Comme plusieurs d’entre vous, je me suis procuré le «dernier né» de Leonard Cohen, Old Ideas.
Inutile de revenir sur la chaleur de sa voix, le côté semi-kitch-semi-gospel des chœurs féminins qui donnent une ambiance unique à sa poésie mise en musique de façon sobre mais enveloppante.
Je désirais plutôt revenir ici sur certaines thématiques récurrentes dans l’œuvre de Cohen, thématiques que j’ose appeler de façon non péjorative des obsessions:
- les relations amoureuses et plus particulièrement la force d’attraction que la femme exerce sur l’homme;
- l’importance du sacré et plus précisément les références au christianisme (original pour un juif bouddhiste…);
- les inquiétudes du poète à propos du déclin de la culture comme prélude à une certaine déshumanisation de la vie.
Ces «old ideas» traversent la carrière de L.Cohen: ses hymnes connus comme Hallelujah (reprise par trop de chanteurs et chanteuses, ce qui a eu pour effet de banaliser un quasi-chef d’œuvre) et The Future en témoignent.
Hallelujah est une sorte de prière qui rend grâce à la femme aimée et à l’extase sexuelle trouvée dans la communion de deux corps passionnés qui se donnent l’un à l’autre:
«Baby I have been here before
I know this room, I’ve walked this floor
I used to live alone before I knew you.
I’ve seen your flag on the marble arch
Love is not a victory march
It’s a cold and it’s a broken Hallelujah
Hallelujah, Hallelujah
There was a time when you let me know
What’s really going on below
But now you never show it to me, do you?
And remember when I moved in you
The holy dove was moving too
And every breath we drew was Hallelujah»
The Future est sans doute l’un des textes les plus forts écrits par Cohen à propos de ses inquiétudes sur l’avenir qui nous guette… Un avenir violent et vidé de tout ce qui constitue la beauté et la grandeur de l’humanité, entre autres la culture, la spiritualité, la compassion et l’amour. Ce texte a quelque chose qui évoque The road, écrit par Cormac McCarthy plusieurs années plus tard, car on y entend presque le cri assourdissant d’un monde brisé. Voici ce que nous chantait Cohen:
«Give me back my broken night
my mirrored room, my secret life
it’s lonely here,
there’s no one left to torture
Give me absolute control
over every living soul
And lie beside me, baby,
that’s an order!
Give me crack and anal sex
Take the only tree that’s left
and stuff it up the hole
in your culture
Give me back the Berlin wall
give me Stalin and St Paul
I’ve seen the future, brother:
it is murder».
Dans son dernier album, on retrouve plusieurs chansons qui évoquent le souvenir difficile d’un amour révolu ou plutôt d’une relation terminée à regret. Dans Darkness, Cohen semble évoquer le voile qui cache son émerveillement depuis qu’il a eu une aventure avec une fille plus jeune:
«I caught the Darkness, Drinking from your cup (…) I should have seen it coming, It was right behind your eyes, You were young and it was summer, I just had to take a dive, Winning you was easy, But darkness was the prize».
Dans Anyhow, il s’excuse d’une relation mal terminée:
«Have mercy on me baby, After all I did confess, Even though you have to hate me, Could you hate me less?»
Enfin, la chanson qui rassemble toutes ces obsessions – les femmes, le sacré et le déclin de la culture – serait Amen:
«Tell me again, When the day has been ransomed & night has no right to begin, Try me again, When the angels are painting And scratching the door to come in, Tell me again, when I’m clean and I’m sober, Tell me again… Amen. Tell me again, When the filth of the butcher Is washed in the blood of the lamb, Tell me again, When the rest of the culture Has passed thru’ the Eye of the Camp… Tell me again… Amen».
Ce que j’appelle ici les obsessions de L. Cohen sont en fait des thèmes communs aux plus grands artistes. Ils traversent l’oeuvre complète d’écrivains comme Pierre Vadeboncoeur et Romain Gary. Ils sont au coeur des poèmes de Gaston Miron. On les retrouve aussi dans le film Paris, Texas de Wim Wenders. Ce sont aussi les «vieilles idées» de mon père, peintre et philosophe… :
- la complexité de l’amour qui nous fait tanguer entre passion et dévotion;
- l’angoisse de chacun devant la mort ou l’avenir et le vide qui nous guette si nous ne croyons en rien;
- le risque de glisser dans une vie où la culture disparaît et laisse donc toute la place à la laideur plutôt qu’à la recherche de la beauté. Comme si sans culture, nous nous rapprochions de l’état de nature ou pire, de la barbarie… (C’est pourquoi j’évoquais La route de McCarthy…)
Merci à Leonard Cohen de nous entretenir de ses obsessions et de nous les partager avec tant de chaleur…
Sincerly, a friend.
Bien dit.
Voici une entrevue avec Thomas de Koninck, qui rejoint les préoccupations de Cohen et celles que j’évoquais dans ce billet: lorsque la culture recule, la barbarie avance…
http://www.ledevoir.com/politique/canada/342582/point-chaud-un-mepris-total-de-l-humain