BloguesHugo Prévost

Et un conglomérat pour les gouverner tous

Vous vous rappelez sans doute ma virulente sortie contre la concentration de la presse au Québec, et mon appel à la ministre Christine Saint-Pierre afin qu’elle dépose un projet de loi pour morceler ces empires tentaculaires – si tel n’est pas le cas, vous trouverez le lien à droite. Sentez-vous libres de cliquer tout votre saoul, histoire que je reçoive mon premier chèque de cinq dollars.

Mais revenons à la concentration de la presse. Mon avis sur la question n’a pas changé : selon moi, le secteur des médias et du journalisme ne s’en porterait que mieux s’il existait beaucoup plus de concurrence dans le domaine, tout en encourageant l’innovation et en favorisant l’emploi.

En prenant connaissance de l’offre d’achat d’Astral par Bell, toutefois, il est important d’adopter une nouvelle perspective. Après tout, la concentration n’a pas que ses mauvais côtés; en contrôlant les canaux de distribution du contenu que vous produisez, par exemple (ou l’inverse, dans le cas de Bell), vous êtes en mesure de concevoir un univers média où vous pouvez décider à la fois de la forme, du contenu, du prix… Apple l’a bien compris dans le domaine technologique, et peu importe ce qu’en pensent les détracteurs de la compagnie de Cupertino, le fait est que la valeur boursière de l’entreprise est la plus élevée du monde, ou sinon la deuxième plus élevée du monde. Apple disposait également, jusqu’à tout récemment, de réserves monétaires évaluées à 90 milliards de dollars, soit plus que les revenus du gouvernement du Québec projetés pour l’an prochain. D’ailleurs, l’idée d’un écosystème fermé fait du chemin, et les entreprises adoptent massivement ce modèle d’affaires. Google et Amazon, chacun avec leur stratégie de boutique en ligne où les internautes peuvent acheter du contenu, des applications et des jeux pour ensuite les consommer sur un support informatique propriétaire (le Kindle Fire pour Amazon, et une tablette de sept pouces de diagonale à venir pour Google), appliquent ainsi la technique consistant à encourager la consommation en silos.

Le même principe prévaut pour les médias, d’où la tentative d’achat de Bell. Bien entendu, la question de la diversité des voix est laissée de côté dans ce cas-ci, mais uniquement pour les besoins de la cause.

Cette généralisation de l’intégration verticale dans le secteur des médias pose toutefois la question de la réussite des indépendants. Est-il possible, pour un organe médiatique non-affilié à un conglomérat ou à un empire, de s’imposer sur le marché ? Ou est-il nécessaire d’adopter l’adage : « Hors de l’intégration, point de salut » ?

Il existe bien sûr, me direz-vous, des exemples de médias indépendants ayant réussi à se tailler une place sur le marché québécois, Le Devoir étant le premier à me venir en tête. Le quotidien de la rue Bleury demeure toutefois un journal au tirage de beaucoup inférieur à celui de ses concurrents, La Presse et Le Journal de Montréal, et ses revenus, bien qu’en croissance, reflètent cette situation.

L’accélération de la dématérialisation de l’information pourrait toutefois changer la donne. Après tout, des médias web comme Rue89 et Médiapart ont réussi, au fil des ans, à se définir comme des joueurs journalistiques importants sur la scène française et internationale, et ce sans devoir contrôler un service de câblodistribution ou une dizaine de stations de radio.

La multiplication toujours plus importante des supports médiatiques pourrait également forcer les empires de presse à mettre de l’eau dans leur vin, puisque le consommateur ne sera pas nécessairement intéressé à se faire imposer un carcan technologique. D’où l’ouverture de plus en plus grande, par exemple, des entreprises à des téléphones intelligents et d’autres appareils électroniques différents des normes imposées par les départements des technologies de l’information.

À voir la vitesse de la consolidation du secteur en terre canadienne – et ailleurs sur la planète, il est néanmoins possible de craindre que cette explosion des supports et des contenus n’arrive trop tard.