BloguesHugo Prévost

Festina lente

C’est bien connu, le temps fuit. Mes excuses, d’ailleurs, pour avoir manqué la date de jeudi pour la publication de ce billet; ironiquement, j’ai manqué de temps…

Le temps fuit, donc, je ne vous apprends rien de nouveau. Il fuit parfois si vite qu’on a l’impression de pédaler dans l’avenir pour ensuite se rendre compte, bien tristement, que tout est à refaire le lendemain matin. Le phénomène est d’ailleurs commun à bon nombre de professions, y compris – vous l’aurez deviné – au journalisme. Ah, le journalisme et sa vitesse, son instantanéité, son absolutisme de la nouvelle-minute! Chaînes en continu, mais aussi Twitter et Facebook, ainsi que les fils RSS; nous sommes non seulement dans un océan d’informations, mais également constamment frappés par les déferlantes de mises à jour, de nouveaux articles, de flashs, de rumeurs… Cet innocent total de tweets non lus, cette page Facebook qui se remet automatiquement à jour, ce fil de presse que l’on rafraîchit, cette annonce de dernière heure à la télévision ou à la radio sont autant d’indices signifiant que, inexorablement, vous n’arriverez jamais à garder la tête hors de l’eau.

On fait donc le tri, forcément. Machinalement. On traite, on classe, on quantifie, on accorde un ordre d’importance, et, surtout, on élimine. On remet à demain, on garde en réserve, on attend le lead, la déclaration officielle, la réaction, ou le communiqué de presse.

Il est pourtant facile de s’y faire; c’est comme une drogue. Lorsque j’ai débuté à La Presse Canadienne, j’ai rapidement constaté l’importance des ressources ne se trouvant qu’à un clic de souris. Un univers d’informations en format texte, sans mise en page complexe, sans photos, sans bande sonore, sans images vidéo. Que de l’information brute, livrée instantanément des quatre coins de la province – et du monde !

Le sentiment est grisant : on clique sans arrêt, on lit, on s’instruit, on se délecte du labeur d’une véritable armée de journalistes sans jamais pouvoir s’arrêter. C’est l’équivalent de se jeter sur une boîte de chocolats; le réflexe est machinal, on aimerait bien y mettre fin, mais comment en trouver la force ?

Et, pourtant, on finit par se rassasier. Peut-être parce que le navigateur est à bout de souffle avec tous ces onglets ouverts, peut-être parce notre structure de classement échappe à tout contrôle, peut-être parce qu’il faut bien travailler, après tout, ou, peut-être parce que, tout simplement, on n’a plus le temps.

Il s’agit là d’un autre dur constat contre lequel tout jeune journaliste devra se casser le nez, un jour ou l’autre : vous n’aurez jamais le temps de réaliser tout ce que vous voulez. Qu’il s’agisse d’entrevues, de couverture d’événement ou de toute autre tâche reliée au domaine, il faut éviter de vous fixer des objectifs trop importants, au risque de ne pas les atteindre. Vous manquerez forcément de temps au bout du compte.

La question du temps, souvent reliée – et avec raison – à l’immatérialité du journalisme, soulève également la question de la motivation. Acceptez-vous sciemment, en entamant un programme de formation en journalisme, ou en décidant de tenter votre chance au sein d’un média, d’occuper un poste à l’horaire changeant ? De devoir cumuler heures supplémentaires et trop longues journées pour fournir l’article, le topo, ou le reportage idéal ?

Oui, je le sais, je trace un portrait assez sombre de la profession. Et pourtant, je ne changerais pas d’orientation professionnelle pour rien au monde. J’aime avoir une idée de reportage à une heure complètement folle, j’aime couvrir des événements le matin, en après-midi, ou encore en soirée, j’aime pouvoir me dire que je ne suis pas seulement journaliste de neuf à cinq, mais plutôt 24 heures par jour, 365 jours par année. C’est en partie cela, au final, qui me permet de continuer. C’est ce feu sacré, cet appel de l’inconnu, de l’inusité, cette impression que la planète change à chaque instant, et que je fais ma part pour que ces changements sont analysés, compris et décrits du mieux possible. Il s’agit un peu d’une mission, finalement : combattre l’incompréhension, combattre l’ignorance, chercher constamment à mieux saisir l’univers dans lequel nous évoluons pour mieux savoir ce vers quoi nous nous dirigeons, tout cela à la vitesse grand V.

Parfois, pourtant, j’en ai marre. Marre de constamment chercher la nouvelle, marre de diviser mon attention entre divers sites Internet, Twitter, ou bien la télévision et le journal ouvert à côté de moi… Marre de passer jusqu’à 18 heures par jour devant un écran, à tenter de saisir les informations à la seconde où elles apparaissent. L’instantané a parfois l’excellente conséquence de donner envie de décrocher, de prendre le temps de lire ce fameux journal qui traîne; de passer au travers de cette liste d’articles qui gonfle sans arrêt sur ReadItLater; d’entamer enfin ce premier opus de Nouveau Projet dont la facture épurée et la couverture glacée me font des yeux doux depuis près d’une semaine; de paresser au soleil, une copie papier d’articles de Longreads en main avec les Dandy Warhols dans les oreilles.

Le temps est une denrée rare. Lorsque la pression est trop grande, n’hésitez pas à prendre quelques heures, voire une journée si vous êtes chanceux, pour décompresser un peu, histoire de non seulement apprécier le calme et le repos loin de l’horrible hydre à multiples têtes qu’est l’information en continu. Peut-être, également, rêver de délaisser toute cette agitation pour vous aussi écrire de ces pavés journalistiques qui ne s’apprécient entièrement qu’en laissant de côté les stimulations perpétuelles du monde extérieur.