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FICFA, jour 3: la faute à Moncton

« Et je rêvais de Moncton, nostalgie d’un passé où j’avais compris que toutes mes mémoires se ranimeraient dans le refoule éternel de la Petitcodiac. »

Gérald Leblanc

La rivière Petitcodiac vue de la chapelle Saint-Anne de Beaumont à Memramcook.
La rivière Petitcodiac vue de la chapelle Saint-Anne de Beaumont à Memramcook.

Par-delà tous les obscurantismes et la réaction des commentateurs de l’amalgame, je poursuis ma route de festivalier à Moncton. Il faut l’avouer qu’il est difficile de demeurer concentré sur le cinéma pendant qu’il se trame une nouvelle forme de guerre, un nouvel effroi et que des kids de quinze ans  se font exploser dans des salles de concert avec comme seule certitude que la fin des temps est arrivé et qu’ils en sont les anges exterminateurs.

C’est donc avec une gueule de bois terrible qu’a débuté cette troisième journée au FICFA. Mais le FICFA avait encore une fois un remède à la mélancolie et un certain rempart contre le désespoir : un déjeuner de homards!

 

Les homards 2015 du FICFA.
Les homards 2015 du FICFA.

Je n’ai jamais ouvert la carapace du homard pour aller manger sa chair et ce matin je me suis mis sur mon 31, ce qui, je vais le réaliser plus tard, était une mauvaise idée. Dans la cuisine, j’apprends à disséquer cette variété de nephropidae en compagnie de Hugh Murphy, fondateur du ciné-club Far Out East Cinema et membre du jury long-métrage. Il m’explique bien comment découper les pinces, défaire le tronc et surtout à bien savourer la tête, pièce maîtresse de ce succulent festin matinal. Jamais je ne pensais apprécier autant le fait de manger un fruit de mer en me levant, un moment presque anthologique comme une épiphanie en forme de homard rédempteur.

Quel était le programme de cette journée au FICFA? Il y avait la Loi du marché de Stéphane Brizé Je suis à vous tout de suite de Baya Kasmi, Le garagiste de René Beaulieu et le très bel enchaînement du court-métrage Le nom que tu portes de Hervé Demers, (en première mondiale) et la plus récente Palme d’Or Dheepan de Jacques Audiard. Cette projection m’a permis de connaître l’univers du jeune cinéaste de 33 ans qui  présentait ici un quatrième court-métrage dans sa jeune carrière. Une entrevue sur ses prises de position esthétiques et sur la démarche qui a précédé son court-métrage me permettra de décoder un peu mieux un film que j’ai eu du mal à jauger.

Le cinéaste Hervé Demers s'adressant à la foule avant le projection de son film, Le nom que tu portes.
Le cinéaste Hervé Demers s’adressant à la foule avant le projection de son film, Le nom que tu portes.

L’histoire de ce film met en scène le duo père-fils Vlace Samar et Sasha Samar. Vlace est suspendu de l’école suite à une querelle et Sasha l’invite avec lui sur sa route de livraison. L’intrigue repose sur leurs regards qui ne se croisent pas sur un silence qui ressuscite des souvenirs filiaux.

« L’idée originale du film vient certainement du rapport avec mon propre père. Il livre du sang pour Héma-Québec comme Sasha dans le film. Le coeur de ce projet se retrouve synthétisé dans la scène où on retrouve le père de Sasha en Ukraine. Elle dévoile mes propres émotions quand je rends visite à mes parents et la déchirure qui est provoquée à chacun de mes départs. Ce rituel qui se répète à chaque fois a quelque chose de beau et de tragique à la fois. »

Beau et tragique à la fois comme ce festival, comme Moncton et Paris, triste et joyeux en même temps. C’est d’ailleurs ce qui ressortira de cette projection, un sentiment paradoxal de déception, d’impossible intégration et en même temps une incroyable justesse dans le propos et la vision des deux réalisateurs (Hervé Demers et Jacques Audiard). C’est en cela que le choix de programmer ces deux films ensemble fut un choix judicieux et bien équilibré, une projection à propos en ce lendemain de cuite monumental.

 

Dans le vol 8833, Moncton-Montréal

Un sentiment de cassure et de brutale séparation s’empare de moi, j’ai beaucoup de mal à quitter ce festival en grande partie dû à une exceptionnelle équipe et des gens d’une bonté et d’une culture éclectique. Dans ce Bombardier CRJ100/200 qui me fait planer à vingt-cinq mille pieds, ma tête tente de négocier avec un violent accès de fièvre amoureuse et une profonde crise géopolitique qui agite le monde. La France a entrepris d’intenses bombardements sur la Syrie pendant que Les Êtres chers d’Anne Emond est projeté sur le grand écran du Cineplex de Dieppe. Serrez ce soir très fort ceux que vous aimez et dites-vous qu’au moins tout cela n’est pas la faute à Moncton ni à Dieu ni aux hommes, tout cela est de la faute à l’ignorance et aux humiliations quotidiennes des gens écrasés sous le poids du capital. Tout cela trouve sa résolution dans la tendresse et dans l’écoute, mais également dans le combat quotidien que nous nous devons de mener afin de mener à bon port nos idéaux de justice, de tolérance et de société véritablement plurielle.