel. Et encore, la ministre Christine Saint-Pierre avait expressément demandé à Mme Payette de ne pas aborder la concentration de la presse, l’équivalent journalistique de la réouverture du débat sur la Constitution.
Ce serait pourtant le moment idéal de mettre cartes sur table et d’évoquer l’avenir journalistique de façon sérieuse, alors que l’horizon médiatique semble ressembler à une position de lutte alambiquée entre Quebecor, Transcontinental, Gesca et Radio-Canada. Sans oublier la radio… ouf.
Parlant de Radio-Canada, d’ailleurs, la CSN et le Syndicat des communications de Radio-Canada lançaient plus tôt cette semaine la campagne Tous amis de Radio-Canada, qui plaide entre autres pour un financement pluriannuel de la société d’État. Fort bien. Ce qui est plus intéressant, toutefois, c’est le mouvement enclenché par OpenMedia.ca et Leadnow intitulé Réinventons Radio-Canada.
Sur la page Internet du projet, les internautes de partout au pays sont invités à soumettre des suggestions et des idées pour transformer le diffuseur public, et lui permettre d’évoluer en fonction des progrès technologiques et des demandes des citoyens. L’initiative, si elle semble particulièrement populaire du côté anglophone, laissait mercredi voir une absence totale de propositions du côté francophone. Difficile de ne pas croire, alors, à un certain manque d’intérêt. Ou peut-être à une simple mauvaise campagne de publicité en terre québécoise? C’est pourtant le genre d’initiative qui devrait déchaîner les passions, susciter des discussions animées et interpeller les citoyens. Après tout, il s’agit de l’argent de nos taxes, comme diraient platement certains penseurs de droite.
Il serait cependant malhonnête de ma part de donner l’impression que le domaine de la réflexion journalistique demeure une terre vierge dans la province. Après tout, le sujet est traité épisodiquement dans Le Devoir par Stéphane Baillargeon et dans La Presse par Nathalie Collard – j’ignore si le Journal de Montréal s’y intéresse. Il faut également souligner le travail remarquable de ma collègue Anne-Caroline Desplanques, de ProjetJ, qui tente, jour après jour, de discerner un peu mieux de quoi sera fait l’avenir des médias.
Malgré tout ces efforts, cependant, la discussion sur le futur du journalisme ressemble plus souvent qu’autrement à un dialogue de sourds. Ce n’est alors que parts de marché, plan(s) iPad et autres courses au lectorat ou à l’audimat. Le milieu change, que les acteurs principaux du domaine s’y intéressent ou non. Et il est temps d’agir.
Faudra-t-il une grande campagne de publicité commanditée par Bell pour qu’on dise enfin «Parlons-en»?
Je réitère ce que je t’ai dit plus tôt.
Aussi louable soit l’entreprise de Projet J, elle ne rejoint pas la partie de la population qui doit être sensibilisée. C’est une publication trop pointue pour monsieur, madame tout-le-monde. Pour avoir des lecteurs, une publication doit en quelque part rejoindre des gens, les interpeller. Malheureusement, un site web ne traitant que de journalisme risque de n’interpeller que des journalistes. C’est tout à fait normal que ceux-ci se sentent concernés par ce qui y est écrit. Cependant, si le but est de rejoindre une couche de la population que l’on se doit se sensibiliser, à trop se spécialiser, on finit par se tirer dans le pied. Les gens s’y intéressent peu, ou pas, et on finit par se frustrer d’une telle attitude parce que notre métier est en danger, quand en réalité, c’est simplement parce qu’on s’y prend mal pour faire passer le message.
Il faut aussi spécifier que les gens ont leur lot de préoccupations. On revendique dans tous les domaines, pas juste en journalisme. En traduction, en soins de la santé, en tourisme… Name it! Les gens ne peuvent pas possiblement s’intéresser à toutes les questions concernant tous ces métiers. À moins de faire partie du domaine dont il est question, de connaître quelqu’un qui en fait partie ou bien d’avoir une certaine curiosité face audit domaine, le monde en général ne s’y intéressera pas.
C’est en faisant de la publicité et de la sensibilisation sur les plateformes rejoignant une plus grande partie des québécois (Comme les programmes concernant Radio-Canada) ou en parlant de la chose dans une publication non-spécialisée, que la prise de conscience se fera.