BloguesHugo Prévost

Bell-Astral: une occasion ratée

Alors que les journalistes – et la classe politique – se concentraient la semaine dernière sur la succession de Jean Charest à la tête du Parti libéral du Québec et sur l’arrivée au pouvoir du gouvernement péquiste de Pauline Marois, les audiences du CRTC sur l’offre d’achat d’Astral par Bell étaient largement confinées au secteur économique et à celui des télécommunications.

Pourtant, avec l’ambition avouée de Bell de créer une chaîne de nouvelles télévisées venant faire concurrence à RDI et à LCN, appartenant respectivement à Radio-Canada et à TVA, il y aurait là matière à une intervention de la FPJQ, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Cela sans parler de l’achat des stations de radio d’Astral et de la part du lion que Bell possède déjà dans les secteurs radiophonique, télévisuel et sur le web. Et pourtant, rien.

À voir Québecor et son président Pierre-Karl Péladeau s’égosiller pour dénoncer cette «concentration impensable de la presse» (ou quelque chose d’approchant), l’occasion aurait été idéale pour entamer un véritable débat sur ces fameux 35 pour cent de parts de marché que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a établi comme le plafond à ne pas dépasser dans un secteur précis. Après tout, comme cela a été ironiquement souligné par les responsables du CRTC eux-mêmes – et de façon totalement attendue par l’éditorialiste André Pratte de La Presse -, Québecor occupe déjà une place monumentale dans quantité de secteurs au Québec, y compris dans le domaine du journalisme et des médias.

Au lieu de cela, au lieu du débat qu’il est urgent d’avoir depuis 10, voire 15 ans sur la concentration de la presse au Québec comme au Canada, c’est un silence radio quasi total. La discussion sur la concentration sera demeurée à l’intérieur de normes dictées par les chiffres, le strict poids des parts de marché et les considérations platement commerciales. Exit la question de la précarité du métier de journaliste, exit les possibilités d’embauche.

Bien entendu, ces audiences publiques du CRTC ne portaient pas spécifiquement sur la question du journalisme, mais l’occasion aurait été belle pour crever l’abcès qui ronge la profession, ou, du moins, pour l’entailler un peu. Cessons d’ailleurs là cette analogie suputante.

Dans le même ordre d’idées, si je ne suis franchement pas surpris que la ministre sortant Christine Saint-Pierre n’ait pas agi pour lutter contre la concentration de la presse au Québec avant de se retrouver sur les banquettes de l’opposition, je n’ai pas souvenir que le Parti québécois ait intégré des engagements en matière de journalisme et de diversité des médias lors de la campagne électorale. Cela n’est pas étonnant non plus: le journalisme soulève rarement les passions à l’extérieur du métier, et ce n’est certainement pas en s’en prenant à l’empire Québecor que l’on s’assure une couverture journalistique positive en vue d’élections.

Malgré tout, j’aimerais entendre Mme Marois et ses futurs ministres en ce qui concerne le quatrième (ou est-ce le cinquième?) pouvoir. Va-t-on ressusciter le rapport Payette, qui apportait déjà quelques éléments positifs, sans toutefois s’attaquer à l’éléphant dans la pièce? Ira-t-on de l’avant avec le services de nouvelles régionales sur le site Internet de Télé-Québec?

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Parlant de concentration de la presse, le chroniqueur Martin Leclerc signe ici un excellent texte sur le contrôle du message dans le contexte du lock-out de la LNH. Non seulement la ligue elle-même dispose de moyens pour faire pression afin de bloquer la couverture médiatique négative, mais les grands propriétaires de médias, au Canada comme aux États-Unis, sont souvent actionnaires, voire propriétaires d’équipes de hockey, qui rapportent de grandes sommes d’argent.

Cet article devrait donner à réfléchir aux gens du CRTC…

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Petit plaisir coupable, enfin, à l’écoute de la première saison de la série The Newsroom. Le premier épisode était plutôt tiède, mais cette nouvelle création d’Ian Sorkin aborde certaines problématiques très intéressantes du monde journalistique, telle la fiabilité des sources, le désir d’être le premier à sortir la nouvelle, ou encore les conflits d’intérêts entre un média et sa compagnie mère.

Par ailleurs, si les intrigues amoureuses et sentimentales sont abradacabrantes, on ne peut s’empêcher d’éprouver une grande satisfaction à voir enfin un (faux) média s’en prendre aux illuminés du Tea Party américain. Si certains vrais médias américains et d’un peu partout ailleurs dans le monde ont tiré à boulets rouges sur cette mouvance politique très à droite des républicains, les grands noms aux États-Unis ont surtout fait preuve de complaisance face à ce ramassis d’ignorants et de personnalités quasi-sectaires ayant transformé la course à l’investiture républicaine en véritable farce faisant douter de la solidité de la démocratie chez nos voisins du Sud.

Attendons voir la deuxième saison pour voir de quelle façon l’équipe de Newsnight traitera les grands sujets médiatiques de l’heure et les problèmes affligeant la classe journalistique américaine, mais aussi mondiale.