Le journalisme d’enquête se meurt.
Bon, cette branche du métier n’est certes pas sur le point de disparaître, mais les pressions sur ce genre journalistique sont de plus en plus fortes, dans un contexte rarement vu de baisse marquée des revenus publicitaires entraînant des compressions majeures dans les salles de rédaction.
Le refrain est bien connu: envoyer des journalistes en reportage à l’étranger coûte cher (très cher!), sans compter les assurances pour les zones de guerre, les risques de perte de matériel, les frais de logement… Pourquoi, d’ailleurs, dépenser toutes ces sommes pour des reportages sur une autre guerre anonyme dans un quelconque désert, ou sur d’autres prostituées plongées dans l’enfer de la drogue, alors que tant de nouvelles passent sous silence ici? Raison de plus, dans ce cas, pour garder des journalistes dans les grands centres, ou du moins au pays, plutôt que de les expédier à l’autre bout de la planète.
Bien entendu, il s’agit ici d’un sarcasme quelque peu généralisateur. Il est vrai, tout d’abord, que les baisses de revenus ont forcé un recentrage sur les activités médiatiques nécessitant des investissements moins importants. Il est également vrai qu’avec des dossiers comme la corruption, les revendications autochtones, les changements climatiques, et les transformations dans le paysage politique québécois, les médias ne manquent pas non plus de sujets à couvrir.
Ce qui est déplorable, toutefois, c’est que l’abondance de nouvelles sur la scène locale, provinciale ou nationale remplace pratiquement complètement l’actualité internationale. Le principe du mort kilométrique aidant, la prise d’otages en Algérie, par exemple, a suscité un tout nouvel intérêt lorsque les autorités algériennes ont affirmé que deux Canadiens faisaient partie des preneurs d’otages.
La guerre au Mali offre un nouvel exemple assez flagrant: l’attention est principalement portée vers Ottawa et la décision du gouvernement conservateur de prolonger son prêt d’un avion de transport C-17 à la France, tandis que les combats ne méritent qu’un entrefilet, ou sont rapportés par des agences de presse.
Ce désintérêt envers la chose internationale – et, incidemment, les reportages au long cours ailleurs sur la planète – est particulièrement bien résumé dans un segment dévastateur du Daily Show daté du 14 janvier. Le reporter John Oliver rencontre Kaj Larsen, reporter de terrain ayant déjà voyagé partout sur la planète pour CNN, et qui est désormais consultant pour… la télésérie sur le journalisme The Newsroom. Interrogé à ce sujet, Larsen répond que son ancien employeur a discrètement éliminé tout le financement pour le journalisme d’enquête, y compris les reportages internationaux.
Ce qui choque le plus, dans toute cette histoire, est que CNN est l’une des chaînes disposant d’une quantité impressionnante de fonds. Si le réseau a cédé la première place en matière d’auditeurs à Fox News, il a malgré tout pu compter, entre autres, sur du journalisme en profondeur, étayé et professionnel.
En choisissant ce repli sur soi, cependant, CNN (et les autres médias cédant à la facilité) commet une grave erreur. Après tout, l’actualité continue de le prouver: les événements se déroulent la plupart du temps à une échelle internationale. L’absence de bureaux à l’étranger signifiera certes davantage de revenus pour les agences de presse, mais en l’absence d’une diversité des voix, il sera d’autant plus facile d’oublier certains aspects des événements, éliminant du coup un aspect de l’histoire qu’il aurait peut-être mieux valu raconter.
Je vous entends déjà me dire que tout cela coûte cher. Je sais. Mais peut-être pourrait-on, en contrepartie, réduire certaines dépenses locales plus que farfelues? A-t-on absolument besoin de savoir, entre autres, que le 1er juillet est jour de déménagement, ou que d’incorrigibles dépensiers font la queue le 26 décembre pour profiter des rabais chez FutureShop? Si la mission du journalisme est véritablement d’informer sur les événements de partout sur la planète, il est plus que temps de commencer à faire de meilleurs choix. Après tout, l’avenir n’attend jamais.
J’ai beau avoir suivi un cours de journalisme 101, je ne m’explique pas pourquoi il faudrait rechigner à utiliser le travail des agences de presse. Ce sont de vrais journalistes aussi, non? J’en entends déjà me répondre qu’il est très important pour notre société d’envoyer nos journaliste car ceux-ci sont porteurs de notre sensibilité. Ça me semble un peu court comme réponse.
Dans les années 90, le Téléjournal diffusait parfois des reportages de France 2 sur les conséquences de l’embargo sur le peuple irakien. Parce que, ou bedon les journalistes québécois n’osaient pas se rendre dans ce pays, ou bedon les médias n’avaient pas l’argent nécessaire pour assurer le déplacement. Or, aujourd’hui, on ne voit plus de reportages de France 2 à Radio-Canada. Je me demande pourquoi. À l’inverse, si plus aucun média, nulle part sur la planète, ne fait plus de nouvelles internationales, serait-il farfelu de penser à s’en faire une spécialité et vendre aux CNN de ce monde images ou reportages?
Par ailleurs, vous analysez l’offre, mais pas la demande. Le problème vient peut-être en partie de cet autisme dans lequel s’enferme volontairement le bon peuple…
Je n’ai rien contre le travail des agences de presse. Mon principal employeur est d’ailleurs l’une d’elles. Ce que je dis, toutefois, c’est que si tous se basent sur le travail des agences de presse, l’ensemble des médias se retrouveront avec un seul texte, présentant un seul point de vue. Dans cette perspective, un peu de variété ne tombe jamais mal.
Merci de votre réponse, mais je réalise en la lisant que je me suis éparpillé et que j’ai noyé ma véritable interrogation. Au fond elle se résume à ceci : si les gens veulent vraiment de l’information internationale, pourquoi est-ce qu’on ne leur en offre pas? Vous ne pouvez me répondre qu’en tant que journaliste, alors je vais reformuler. Si les éditeurs et les réseaux de télévision manifestaient de l’intérêt réel pour autre chose que les proverbiaux chats écrasés, comment se fait-il qu’aucun journaliste à la pige n’ait allumé et, en se réclamant des lois du marché, ne se s’est dit que, libre de concurrence, il y a une grosse piastre à faire en faisant des articles qu’il pourrait revendre à la Terre entière?
Dans « Écrire pour vivre », Jean-Benoît Nadeau nous explique, pour nous Québécois, que nous sommes aux prises avec une certaine mentalité de gagne-petit. Soit. Mais le reste du monde?
A contrario, Frédérick Lavoie (aucun lien de parenté) n’est-il pas la preuve vivante que la crise résultant de l’absence d’information internationale n’est au fond, pour les journalistes, que la promesse de lendemains qui chantent? Il était encore ti-cul, mais déjà il était correspondant international… Je ne sais pas, toutefois, s’il vend ses articles à un autre média que La Presse, mais je sais qu’il devrait.