BloguesHugo Prévost

L’art de lire à partir du vide

Le glas a-t-il sonné pour les journaux papier ? Cette question a été posée si souvent, au sein de la profession comme à l’extérieur du milieu journalistique, que sa simple évocation suscite désormais, chez certains, l’irrésistible envie de trouver du goudron et des plumes. D’autres, dont je fais partie, lancent à la blague que ce sont plutôt les prédicateurs technologiques qui passeront à la trappe d’ici quelques années. Après tout, l’univers de la technologie change à une vitesse folle, et se faire constamment rabattre les oreilles avec les prévisions de l’apocalypse des médias papiers, ces piliers du journalisme, lasse très rapidement.

La question mérite toutefois qu’on s’y attarde. Mais plutôt que de peser les pour et les contre, ou d’énumérer les raisons hypothétiques pour lesquelles, du jour au lendemain, l’iconique New York Times ou Le Devoir cesseraient la distribution de leur édition papier, parlons plutôt des réseaux de distribution et de technologie. Car c’est là que se trouve le coeur du problème. Commençons tout d’abord avec une (semi) confession : je suis un accro du journal papier. J’aime pouvoir l’apporter avec moi dans le métro en allant travailler, mais surtout avoir la possibilité de le plier, de l’échapper par terre, de renverser de l’eau ou du café dessus…

Pas question, donc, que je m’équipe d’une coûteuse tablette électronique. Premièrement parce que 400 $ pour un frisbee, c’est cher payé, même pour garrocher des oiseaux sur des cochons. Deuxièmement parce que je passe en moyenne une dizaine d’heures par jour devant l’ordinateur, et je n’ai certainement pas besoin de m’arracher les yeux en regardant un énième écran pendant mes déplacements ou lorsque je m’informe chez moi. Il existe bien entendu les liseuses numériques, les Kindle d’Amazon et consorts, mais le format est conçu pour lire un livre, et non pas un journal. Adieu, donc, à la planification hiérarchique que je retrouve dans un journal, où je peux jauger l’importance relative d’un article en un seul coup d’oeil à la grosseur de son titre.

L’idée d’un papier électronique, ne diffusant aucune lumière, comme celui que l’on retrouve dans ces liseuses, est cependant excellente. Des tests sont d’ailleurs en cours depuis quelques années pour produire une version « journal » de cette technologie, pour reproduire les dimensions d’un quotidien.

J’ai beau être attaché au papier, je dois franchement avouer que s’il existait feuille de papier électronique de la taille d’un quotidien, et qui pourrait éventuellement se plier en deux – pour se ranger dans un sac, tiens, je serais fortement tenté de passer au numérique. Après tout, il s’agirait du même journal, de la même facture visuelle, du même contenu… et représenterait une économie substantielle pour le quotidien de la rue Bleury, ou pour tout autre quotidien.

La Presse a forcé le jeu au Québec avec l’annonce de son plan iPad. Si l’idée a du bon – les temps sont durs, après tout, et le passage au numérique permettre d’économiser beaucoup, tout en réduisant la pollution -, j’estime que la technologie n’est pas encore au point. Fixer constamment un écran d’ordinateur finit par donner mal aux yeux, et une feuille de papier électronique a beaucoup moins de chance de casser en tombant de la table à café.

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Autre chose, maintenant. Une fois nos journaux sous forme dématérialisée, comment les distribuer ? Télécharger de volumineux fichiers PDF tous les matins sur l’ordinateur de la maison me semble une tâche longue et ennuyante, sans oublier le côté potentiellement gourmand en termes de bande passante.

Si tous les journaux (ou presque) passent désormais dans l’univers éthéré, ne faudrait-il pas, en plus d’offrir le téléchargement sur ordinateur, équiper les points de vente habituels de bornes sans-fil ?

Permettez que je précise mon idée : une borne sans-fil, donc, fonctionnant avec une connexion haute vitesse pour permettre les téléchargements en quelques secondes, et où tous les journaux pourraient être achetés ou obtenus gratuitement, en fonction du type de publication.

De cette façon, je peux acheter mon journal si je ne l’ai pas téléchargé le matin, ou tout simplement me procurer une copie du quotidien local si je voyage à l’étranger. On élimine d’ailleurs, du même coup, le gaspillage de papier relié aux gens incapables de recycler leur 24H ou leur Métro quand ils sortent des transports en commun.

Pourquoi s’arrêter à Montréal, d’ailleurs ? Pourquoi ne pas avoir accès à tous les journaux de la planète à partir d’un seul point de service ? Les possibilités sont infinies.