Hé oui, cette fameuse objectivité occupe encore mes réflexions journalistiques. La question est vaste, après tout, et mérite que l’on continue à s’y attarder. Comparée à tort, ou à raison à la neutralité, cette objectivité est quelque peu mise à mal depuis le début du conflit étudiant. Les lignes éditoriales des médias se répercutant dans les titres ou dans le traitement de l’information n’est certainement pas nouveau, j’en conviens, mais chaque conflit social d’importance permet d’observer la définition plus nette d’un certain microcosme journalistique qui est souvent fascinant à observer.
Dans le cas qui nous occupe, les différentes unes des principaux quotidiens montréalais portent à croire que certaines pressions s’exercent pour observer la grève des étudiants selon divers prismes correspondant, plus souvent qu’autrement, aux tendances politiques et économiques traditionnelles du Devoir, de La Presse et du Journal de Montréal. Comme il n’existe pas de guide du parfait petit reportage sur un conflit social, le côté objectif plus ou moins prononcé des divers reportages est alors attribuable au journaliste, au chef de pupitre, ou encore à l’éditeur ou au propriétaire.
Au-delà des habituels affrontements entre médias, toutefois, certaines situations soulèvent des questionnements intéressants. Mercredi soir, lors d’une manifestation des étudiants en grève, les policiers ont aspergé de poivre de Cayenne une équipe de la station de télévision universitaire CUTV. Le moment, retransmis en direct sur Internet, avait de quoi frapper l’imagination. À la surprise de voir la lentille de la caméra couverte de gaz poivré et d’imaginer le pauvre caméraman s’est ajoutée, quelques minutes plus tard, la stupéfaction d’entendre un animateur de la chaîne appeler les étudiants québécois à réaliser le «printemps arabe». Il s’agissait là, selon moi, d’une violation claire des principes généraux de l’objectivité journalistique.
L’agression des policiers envers ces journalistes était honteuse, soit, mais c’était exactement le moment où l’équipe – dont je salue le travail exemplaire, nonobstant cet accroc – aurait dû faire preuve du même professionnalisme qu’auparavant. On comprendra, bien sûr, la frustration de s’être fait attaquer par les forces de l’ordre, mais j’ai tiqué sur le coup. Alors que la grève/boycott semble s’éterniser, est-il possible de demeurer objectif dans cette affaire ? Je suis comme les autres individus politisés; j’ai des opinions et des convictions qu’il est parfois dur de réprimer. Quand je vois des collègues qui n’hésitent pas à aller manifester, je me demande bien honnêtement si je suis vieux jeu.
Suis-je en effet en train de défendre des principes dépassés méritant de se retrouver aux oubliettes de l’histoire du journalisme ? Si les journalistes sont sensés se poser en défenseurs de la démocratie et de la circulation de l’information, a-t-on un devoir moral de s’impliquer dans des causes «justes», quitte à outrepasser la barrière de l’objectivité journalistique ?
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Toujours dans le domaine de l’objectivité journalistique, ma collègue Anne-Caroline Desplanques a partagé sur Facebook, il y a quelques temps, la bande-annonce de la télésérie The Newsroom, une création d’Aaron Sorkin (The West Wing) qui parle, vous l’aurez deviné, d’une salle de presse. Les séries et films du genre sont légion, j’en conviens, mais celle-ci s’intéresse particulièrement à la question de l’objectivité et de la neutralité journalistiques au pays des news anchors et des commentateurs de tout poil.
En voici d’ailleurs la bande-annonce. Ça promet :
En terminant, si vous voulez justement en apprendre davantage sur cette culture du biais journalistique aux États-Unis, où les accusations lancées par la droite envers les «élites libérales des médias» sont fréquentes, le Washington Post consacre un article étoffé à une question intéressante : jusqu’à quel point les médias sont-ils biaisés ?
Les États-Unis ne sont d’ailleurs pas le seul pays où des accusations du genre fusent contre des journalistes. Nicolas Sarkozy s’en prenait récemment aux médias «favorisant François Hollande». On se rappellera également un ministre conservateur – dont le nom m’échappe – qui avait lâché une perle en affirmant que Radio-Canada «mentait tout le temps». Comme quoi l’objectivité est plus que jamais au coeur des débats…
Vous venez de mettre sur la table, peut-être sans vous en douter vraiment, l’élément crucial, le plus déterminant d’entre tous relativement au conflit étudiant qui perdure encore et encore, Monsieur Prévost.
Je préciserai, après ce passage de votre billet:
«Si les journalistes sont sensés se poser en défenseurs de la démocratie et de la circulation de l’information, a-t-on un devoir moral de s’impliquer dans des causes «justes», quitte à outrepasser la barrière de l’objectivité journalistique?»
Le mot-clé ci-dessus étant – à mon avis – le mot «démocratie», ce concept si souvent bousculé et piétiné ailleurs, là-bas… dans certaines contrées barbares et incultes éloignées (desquelles nous parviennent de temps à autre des histoires d’horreur) – mais un concept tellement prisé ici qu’il constitue la clef de voûte de notre société, jamais n’accepterions-nous sciemment et sans pousser les hauts cris de le voir ce concept de «démocratie» faire les frais d’une idéologie, quelques soient les mérites présumés de ladite idéologie.
Et pourtant, même ici, la «démocratie» a été écrasée et méprisée.
Croyez-vous que le conflit étudiant aurait pu durer plus de deux semaines si des votes en isoloirs avaient été tenus lors de toutes les assemblées étudiantes? Si la «démocratie» avait partout été au rendez-vous?
Votre questionnement, à savoir si un journaliste a «un devoir moral de s’impliquer dans des causes «justes» », surtout lorsque la cause «juste» a trait au fondement même de notre société, que cette cause «juste» se trouve au cœur de nos valeurs les plus précieuses, que cette cause «juste» s’avère être la «démocratie» elle-même, eh bien ce questionnement ne saurait que pousser tout journaliste consciencieux à «s’impliquer» en faveur de la défense de cette cause «juste» entre toutes.
Sans même avoir «à outrepasser la barrière de l’objectivité journalistique».
Il ne saurait jamais y avoir le moindre scrupule à défendre bec et ongles le concept de «démocratie», Monsieur Prévost. Surtout que, ce faisant, vous ne prenez pas partie et maintenez donc votre objectivité. Aucune «barrière» à sauter…
l’objectivité journalistique, ça dépend d’où elle descend et contre qui elle monte. Quand Martineau fait ses niaiseries sur Twitter, il n’engage que lui. Mais quand une éditorialiste d’un quotidien montréalais traite de « nombril » un individu seul,un étudiant qui obtient une injonction lui permettant de retourner en classe, elle éructe au nom de son journal.
C’est beaucoup plus grave. Et on peut se demander alors si une caution si lourdingue ne s’approche pas un peu de la provocation, de l’intimidation, de l’insulte pure et simple. Mais allez donc porter plainte au Conseil de Presse, juste pour voir. Une vraie farce, ce « Conseil »!!!
Vaste question en effet!