Culture et agriculture partagent plus qu’une même sonorité. Le lien entre les deux est profond. Les racines sont les mêmes. Et lorsqu’on entretient les deux, on est cultivé!
Fernand Dumont, ce fils d’ouvrier de Montmorency devenu grand penseur et universitaire, parlait de son passage d’une culture populaire vers une culture scientifique comme le «récit d’une émigration». Il qualifiait également la culture comme «le lieu de l’homme».
Je crois en effet que c’est à la fois la culture et l’agriculture qui départagent «l’homme civilisé» de l’homme disons moins évolué… Sans porter de jugement préjudiciable ou un regard méprisant sur les cultures nomades, reste que les grandes civilisations sont d’abord celles qui se sont sédentarisées et ont appris à cultiver la terre. Après, plus libérées de la faim, elles ont pu se consacrer à l’amour du savoir, de la connaissance, des arts, etc. On dit des peuples barbares qu’ils sont étrangers à la connaissance ou incapables d’apprécier les beautés de l’art… Mais on oublie d’insister sur le fait que c’est par la maîtrise patiente de la terre et la capacité de la cultiver que l’homme s’est éloigné de l’animal. De même, c’est par la culture au sens large que l’on peut encore distinguer l’homme des autres espèces vivantes.
Culture et agriculture…
Où en sommes-nous aujourd’hui? Quel est l’état de la culture et de l’agriculture au Québec? Dans notre société industrielle et mondialisée, de moins en moins de gens ont conscience de la provenance des aliments. (Dans mon quartier, des ateliers existent pour apprendre aux enfants que les carottes ne poussent pas dans les comptoirs d’épiceries). Et nos agriculteurs, presque tous lancés dans les méga-productions sont en pleine crise! Le Devoir révélait récemment que les producteurs de porcs, de bœufs, de veaux et de grains risquent littéralement de disparaître dans les prochains mois au Québec, sous la pression de la concurrence internationale qui réussit à «produire» à moindre coût avec des normes moins sévères… N’est-ce pas l’occasion de réfléchir à notre modèle agricole et de revenir à une agriculture plus modeste, plus régionale?
«Démondialiser», comme le scandait le candidat aux primaires socialistes françaises Arnaud Montebourg… En matière agricole, l’idée est loin d’être folle. C’est ce qui est au cœur du rapport Pronovost, qui réclamait l’abolition du monopole syndical de l’UPA et suggérait le développement d’une économie agricole tournée vers les produits du terroir et les marchés régionaux…
Ce discours n’est pas qu’une lubie de gauchistes écolos… Devant l’éventualité quasi-certaine d’une crise alimentaire mondiale, il devient impératif de nous assurer une plus grande souveraineté alimentaire. Et ce n’est pas qu’une question de sécurité collective, c’est aussi une question culturelle!
Imaginez ce que serait le Québec s’il y existait comme c’est le cas un peu partout en France des marchés de villages qui font vivre des centaines de familles, attirent les touristes, favorisent une vie communautaire forte et dynamique, engendrent un développement et une occupation du territoire, embellissent les paysages et contribuent à voir réémerger une culture culinaire du pays… Car cette culture culinaire a déjà existé. Il faut simplement la faire réapparaître et la remettre au goût du jour. Et cela a commencé. Un peu partout au Québec, des boulangeries, des fromageries, des micro-brasseries, des produits et des marchés régionaux de qualités émergent… Le problème est que nos subventions gouvernementales et notre modèle d’économie agricole demeurent axés sur l’exportation et la production industrielle. C’est ce virage vers une agriculture qui favorise la culture qu’il nous faut opérer.
J’ai voyagé plusieurs fois au Maroc dans des régions de grande pauvreté sur le plan matériel. J’y ai même vécu dans des familles que l’on pourrait qualifier de démunies. Mais vous savez quoi? Dans la plupart de ces familles, on savait faire son pain, on y cuisinait des repas qui flirtaient avec la gastronomie et on s’approvisionnait dans les marchés hebdomadaires du bled. La pauvreté dans ce cas-là est matérielle. Elle n’est pas culturelle.
Notre «production culturelle» est vive et diversifiée au Québec. J’en suis plutôt fier. Mais notre culture culinaire et notre agriculture ont encore du chemin à faire. Le timing est bon pour renforcer ce maillage entre culture et agriculture, puisque notre industrie agricole se meurt et qu’une multitude de petits producteurs passionnés émergent ici et là. Il nous faut les soutenir davantage.
Comme le chantait Pierre Harel dans Corbeau: «J’aime ça, j’aime ça, l’agriculture, faut que j’m’arrange pour que ça dure…»
Dans les années 55, un prof aux HEC nous répétait :
» N’oubliez pas que nous- québecois- nous avons tous encore du fumier sous nos bottines »
Heureusement que pour plusieurs cette réalité demeure.
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Monsieur Chénier à raison d’établir un rapport étroit entre culture et agriculture. Dans les deux cas, elles sont des activités porteuses de notre identité, de notre histoire et aussi de nos savoir-faire. Mais je dois absolument lui rappeler que les gouvernements de plus de 110 pays peuvent, depuis 2005, adopter des mesures de «protection» à l’égard des biens ou services de la culture, grâce à leur signature de la Convention internationale pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, une convention initialement élaborée et défendue ici, depuis le Québec, avec les Français, qui y ont vue la manière de faire contrepoids à la libéralisation du commerce de l’OMC. C’est entre autre grâce à cette convention que le CRTC peut imposer des niveau minimum de musique francophone à «nos» radiodiffuseurs. Un tel contrepoids n’existe pas en agriculture. Alors, insérés dans un marché toujours plus mondialisé, les agriculteurs n’ont pas beaucoup de choix. Soit ils «grossissent» pour faire face à la concurrence, et alors ils produisent en plus grande quantité, ou ils «rapetissent» et se «distinguent» avec des produits + rafinés ou des réseaux plus marginaux (marchés, paniers, etc.). Alors, M., est-ce que le regroupement de la mise en marché aussi apelée «mise en marché collective» défendue par l’UPA est le problème? Où est-ce que c’est le manque de protection des agricultures nationales causée par la faiblesse des gouvernements à les défendre, qui est le réel problème ? AUssi, la Commission Pronovost recommandait de ne pas intervenir par réglementation pour exiger aux détaillants qu’ils s’approvisionnent davantage auprès des agriculteurs du Québec. C’est pourtant par là que + de 90% des aliments vendus au Québec transit. Quel pouvoir de négociation restera aux agriculteurs face à ces immenses acheteurs que sont les Provigo, IGA et Métro de ce monde, lorsqu’on aura fini de briser le rapport de force des agriculteurs avec leur loi sur la mise en marché collective ? Vos constats sont bons M. Chénier, mais pas votre solution.
Les États ont encore la possibilité de définir leurs grandes orientations. Je parlais de la nécessité de démondialiser en matière agricole. Il nous faudrait effectivement comme vous le dites favoriser la création de circuits parallèles de distribution. Tous les villages du sud de la France ont leurs marchés hebdomadaires et cela contribue à créer là-bas une économie dynamique qui attire le tourisme et renforce la communauté… Et si le succès d’une telle démarche se concrétise, les grands distributeurs s’approprieront les produits de cette agriculture plus familiale, ce qui encore une fois renforcera l’économie des régions…
Poursuivre dans l’industrialisation de l’agriculture est une fuite en avant qui dépeuple nos régions, pollue notre territoire et endette nos agriculteurs, sans que ceux-ci puissent tirer leur épingle du jeu face à une concurrence qui réussit à avoir des coûts de production toujours plus bas…
Lire cet article qui en rajoute…
http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/344842/point-chaud-le-monde-rural-vit-un-profond-desarroi
pour en rajouter: http://www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/347027/crise-alimentaire-banalite-du-mal
Billet toujours actuel: http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/383391/des-tomates-plein-le-toit-ajouter-de-la-culture-dans-la-ville