BloguesHugo Prévost

À la moulinette, tiens !

Il fallait s’y attendre, forcément, mais la mesure a de quoi faire hurler. C’était donc jour de budget, jeudi, et les citoyens les plus pessimistes craignaient déjà la grande faux budgétaire conservatrice, l’effrayant taux de compressions de 10 pour cent se profilant à l’horizon, telle une figure maléfique. Plus de peur que de mal, à l’arrivée, avec des réductions élevées, certes, mais dépassant seulement six pour cent, si l’on peut le dire ainsi.

Les grandes victimes sont toutefois, comme l’on s’y attendait, les organismes culturels et médiatiques. Archives Canada, l’Office national du film et Radio-Canada sont parmi ceux qui écopent le plus durement du tour de vis financier administré par le gouvernement Harper. La SRC, bien entendu, se voit amputée du dixième de son budget (environ 295 millions $ sur trois ans, écrit ProjetJ sur Twitter), elle qui avait déjà dû se départir d’une centaine de millions de dollars – et, accessoirement de plusieurs centaines d’employés – il y a quelques années.

Ce qu’Ottawa vient confirmer, en continuant de saigner à blanc la société d’État, c’est que les arguments bassement électoralistes destinés à contenter les quelques électeurs de droite soi-disant ulcérés de verser moins de 100 $ par année par personne pour Radio-Canada ont davantage d’importance que l’idée de disposer d’un média national offrant des services à l’ensemble de la population. Hors de ma vue, organisme journalistique réputé au code d’éthique fouillé et solide; laissez plutôt la place, en réduisant le budget de la SRC, aux entreprises privées, de loin moins redevables envers l’État et ses organismes de régulation, à la fois en matière de dépenses et de normes éthiques.

Hors de ma vue, également, intégrité journalistique faisant école partout au pays, avec des moyens pancanadiens souvent irremplaçables en région reculée, place à l’idéologie, le plus souvent de droite, au sein d’un environnement où il est considéré normal d’habiller ses stagiaires en poulet pour insulter un ministre et où la propagande prends le pas sur les informations véridiques.

Hors de ma vue, enfin, une institution fondée il y a 75 ans sur des principes d’accessibilité, de multiculturalisme et de diversité, où la langue, la religion et l’orientation sexuelle des populations visées n’influent en rien sur l’intégrité et le professionnalisme.

Si Radio-Canada n’est pas à l’abri des erreurs, en journalisme comme dans d’autres domaines, la société d’État est toutefois un pilier de l’information au Québec comme ailleurs au pays, un organisme qui peut se permettre d’innover autant en matière de couverture culturelle et sociale qu’au niveau de l’information et de ses canaux de transmission, et ce justement parce que ses revenus ne dépendent pas, en majeure partie, des recettes publicitaires, et donc de l’audimat. En faisant passer le bien-être de l’individu avant le bien-être du peuple, les conservateurs sacrifient un géant médiatique de la façon la plus discrète qui soit : en lui creusant sous les pieds, petit à petit, jusqu’à ce qu’il s’effondre.

Lors d’une émission d’Infoman, Jean-René Dufort visitait justement Radio-Canada lors des portes ouvertes de l’institution dans le cadre des célébrations du 75e anniversaire. Dans une boîte de suggestions demandant aux passants d’inscrire de quelle façon ils voyaient la SRC dans 25 ans, M. Dufort a inscrit : « Fermée par les conservateurs ».