BloguesHugo Prévost

La déconnexion

Le confrère du Devoir Fabien Deglise parlerait de «mutations»; j’ai plutôt envie de parler de distanciation de la réalité. Pourquoi donc? Tout simplement parce que j’ai la très forte impression que le journalisme, pratiqué de certaines façons, entraîne une déconnexion avec la «vie réelle» des gens.

Je m’explique: il m’est arrivé, récemment, de m’emmêler les pinceaux et d’accéder à la demande de deux journalistes de Pieuvre.ca qui désiraient toutes deux assister au même spectacle. Ayant attribué la paire de billets à l’une plutôt qu’à l’autre, j’ai dû me résoudre, une fois ma gaffe constatée, à acheter un troisième billet pour contenter tout le monde. Quelle ne fût pas ma surprise de constater que la culture coûte particulièrement cher dans certains cas.

N’allez tout de même pas croire qu’à force de sorties culturelles, j’en soit arrivé à oublier que tous ces spectacles, concerts et autres projections de presse n’étaient gratuits que parce que je m’engageais tacitement à produire une critique ou un article par la suite. Toutefois, comme la rédaction de textes journalistiques est après tout mon métier, et que tout contenu supplémentaire est toujours apprécié pour Pieuvre.ca, il y a effectivement une certaine perte de repères monétaires en ce qui à trait aux événements culturels. Après tout, mon premier réflexe, en entendant parler d’une exposition, d’un lancement ou de tout autre événement du genre qui m’intéresse n’est plus de vérifier si mes fonds me permettent de m’acheter un billet, mais si je suis en mesure de trouver rapidement les coordonnées du responsable des relations média pour obtenir un laissez-passer.

Est-ce du snobisme médiatique? En faisant abstraction du fait que je ne reçois aucun salaire comme rédacteur en chef et journaliste de Pieuvre.ca, je considère plutôt qu’il s’agit d’une sorte de rétribution pour services rendus, en plus d’être tout simplement un aspect de mon travail. Après tout, les critiques culturels ont comme tâche d’assister à des événements dans ce secteur et d’en rendre compte; ce n’est d’ailleurs pas comme s’il s’agissait, à chaque fois, de chef-d’oeuvres…

Le fait d’axer la quasi-totalité de sa vie autour du journalisme a cependant d’autres impacts moins glamour – ou moins dignes de La misère des riches. Les horaires souvent atypiques d’un boulot de surnuméraire à La Presse Canadienne, couplés à ceux de Pieuvre.ca provoquent la création d’une certaine bulle spatio-temporelle dont il est parfois difficile de sortir.

Voulez-vous des exemples? Vous vous imaginez soudainement que tout le monde est non seulement muni d’un téléphone intelligent, mais que ces mêmes personnes sont constamment accompagnées desdits appareils, à vérifier s’il n’ont pas reçu de nouveaux courriels, messages texte, appels, etc.

Vous pouvez soudainement tomber sur un sujet de couverture franchement intéressant et tenter de contacter un journaliste pour le lui assigner, seulement pour vous rendre compte qu’il est désormais 23h, ou que la réponse que vous venez d’envoyer au relationniste après 17h, un vendredi, ne suscitera une réponse que le lundi suivant.

Pour le meilleur et pour le pire donc, il fait bon parfois revenir dans le “vrai” monde, ne serait-ce que pour constater que la journée de travail n’a souvent que huit heures, et non pas 12, ou encore 18. Et histoire, bien entendu, de payer vos billets de spectacles de temps en temps, question de faire rouler l’économie. Après tout, si vous voulez que les gens consomment des médias, encore faut-ils qu’ils soient capables de se les payer!