BloguesHugo Prévost

Prendre le temps d’arriver au Sommet

Plus que deux jours avant le fameux Sommet de l’enseignement supérieur, qui sera piloté par le ministre Duchesne, et qui occupe une bonne partie de la classe politique et de la société civile depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

Les médias ne font certainement pas exception: les propositions en vue de révolutionner l’enseignement supérieur pleuvent, et les journalistes n’ont qu’à tendre la main pour saisir des experts, des études et des mémoires de toutes formes. Gratuité, dés pipés, farce, indexation, gel, votes de grève, déclarations à l’emporte-pièce ou tirades mûrement réfléchies; le contenu journalistique abonde.

Et pourtant, les médias semblent être passés à côté d’une belle occasion d’exercer leur pouvoir d’”éducation populaire” sur les enjeux de fond de la société. Voilà du moins ce qu’avancent Florian Sauvageau et Simon Thibault, qui se sont penchés sur la couverture médiatique du conflit étudiant et du “printemps érable” dans son ensemble – l’attention médiatique envers le Sommet devant débuter lundi n’a sans doute pas encore été examinée, bien que la tendance n’ait pas dû profondément changer.

Le résultat? Dans une lettre publiée dans Le Devoir de mercredi dernier, ils expliquent que l’information a été fournie au compte-gouttes, au jour le jour, et que les raisons fondamentales de l’existence de cette crise étudiante et sociale ont majoritairement été occultées par la casse et l’esbroufe médiatique de l’ensemble des parties (je paraphrase).

“Les 59 participants aux six groupes de discussion, menés en juin par le sociologue Michel Lemieux, avaient pour la plupart augmenté leur consommation médiatique pendant le conflit. En revanche, et bien qu’ils aient été largement informés, voire surinformés au point d’en être saturés, plusieurs disaient toujours ne pas comprendre les « enjeux de fond » ; ce constat était, en fait, le « point central de toutes les remarques », souligne Michel Lemieux”, est-il écrit dans cette lettre. Celle-ci indique également que le taux de textes consacrés à l’analyse du conflit n’a que faiblement approché des 10 pour cent, et ce, encore, dans Le Devoir (avec 7 pour cent), tandis que ce taux avoisine les 2 pour cent au Journal de Montréal.

Au-delà des clichés qui viennent aisément à l’esprit, force est d’admettre que MM. Sauvageau et Thibault ont parfaitement raison: les médias se sont en effet concentrés sur le côté immédiat de la contestation. Pieuvre.ca n’est certainement pas en reste. Après tout, nous avions spécialement dépêché un photographe pour deux des manufestations… le sexe fait encore vendre, à voir le nombre de clics le lendemain et les résultats de recherche Google menant à notre site.

Là où je me questionne, c’est à savoir s’il appartient constamment aux journaux quotidiens d’explorer en profondeur l’ensemble des enjeux soulevés par un problème ou un dossier spécifique. Par définition, et les deux chercheurs l’expliquent parfaitement à la fin de leur lettre, les médias, quels qu’ils soient, sont limités en fonction des ressources dont ils disposent. Après tout, personne n’a une salle de rédaction de taille infinie avec un nombre tout aussi infini de journalistes. Il faut donc effectuer des choix, d’autant plus que l’actualité n’arrête pas de tourner pendant ce temps. En prenant de telles décisions, les questions analytiques se retrouvent souvent reléguées aux pages d’analyse ou de chronique, ou encore, dans le cas du Devoir, aux pages du cahier Perspectives durant la fin de semaine.

À ce compte, ne reviendrait-il pas aux publications hebdomadaires, bihebdomadaires, mensuelles et que sais-je encore, disposant d’un peu plus de recul médiatique, de s’intéresser a ces dossiers chargés? Le problème réside peut-être dans le dilemme entre le désir de tout savoir, immédiatement, et la nécessité de prendre du temps pour saisir, comprendre et disséquer les grandes questions de l’heure. Rome ne s’est pas bâtie en un jour.

Bien entendu, il est simple – et normal – de rejeter la faute sur un certain désir de sensationnel dans les médias. La situation est la même partout, et dépasse les simples frontières de l’information. Le renversant, l’étonnant et le choquant sont souvent plus vendeurs que l’articulé, l’analysé et l’examiné.

La solution? Peut-être quelques heures de plus dans une journée, ou encore un texte d’analyse sociale ou politique avec chaque journal acheté? Le temps, voilà ce qui fait défaut. Dans une société où chaque seconde semble compter et où, paradoxalement, les gens passent toujours plus de temps à se divertir, le gouvernement semble avoir compris que le temps, c’est de l’argent. Après tout, le Sommet durera une journée et demie. À quand le texte d’analyse journalistique?

PS: pour les intéressés, Le Devoir publie justement samedi un dossier sur le Sommet.