BloguesHugo Prévost

Un peu de poutine

L’argument «tel ou tel média est plus “près du peuple”» a-t-il raison d’être? Comprenons-nous: je ne veux pas m’impliquer dans ce qui ressemble fort bien à une guerre éternelle entre les trois principaux empires médiatiques québécois. D’ailleurs, le sujet n’est pas que québécois: ces médias «populaires» sont après tout nombreux partout sur la planète, et rien ne nous empêche de sortir de ce huis clos canadien-français pour s’élever un peu au-dessus de la mêlée.

Ah, ce peuple… Tous semblent savoir ce qu’il veut, ce qu’il pense, ce qu’il désire faire de son argent et de son temps. On dépasse bien entendu ici le strict cadre journalistique, mais il est intéressant de noter qu’il a le dos large, ce peuple. La connotation est d’ailleurs plus souvent qu’autrement négative, comme si la généralisation impliquait nécessairement un abrutissement des masses. D’ailleurs, il s’agit d’un terme dérogatoire utilisé par les médias «bourgeois» qui lance du «populiste» à gauche et à droite, tandis que les médias visés, eux, s’ennorgueillissent du qualificatif, se targuant d’être «près du peuple» et d’avoir à coeur l’intérêt des «petites gens».

Je me permets ici une courte parenthèse sur ce «populisme»: n’est-il pas remarquable, sous couvert d’assurer que le peuple ait droit aux «vrais informations», qu’on le bombarde de nouvelles plus souvent qu’autrement manipulées en coulisses pour faire passer un message, ou qu’on l’expose carrément – dans le cas de Fox News, entre autres – à des mensonges éhontés et à une propagande politique honteuse? Personne n’est parfait, certes, mais les médias «populistes» sont étrangèrement plus souvent pris à partie en raison de leur utilisation de méthodes douteuses.

Revenons toutefois, si vous le voulez bien, au coeur du problème. Ces médias, qui se disent près du peuple, offrent-ils véritablement des informations touchant plus directement la classe moyenne, ou s’agit-il d’un simple argument de vente? En clair: peut-on vraiment prétendre à la représentation des intérêts d’une partie de la population en choisissant spécifiquement d’adopter certaines méthodes de diffusion de l’information?

N’allez cependant pas croire qu’il s’agit ici d’une sortie en bonne et dûe forme contre certains médias bien précis; en fait, cette tendance peut également être observée (à un degré moindre) chez d’autres médias se disant destinés à un public plus intellectuel, et offrant un niveau et un type d’informations en conséquence.

Pour bien saisir l’ensemble des tenants et aboutissants du problème, toutefois, il est nécessaire de revenir à la mission première du journalisme. Quelle est-elle, exactement? S’agit-il seulement d’informer, de divertir, de mettre à jour des scandales? Si les médias et les journalistes qui y sont employés font grand cas de la nécéssité de défendre la liberté d’expression et le droit du public à l’information, se targuant même de représenter l’un des piliers de la démocratie, n’est-il pas alors nécessaire, pour respecter cette prétention, d’offrir effectivement un ensemble d’informations permettant au citoyen lambda d’effectuer un choix éclairé lorsque vient le temps de se choisir un ou des dirigeants?

Je ne parle pas ici de favoriser un parti ou un autre, ou encore une idéologie plutôt qu’une autre pour divers motifs et raisons. Non, je parle plutôt uniquement d’amener les citoyens à effectuer un choix éclairé, qu’il s’agisse de voter pour le Parti québécois, les libéraux, les caquistes, les verts, les solidaires, le Parti chanceux, le Flying Spaghetti Monster ou Barney le dinosaure.

À voir le taux de participation des dernières élections, tant au fédéral qu’au provincial ou au municipal, je me dis que les médias, dans leur ensemble, font un travail assez quelconque en ce sens. Et encore, je ne parle pas des élections scolaires! Difficile de croire, alors que les journaux, radios et chaînes de télévision excellent à faire «sortir le vote», ou aient convaincu près de la moitié de la population de s’abstenir.

Bien entendu, les médias ne servent pas qu’à amener les gens à voter à tous les quatre ans, ou d’ici les 18 prochains mois, rappelle-t-on au sein d’une certaine formation politique – et c’est tant mieux. Après tout, la santé d’une démocratie ne se mesure pas seulement à son taux de participation électoral, mais plutôt à la vivacité de ses échanges d’idées, de son brassage de valeurs sociales et de ses discussions publiques entre acteurs sociaux, politiciens et autres penseurs.

En ce sens, je dois franchement avouer qu’il y a bien peu de place laissé au débat dans les médias dits «populaires», ou même aux échanges d’idées. Oh, il y a des discussions, certes, mais souvent avec des participants partageant toujours sensiblement les mêmes idées. Au final, donc, ces médias «populaires» et «proches du peuple» sont incapables de profiter de leur position privilégiée dans leurs marchés respectifs pour faire véritablement découvrir les tenants et les aboutissants de la société sous toutes ses formes, se contentant de ressasser les mêmes diatribes contre les artistes, l’État, les gens de gauche…

N’allez cependant pas croire que ces médias populaires sont inutiles; après tout, ils sont eux aussi capables de sortir des scoops, d’offrir des analyses sensées ou d’offrir des nouvelles diffusées nulle part ailleurs. Les autres médias, quant à eux, peuvent également effectuer un travail bâclé, donner de mauvaises informations ou se tirer dans le pied en effectuant de grossières erreurs.

Ce que j’estime indéniable, cependant, est que ces médias «populistes» se sont avérés incapables de contribuer à renforcer l’une des fondations du journalisme, préférant s’enfermer dans un univers de contenu dicté par les hautes instances, plutôt que par le désir de transmettre des faits. Il est donc facile de déclarer que cette affirmation voulant que ces médias soient proches du peuple n’est qu’une tactique bassement commerciale utilisée à tort et à travers pour écouler des copies, augmenter son audimat ou, pourquoi pas, offrir tout simplement un large public à ses annonceurs pour que ceux-ci vendent leurs produits.

Pour un métier qui devrait, selon moi, représenter une pierre d’assise pour que la population soit plus informée – et donc, ultimement, plus apte à comprendre le fonctionnement de la société -, il s’agit là d’un échec qui fait bien peine à voir.