Je suis allé voir Musique pour Rainer Maria Rilke au théâtre Denise-Pelletier. La pièce est assez réussie. Le texte de Sébastien Harrisson est intelligent et fait dialoguer deux époques, deux vies en questionnement. La scénographie est très belle, dépouillée. Les acteurs sont excellents. La mise en scène de Martin Faucher plaira aux jeunes publics visés par ce théâtre et c’est tant mieux. Faucher et les comédiens ont réussit à faire ressortir deux niveaux de langage, celui du jeune adolescent du temps présent, à l’accent québécois mais au phrasé malgré tout littéraire, et celui de Rilke et du jeune poète avec lequel il a entretenu une relation épistolaire, qui parlent davantage un français «international»…
Le principal défaut de la pièce, s’il faut en énumérer un, réside dans le fait que l’on utilise des micros pour projeter la voix des acteurs. J’ai tendance à croire que cette nouvelle tendance favorise une certaine paresse chez ceux-ci en ce qui concerne l’articulation et même le tonus nécessaire à la voix dans une salle de théâtre. Même un acteur de théâtre comme Albert Millaire avait parfois de la difficulté à se faire entendre clairement… Mais bon, ce problème de technique (micros ou voix trop faibles?) est sans doute de plus en plus répandu puisque les formations d’acteurs sont aujourd’hui davantage axées sur le cinéma et la télé, où les techniques de voix sont différentes de celles que l’on doit employer au théâtre… Il faut nécessairement moins «projeter» lorsque l’on joue pour l’écran que devant une salle pleine…
L’œuvre la plus connue de Rilke est au cœur du propos de la pièce. Lettres à un jeune poète de Rilke aborde la relation d’un jeune militaire rêveur avec son maître, l’écrivain et poète Rilke, mais on y dénote aussi une allégorie sur le difficile passage entre l’enfance et l’âge adulte. Le jeune demande au maître d’évaluer la qualité de ses écrits et le maître lui répond d’arrêter de se tourner vers l’extérieur et de plonger au plus profond de lui-même, pour vérifier si son besoin d’écrire de la poésie est essentiel, s’il ne peut vivre autrement. Si c’est le cas, sa vocation lui est ouverte… et il doit se déprendre de la critique des autres. Comme si le regard extérieur pouvait être une menace à notre authenticité.
Les thèmes de l’idéalisme du jeune soldat face à la dure réalité de la guerre (et de l’âge adulte) – ainsi que la notion d’un extérieur qui menace notre authenticité – abordés dans la pièce m’ont fait pensé au film de Spike Jonze: Scenes from the suburbs, tiré de l’univers du dernier album du groupe montréalais Arcade Fire. Dans le film, on survole la vie d’adolescents d’une banlieue entourée d’une base militaire. On peut y voir un conte rétro-futuriste sur l’innocence de l’enfance préservée par le milieu «ouaté» des banlieues, innocence et insouciance qui seront violemment brisées lorsque les jeunes entreront en contact avec les frontières de la ville, donc lorsqu’ils toucheront à l’âge adulte…
Cette thématique de la fidélité à ce qu’on est ou à ce qu’on croit être face aux contingences, aux exigences et aux responsabilités de l’âge adulte semble traverser les siècles et les œuvres. Tout comme celle du regard quelquefois «oppresseur» des autres sur la formation de notre identité. De Rilke (littérature du début du XXe siècle) à Arcade Fire (culture du rock indie du XXIe), on pourrait voir un fil conducteur…
Musique pour Rainer Maria Rilke est présenté jusqu’au 10 février à Denise-Pelletier. Scenes from the suburbs (disponible sur Vimeo ici) sera présenté au Musée de la civilisation de Québec les 24 et 31 mars, à 19h30.
http://vimeo.com/30559507