BloguesHugo Prévost

Le média, ce temple

L’idée m’est venue, alors que j’envisageais de réaliser un projet un peu fou consistant à photographier les devantures de divers journaux et autres médias d’un peu partout à Montréal, et pourquoi pas ailleurs sur la planète. Le tout aurait un titre simple, Temples. En vérité, j’avais surtout en tête cette image de la tour de Radio-Canada à l’arrière du clocher d’une église située tout près. Ou encore celle de la devanture majestueuse du New York Times, dans la métropole new-yorkaise.

Petit à petit, cependant, j’en suis venu à considérer qu’au-delà de la simple apparence visuelle, au-delà des bâtiments monolithiques ou des enseignes gigantesques, les médias ont effectivement beaucoup de liens communs avec la religion, tout en se situant à la fois à l’extrême opposé du spectre des valeurs prônées. Mais est-ce vraiment le cas?

En fait, si ma mémoire est bonne, la presse à commencé à se développer alors que l’emprise de la religion se relâchait peu à peu sur les sociétés occidentales. Les premiers véritables journaux n’ont-ils pas fait leur apparition lors de la Révolution industrielle, lorsque le progrès technologique a pris le pas sur l’obscurantisme. Certes, ce même obscurantisme avait déjà commencé à s’effacer durant le siècle des Lumières, mais la mise sur pied de principes d’automatisation aura certainement servi à assurer la naissance des presses journalistiques telles que nous les connaissons aujourd’hui. Et avec elles sont apparus des moyens de production abordables et rapides pour diffuser l’information.

Par ailleurs, existe-t-il une presse véritablement libre dans les pays où la religion (ou l’oppression étatisée, pour parler des régimes communistes de Chine, de Cuba et de la Corée du Nord) est omniprésente?

Et pourtant, autant les médias se multipliaient au fur et à mesure que les églises se vidaient, autant les journaux, et plus tard les stations de radio, de télé, voire les sites Internet, proposent une nouvelle Vérité répandue auprès des fidèles au moyen de canaux de distribution révolutionnaires.

Attention, il ne faut cependant pas lier la Vérité transmise par les médias à celles des principaux courants religieux. Dans un bon média, au sein duquel les journalistes tentent d’atteindre cette insaisissable objectivité, cette Vérité peut être appelée à changer à toute heure du jour ou de la nuit. Elle est modifiée à chaque fois qu’une décision est prise aux Communes, ou qu’un terroriste se fait sauter au Moyen-Orient. Contrairement aux religions monothéistes, où la Vérité consiste la plupart du temps à réinterpréter des textes vieux de plusieurs centaines, voire de plusieurs milliers d’années, les médias peuvent s’adapter, changer, évoluer.

Malgré tout, en voulant remplacer le sermon par le bulletin télévisé, le bulletin paroissial par le journal hebdomadaire, le livre saint par d’innombrables ouvrages sur les normes journalistiques, les médias ont créé une nouvelle classe de fidèles, qui n’hésiteront pas à verser l’équivalent de la dîme pour recevoir les bons enseignements des prêtres et des prédicateurs ayant oeuvré derrière une dactylo, et qui sont aujourd’hui campés devant un clavier et un écran d’ordinateur, ou sur le clavier d’un téléphone BlackBerry.

Si, heureusement d’ailleurs, aucun média n’a encore commandité de croisade pour aller punir les infidèles, le domaine comporte lui aussi son lot de prophètes, prédicateurs, prêtres et charlatans de toute sorte, qui n’hésitent pas à modifier les faits ou à les adapter à leur vision du monde pour parvenir à leurs fins. Pire, nous vivons notre propre Apocalypse! Au lieu de chariots de feu et d’anéantissement biblique, cependant, nous avons une perte de revenus, l’érosion de la liberté de presse et la disparition des médias indépendants.

Peut-être vais-je trop loin dans la comparaison. Il n’empêche qu’à l’instar des églises du Québec, les médias devront s’adapter rapidement pour éviter que ces temples de l’information ne se retrouvent aussi vides que leurs homologues chrétiens.

D’ici-là, allez en paix, et que le pupitreur soit avec vous.