BloguesHugo Prévost

Désertification sur Toile

Engagez-vous, rengagez-vous, qu’ils disaient. Et nous nous sommes engagés. Peut-être pas par milliers, mais certainement par centaines. Des jeunes, des moins jeunes, des vieux. Des gens fraîchement diplômés du cégep ou d’un autre programme universitaire, des gens tentant un changement de carrière, d’autres désirant simplement en apprendre davantage sur le milieu.

Imaginez : c’était lors d’une autre décennie! Les conservateurs étaient au pouvoir, le Canadien ne gagnait pas souvent, les médias étaient en crise et chacun se demandait s’il trouverait un emploi. Ah, les souvenirs…

Nous étions jeunes, avec des idées plein la tête… On nous prédisait une révolution numérique, la disparition du journal papier – en fait, c’est un peu comme la fin du monde. Toujours prédite, jamais survenue. Allez savoir… – bref, un nouveau monde que nous, les nouveaux journalistes, allions changer en tirant pleinement profit des capacités extraordinaires d’Internet et des réseaux sociaux qui occupaient déjà une bonne partie du web.

Et pourtant, bientôt trois ans après, où sont les jeunes ? Où sont ces fameux projets révolutionnaires ? Si nos ambitions ne sont pas entièrement disparues, elles ne sont pas dans une forme resplendissante non plus. Plusieurs d’entre nous auront trouvé un emploi dans les médias traditionnels – et c’est tant mieux, d’autres seront devenus pigistes à plein temps (ou à temps partiel, instabilité du marché de l’emploi oblige), mais plusieurs ont également jeté l’éponge et choisi de trouver un poste mieux payé et plus stable du côté obscur de la Force, soit les communications et les relations publiques.

Que sont nos espoirs devenus ? Oh, je sais bien qu’il existe des projets de journalisme web lancé par de jeunes journalistes au Québec. Soulignons, entre autres, l’excellent travail de mes confrères – et anciens collègues étudiants – de Touki Montréal, site se consacrant à l’actualité africaine. Un autre confrère, Naël Shiab, avait à l’époque mis sur pied un site d’informations internationales intitulé Ipso Facto, si mes souvenirs sont bons. Naël a également été rédacteur en chef du Montréal Campus, le journal des étudiants de l’UQAM.

J’en oublie sans doute, mais il s’agit là des deux seuls exemples qui me viennent en tête quant aux projets journalistiques de la relève. Moment surréaliste, d’ailleurs, il y a environ deux ans, lorsque le Trente publiait le portrait de quatre jeunes journalistes et de leurs perspectives d’avenir : aucun n’avait, à ce moment, décroché de poste « sérieux », et vivotaient de la pige, avec peut-être un blogue à leur actif.

Sommes-nous en train de manquer le bateau au Québec ? Il est pourtant impensable de croire que pas un jeune journaliste n’a dans ses cartons un projet d’information web… Oui, les contraintes sont difficiles et les obstacles, nombreux. Je me rappelle encore l’instant où, lors du lancement de mon propre site d’informations, Pieuvre.ca, il y a de cela quatre ans, nous envisagions être rentables en moins d’un an! Aujourd’hui, après quatre ans de développement et d’efforts quotidiens, je suis heureux de pouvoir annoncer que les revenus du site sont suffisants pour… payer les frais d’hébergement et le nom de domaine. Il y a pourtant un marché à aller conquérir, un espace à occuper, et même si les médias web se multiplient au Québec – HuffPostQc, Coop Média, OpenFile Montréal, Le Globe, pour ne nommer que ceux-ci – j’ai la désagréable impression que les artisans du journalisme québécois peinent à trouver la place qui leur revient sur le web.

Dans un monde où la visibilité est reine, et surtout garante de revenus publicitaires, il est pourtant essentiel de se faire voir, de rejoindre le plus grand lectorat possible et, surtout, de s’assurer de créer un contenu riche et de qualité. Ne s’impose pas dans le paysage journalistique québécois qui veut et, à défaut de moyens, l’ardeur au travail et la détermination doivent primer.

*****

D’ailleurs, parlant de revenus, il existe un programme gouvernemental destiné à favoriser l’éclosion et la croissance de médias partout dans la province. Le hic? Ce programme, qui réserve une partie du budget de publicité de l’État, ne s’adresse qu’aux médias communautaires sous forme écrite, radiophonique ou télévisée. Je suis tout à fait d’accord avec l’idée d’encourager la presse communautaire, mais, dans un souci de modernité, Mme Saint-Pierre pourrait-elle envisager de modifier la structure de ce programme et permettre un certain financement de la presse uniquement électronique?

Les grands médias feront certainement les gros yeux, mais ne venez pas me dire que les médias web, les pure players en bon français de France, sont en mesure, au Québec, de faire compétition à Radio-Canada, Gesca et Quebecor! Il me semble pourtant qu’un tel financement donnerait un petit coup de pouce à la diversité journalistique, tout en faisant disparaître une partie de la morosité qui affecte le secteur et en créant de l’emploi.