BloguesHugo Prévost

Tirer sur le messager

Peut-être devrais-je m’abonner au câble. La réflexion est quelque peu surprenante, me direz-vous, pour une personne dont le métier est non seulement d’informer, mais également de s’informer. Certes, il y a toute l’ampleur des Internets à portée de souris, avec l’abondance de nouvelles, de reportages, d’analyses et d’articles que cela suppose; mais en temps de crise, un peu de recul est sans doute apprécié.

Recul? Je m’explique : nous vivons à une époque formidable, dixit mon confrère Jean Dion du Devoir. Formidable, parce qu’il est désormais possible de suivre en direct les tribulations, si je puis les appeler ainsi, des étudiants et des policiers, et ce en utilisant seulement un lien Ustream. Désormais, grâce à une caméra vidéo, voire même un téléphone cellulaire disposant d’une bonne connexion Internet, le public se retrouve au premier rang d’une ligne de piquetage, ou reçoit une bonne giclée de gaz poivre comme le caméraman de la télévision universitaire de Concordia.

Avec Twitter et Facebook, bien entendu, c’est la déferlante. Les mots-clic #manifencours et #ggi ne sont plus un secret pour personne, et il est désormais possible de suivre le déroulement des manifestations en gardant un œil sur Twitter, et l’autre sur une chaîne d’information continue. L’avantage des médias traditionnels n’est donc plus l’accessibilité en tout temps – d’autant plus qu’à ma connaissance, RDI ou LCN ne diffusent pas en direct sur Internet, sauf exception.

Après 14 semaines de grève étudiante (ou boycott, selon votre interprétation), les médias traditionnels semblent toutefois conserver un avantage indéniable; celui de l’analyse. Au-delà des lignes de piquetage et des affrontements entre protestataires et policiers casqués, voire masqués, il est essentiel d’expliquer et de détailler au maximum les tenants et les aboutissants de la situation. Si informer est important, encore faut-il être en mesure de comprendre ce qui se déroule sur le terrain, et non uniquement le montrer.

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Parlant du travail des médias, le conflit étudiant semble désormais s’être étendu à la profession journalistique. Depuis quelques jours déjà, on parle de menaces envers des reporters, d’entrave au travail des journalistes, voire d’un manifestant qui aurait déclaré, selon Félix Séguin, « avoir beaucoup de respect pour un militant qui tuerait un journaliste ». Si la situation semble s’être aggravée avec la recherche des suspects des événements survenus dans le métro de Montréal la semaine dernière et l’arrivée sous les projecteurs médiatiques du groupe Force étudiante critique, l’intimidation envers la presse remonte malheureusement au début du conflit, alors que certains manifestants et représentants des forces de l’ordre s’en sont pris aux membres des médias.

Ma consœur de La Presse Rima Elkouri a d’ailleurs signé un texte intéressant  sur la question, où elle indique (je paraphrase) qu’il est important d’établir une distinction entre le traitement journalistique des « attaques » du métro et la liberté de presse – et donc le travail des journalistes en lui-même.

À cela, un de mes amis a déclaré sur Facebook qu’il existait un « filtre » journalistique chez certains médias, filtre qui viendrait « déformer » la réalité des faits. Si l’argument est loin d’être nouveau, peut-être faut-il encore y consacrer du temps et réfléchir sur la question. Après tout, cela concerne encore l’objectivité journalistique… à croire qu’il ne sera jamais possible de faire le tour de la question (ce qui n’est sans doute pas très éloigné de la vérité).

Est-ce que des médias peuvent succomber à la tentation de la facilité et couper les coins ronds en parlant de la grève étudiante, ou de tout autre sujet? Tout à fait. Est-ce suffisant pour déclarer que les médias sont des « délateurs » ou des « vendus » du système? Absolument pas. Sans une presse libre, il n’y a que peu ou pas de vie démocratique. Sans une presse libre, l’État a la possibilité de faire ce qu’il veut, et ce sans être véritablement inquiété par l’opinion publique.

La profession journalistique est fondamentale dans une société moderne, et le travail accompli par l’ensemble des médias dépasse les quelques gaffes et dérives possibles de certains. En privant les journalistes de la possibilité d’exercer leur travail, c’est tout un aspect de la démocratie qui est tenu dans l’ombre. Et cela n’avantage certainement personne.