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Tous pareils, les Présidents?

Mon billet précédent a fait émerger un échange intéressant entre «voisins du web» à propos de ce qui distingue vraiment les politiciens les uns des autres, particulièrement aux USA. En partant du fait que je ne parlais pas de la candidature de Ron Paul dans mon billet, la discussion a tourné vers cette assertion qui dit que tous les présidents finissent par se ressembler et que dans le fond, seules quelques nuances, surtout langagières, les séparent les uns des autres…

Je ne suis pas en accord avec un tel discours.

Bien sûr, j’ai moi aussi remarqué le fait que nos politiciens modernes, parce qu’ils fondent en partie (certains en totalité…) leurs discours sur des sondages et des focus groups, finissent par se ressembler. Et il faut aussi prendre en compte les consensus forts qui ont dominé à certaines époques – le néolibéralisme depuis les années 1980, les politiques keynésiennes entre 1945 et 1970 – pour effectivement remarquer que des constantes traversent les différents partis et donc les différents présidents en exercice.

Un autre argument qui a sans doute milité pour cette croyance que je crois erronée mais qui avance que «de Nixon à Obama, c’est blanc-bonnet, bonnet-blanc» est que par delà les personnalités individuelles, il y a de fortes contraintes institutionnelles aux USA. Il faut effectivement prendre en compte la capacité limitée qu’a un président dans ce pays de changer complètement la donne et d’opérer un virage radical en matière politique. En effet, le régime présidentiel américain est construit sur le principe du «check and balance» (poids et contrepoids) entre les différents pouvoirs de l’État. Les pouvoirs législatifs (le Sénat et la Chambre des représentants) comme judiciaire (les cours de justice et ultimement la Cour suprême) sont de réels obstacles à cette capacité de l’exécutif (le Président) d’insuffler une direction nouvelle au pays… Comme si le système avait été bâti pour limiter la grandeur des présidents.

Or, puisque le Président doit négocier tous ses projets de loi avec les deux chambres du Congrès et qu’il n’y a pas de discipline de parti stricte aux USA, la marge de manœuvre du Président est loin de celle que détient notre premier ministre dans le système parlementaire de type britannique! Chez nous, le facteur de la personnalité joue donc encore plus qu’aux USA en ce qui concerne le changement politique… (Pensez à l’importance de Pierre Elliott Trudeau pour le Canada !)

Une fois que l’on a compris ces différentes raisons qui favorisent sans doute un nivellement des différences entre les présidents aux USA – leurs réalisations finissant par être le fruit de durs compromis – on doit toutefois reconnaître que les individus font souvent la différence

Mais là encore, c’est le contexte politique qui permet généralement à un Président d’opérer des changements significatifs:

  • FDR a traversé la crise des années 1930 et la 2e Guerre mondiale, ce qui lui a permis d’opérer ses grandes réformes politiques et sociales;
  • l’assassinat de Kennedy, combiné au mouvement de la contre-culture et à celui des droits civiques a favorisé la fin de la ségrégation aux USA sous L.B. Johnson;
  • le déclin perçu des USA sur le plan de la morale (mensonges du Watergate et horreurs du Vietnam) a fait émerger la figure rédemptrice de Jimmy Carter;
  • La crise économique (stagflation des années 1970), la perte des repères moraux (héritage des bouleversements «contre-culturels» des années ’60-’70), l’impression d’une puissance internationale déclinante (choc du Vietnam, de la révolution islamique iranienne et apparence d’équivalence avec l’URSS en pleine guerre froide)  a contribué à l’élection d’un Ronald Reagan, grand porte-parole d’une fierté et d’une puissance restaurées…
  • L’effondrement de l’URSS ainsi qu’une période de croissance quasi-continue a permis aux USA de poursuivre leur domination de la planète par le truchement des grandes institutions internationales durant l’ère Clinton;
  • le 11 septembre 2001 a permis à W. Bush de changer les paramètres qui conditionnent l’entrée en guerre du pays, de modifier la protection des libertés individuelles chez lui, de briser ouvertement les Conventions de Genève, etc.
  • Et c’est justement les excès de l’ère Bush qui ont créé les conditions de l’ascension de Barack Obama.

On voit donc que plusieurs facteurs font que les Présidents peuvent effectivement se ressembler ou se distinguer. Ou plutôt plusieurs causes font que leurs ambitions sont freinées ou propulsées…

Mais revenons au facteur individuel. Il compte. Y aurait-il eu les Accords de Camp David entre l’Égypte et Israël, sans Jimmy Carter? Et ce virage des reaganomics (baisse de l’impôt des riches, coupures dans les programmes sociaux, investissements massifs dans le militaire) sans l’extraordinaire capacité de convaincre de Reagan, qui faisait que les classes laborieuses votaient pour lui et contre leurs propres intérêts? Et la guerre d’Irak de 2003 aurait-elle eu lieu si Al Gore avait été président plutôt que W. qui a «gagné» les élections de 2000?

Difficile de réécrire l’histoire à rebours comme de la deviner avant qu’elle ne s’écrive. Mais je continue de croire que les présidents ne sont pas «tous pareils» et que certains peuvent faire la différence.

De plus, dire que tous sont pareils, que de l’un à l’autre, c’est «blanc-bonnet, bonnet-blanc», constitue selon moi un propos démagogique. C’est souvent l’argument central des candidats populistes, qui cherchent à se démarquer en discréditant leurs adversaires et en les mettant tous dans le même panier… (c’est l’arme centrale du Front national, le parti d’extrême-droite français…).

Je persiste à croire que par son élection, Barack Obama a inauguré une rupture par rapport à son prédécesseur, même si ses promesses de changement sont jusqu’ici beaucoup plus modestes que plusieurs espéraient. En politique intérieure, il réussira sans doute à augmenter les impôts des plus riches, sa réforme de l’assurance maladie est sans aucun doute la réforme sociale la plus importante depuis le milieu des années soixante. Il a aussi recadré le financement de la recherche scientifique et des technologies vertes. Son virage en politique étrangère est plus cosmétique, mais il a tout de même renforcé le soft power et la crédibilité internationale du pays, modifié les paramètres d’entrée en guerre et renoncé à l’utilisation d’armes nucléaires contre des pays qui n’ont pas cette technologie. C’est un nouvel état d’esprit qu’il a proposé à sa population et à la planète. Bien sûr, nous n’avons pas assisté à une «révolution Obama», mais on oublie que le pragmatisme est au cœur de son idéologie, ce qui est aussi en phase avec ce pays après tout.

Car le leader politique américain doit être un habile rassembleur. Il ne peut contenter sa seule base. Pour gagner l’investiture de son parti puis la présidence, il doit convaincre des électorats diversifiés à travers tous les États…

Ron Paul
Ron Paul

Qu’adviendrait-il à l’idéologie libertarienne d’un Ron Paul s’il gagnait l’investiture républicaine? Et si par magie, il gagnait la présidence? Comme d’autres avant lui, il serait confronté aux difficultés et aux exigences (nombreuses) de ce pays.

Enfin, deux derniers commentaires sur les admirateurs de Ron Paul, qui expliquent mon énorme doute de l’éventualité de sa victoire comme candidat républicain et/ou de sa victoire lors d’une élection présidentielle. Ron Paul me fait penser à Barry Goldwater, le candidat républicain à la présidence en 1964. Goldwater, comme Ron Paul était un conservateur «libertaire», favorable à un important dégraissage de l’appareil étatique et à une décentralisation des pouvoirs vers les États fédérés. Les deux sont honnêtes dans leurs convictions et peu enclins à des circonvolutions ou des virages idéologiques, voire même à des compromis. Les deux sont des politiciens atypiques, imprégnés d’idéaux absolus qui en font des personnages attachants parce que sincères (je tiens à préciser ici que je ne partage pas du tout leurs idées)… Mais leur positionnement est trop marginal pour être gagnant.

Goldwater a perdu. Mais il a pavé la voie à un conservateur plus habile, à l’esprit plus tordu et plus machiavélique: Ronald Reagan. On peut donc penser que la personnalité de Ron Paul, qui incarne un positionnement idéologique quelque peu désincarné par rapport aux autres courants en place dans son pays, pourrait contribuer à faire ressortir d’ici 2016 une candidature qui s’en inspirerait, mais qui réussirait à ratisser plus large par son sens stratégique et sa personnalité d’exception.

Qui est ce candidat post-Obama que le parti républicain recherche tant? Chris Christie ? Marco Rubio ?

Les paris sont ouverts!