BloguesHugo Prévost

Du pain et des jeux

Il est fascinant de constater, avec le recul, à quel point les scénaristes et scripteurs éprouvent régulièrement de la difficulté à produire des films et des séries télévisées crédibles (et intéressants) sur le journalisme. Ce genre de bijou existe, bien entendu, mais pour chaque All The President’s Men – qui donne franchement envie de se mettre au journalisme d’enquête –, il faut aussi endurer des inepties ou des tentatives ratées. Est-il si difficile de rendre compte, à l’écran, de la vie des travailleurs de l’information?

En un mot comme en cent, oui. Le journalisme, comme bon nombre de métiers, possède une certaine image romantique qui est accolée à la profession depuis ses tout débuts. Qui n’a jamais rêvé, en effet, d’être envoyé sur le terrain pour faire éclater la vérité au grand jour, de débusquer des scandales et des hommes politiques véreux, ou encore de couvrir un conflit, le tout au nom du droit du public à l’information? All The President’s Men, en ce sens, est un exemple parfait de ce côté, avec l’opposition sans faille de reporters dévoués et d’un président ayant trempé dans des magouilles honteuses.

Comme bon nombre de métiers, le journalisme est aussi un métier d’attente. Attente de textes provenant du fil de presse, attente d’un retour d’appel, attente d’un bon sujet… Imaginez un film, ou ne serait-ce qu’un épisode de télévision de 22 minutes où les personnages seraient coincés dans une salle de rédaction, les yeux rivés sur leur écran ou sur la télévision, en attente de quelque chose à rapporter. Pas très réjouissant, n’est-ce pas? Voilà pourquoi, comme toute bonne structure narrative qui se respecte, celle d’une télésérie ou d’un film sur les médias comprend son lot de développements personnels entre les acteurs. Une amourette par ci, une histoire de blessure émotive ancienne par là… Il faut bien meubler, que diable!

L’exemple qui vient en tête de beaucoup de Québécois est bien entendu Scoop, autant pour son approche du journalisme écrit que pour ses péripéties franchement abracadabrantes. Sans vouloir gâcher vos rêves, le nombre d’anciennes joueuses de tennis filles de patrons de la presse qui travaillent dans les médias doit tendre vers zéro. Imaginez, aussi, une version modernisée d’une série télévisée dans un journal : à la moitié de la saison, 50 pour cent des effectifs seraient mis à la porte parce que le journal éprouve des difficultés financières, tandis que de jeunes stagiaires seraient embauchés pour comprendre ce qu’est cette étrange chose que l’Internet, ou encore passer leur temps à retweeter les grandes agences de presse qui publient des scoops. J’ai une vision un peu sombre de la chose, certes, mais la dématérialisation des médias semblent être en voie de tuer dans l’oeuf toute possibilité de bon film ou bonne série télé sur la profession journalistique. Dans State of Play, en 2009, Russel Crowe interprète un vieux routard des médias qui se retrouve aspiré dans une sombre histoire de meurtre et de machinations politiques. On lui adjoint une petite jeunesse, une blogueuse, que Crowe aura vite fait de faire sortir de la salle de rédaction (forcément), pour lui faire découvrir la « vraie vie » d’un journaliste.

Les mêmes critiques peuvent être adressées à The Newsroom, la nouvelle série d’Aaron Sorkin, l’homme entre autres derrière la très bonne télésérie The West Wing. Les critiques sont déjà nombreuses sur les premiers épisodes de cette série qui dépeint la vie dans une chaîne d’informations télévisées, avec Jeff Daniels dans le rôle principal, et je ne m’étendrai pas longtemps sur le sujet. Suis-je cependant le seul à avoir trouvé que la partie la plus crédible de ce premier épisode concerne le moment où les journalistes sont véritablement au travail? Lorsqu’ils sont dans le feu de l’action pour tenter d’obtenir des informations sur l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon, plutôt que lorsque M. Daniels et son ancienne flamme s’engueulent et discutent de façon confuse de l’orientation idéologique que devrait adopter l’émission. J’ai beau pratiquer le métier depuis déjà un certain moment, voir tout tomber en place juste avant le bulletin de nouvelles provoque toujours un petit frisson dans la région, comme dirait Jean Dion, du Devoir.

Serait-il envisageable de reprendre le collier au Québec et de produire une vraie bonne télésérie sur le journalisme? Qui aborderait – simple suggestion – la fameuse crise des médias? Les débats idéologiques? La pseudo-guerre entre les empires de presse? Les relations entre les gens du milieu et les responsables des communications, par exemple? Comme il semble particulièrement ardu de vider ces différentes questions dans la vraie vie, un peu de fiction bien tournée permettrait peut-être d’enfin crever l’abcès.