BloguesHugo Prévost

La perte de l’innocence

Le Globe and Mail a annoncé jeudi son intention d’instaurer un mur payant à l’automne pour l’ensemble de son contenu en ligne. Si la nouvelle ne surprend pas trop – après tout, de nombreuses publications l’ont déjà fait, y compris le Wall Street Journal, le New York Times, et Le Devoir, qui l’a toujours fait –, elle dénote plutôt du fait que les dirigeants des médias écrits traditionnels semblent se faire à l’idée (enfin!) que l’information gratuite ne fonctionne pas sur le web.

Cela aura pris dix ans, avec l’essai de multiples formules de facturation à la clé, mais le mur payant « cumulatif », où les internautes peuvent consulter un certain de nombre de textes avant de devoir payer un certain montant pour accéder à l’ensemble du contenu semble faire ses preuves, du moins pour le NYTimes.

Maintenant, certains d’entre vous pourraient affirmer – et avec raison – que cette stratégie de l’utilisateur-payeur risque de priver les médias de certains revenus ou, mieux encore, que la méthode du mur payant contrevient au précepte de la libre circulation de l’information, particulièrement à l’ère du web. À ceux-là, je répondrai que les murs payants ne sont effectivement pas la solution miracle à l’ensemble des problèmes du secteur des médias; les revenus en ligne ne sont souvent, dans la majorité des cas, pas encore suffisants pour rattraper les sommes perdues au fil des ans et revenir à un niveau de revenus d’avant la crise.

Je sais également très bien que cette prise de position est paradoxale de ma part, puisque je suis responsable d’un site d’information où les articles sont justement gratuits, et où les revenus ne proviennent que des quelques publicités qui sont affichées sur les différentes pages. D’autres services de nouvelles tentent également le coup du gratuit, se basant sur la possibilité d’une fréquentation élevée pour recueillir un maximum de clics et, incidemment, recevoir une somme considérable en revenus. Si cette méthode peut faire ses preuves dans certaines circonstances, j’estime qu’elle est vouée à l’échec dans la majorité des cas, puisque les internautes disposeront soit d’un bloqueur de publicités, ou n’auront simplement pas envie de cliquer sur les publicités en question.

Les médias traditionnels doivent ainsi perdre leur innocence et cesser de penser que le seul fait d’avoir un certain nombre de lecteurs permettra de subvenir à l’ensemble des besoins d’une salle de rédaction classique. Après tout, si Voir obtient 5 $ par 1000 impressions pour une publicité, il faudra 200 millions d’impressions pour obtenir seulement 1 million $ en revenus publicitaires. Ce n’est sans doute pas la meilleure offre disponible sur le marché, mais vous avez ainsi une petite idée des efforts nécessaires pour amasser de l’argent en ligne.

Personnellement, je n’aurais aucun problème à débourser quelques huards par mois pour avoir accès à l’intégralité du contenu en ligne d’un journal qui offre des articles de qualité et de l’information pertinente. Se renseigner sur ce qui se passe ici et ailleurs a malheureusement (ou heureusement) un prix : celui d’offrir un salaire décent aux hommes et femmes qui œuvrent à nous informer tous les jours.