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Le Tea Party, Obama et la «nature» des États-Unis d’Amérique

Je poursuis la discussion amorcée dans mes deux derniers billets avec mes voisins du web. Ici, il s’agit d’exposer un tant soit peu la «mentalité» des USA, la nature de ce pays si on veut. Bien sûr, une telle démarche est fragile: on ne peut mettre un pays et son histoire dans une si petite case. Mais il m’apparaît nécessaire de faire ressortir l’héritage de ce pays fascinant que l’on se prend quelquefois à mésinterpréter en sous-estimant les fondements mêmes de l’Amérique états-unienne.

Cette discussion part de certains commentaires qui semblaient condamner le fait que d’un président à l’autre, ce pays demeure toujours guerrier, dépensier et pollueur. Ma réplique cherche à souligner que ces traits de caractère sont inhérents aux USA et qu’il faut donc diminuer nos exigences à son égard tout en remarquant que ce pays progresse réellement si on le confronte à ses mythes fondateurs.

  • Les USA sont nés dans la violence: la révolution américaine est d’abord le fait d’une guerre d’indépendance et l’expansion territoriale s’est faite par les armes, les mensonges , l’appropriation et l’usurpation des terres.
  • Les USA se sont aussi créés dans le racisme et ce «péché originel» a été amendé lors de la guerre de sécession, puis a été partiellement corrigé lors de l’adoption du civil rights act et des autres lois qui ont mis fin à la ségrégation dans les années 1960. Et c’est avec l’élection de Barack Obama en 2008 que le pays a pu en quelque sorte panser cette plaie qui continuera toutefois de l’habiter.
  • Les USA sont également le pays du capitalisme sauvage, du culte de la liberté individuelle et de la propriété privée comme droits inaliénables.

On parle quelquefois de la «manifest destiny» pour expliquer l’exceptionnalisme américain, c’est-à-dire le fait que les idéaux fondateurs de ce pays (décrits au 3e picot) sont appelés à façonner (ou à civiliser) toute l’humanité … Et au coeur de ce discours qui est devenu un mythe, on masque le fait que cette «mission civilisatrice» s’est faite par des moyens qui ressemblent dangereusement au colonialisme que les USA ont toujours dit combattre…

Reste que si on revient aux trois piliers mentionnés ci-haut, on peut remarquer que le mouvement du Tea Party cherche à réactiver certains traits de caractère d’une «nature» états-uniennne qui serait menacée selon ses partisans par un président comme Barack Obama.

Le Tea party a émergé et fait pas mal de bruit lors des élections de mi-mandat de 2010. Le fils de Ron Paul, Rand Paul, élu sénateur du Kentucky, en est devenu une figure de proue. On peut croire que c’est aussi le Tea Party qui est en partie responsable des tergiversations en ce qui concerne le choix du candidat républicain à opposer à Obama.

Quoi qu’il en soit, ce mouvement se réclame des idéaux fondateurs du pays, particulièrment de la méfiance envers l’interventionnisme étatique, méfiance qui s’est muée en hostilité au sein de cette droite plus dure qui sévit au sein du Parti républicain. Et comme le président Obama est intervenu pour «discipliner» le marché des assurances, «encadrer» Wall street, sauver de la faillite les constructeurs automobiles, investir dans les nouvelles énergies, les militants et porte-parole du Tea Party se sont lancés dans un diabolisation de ce président qui au plus fort de leur lutte contre l’Obamacare glissait dangereusement vers le racisme et l’intolérance… Chassez le naturel et il revient au galop.

La méfiance envers le big government, particulièrement envers l’élite de Washington qui vient contrevenir à l’autonomie des États fédérés et la volonté de revenir à un capitalisme fondé sur l’initiative individuelle seraient donc des idéaux qui sont «dans la nature même des USA».

Et la force, je dirais surtout le bruit fait par le Tea Party et ses différents relais médiatiques (Fox News au 1er chef) entraîne une radicalisation du Parti républicain qui contribuera selon moi à la réélection de Barack Obama… Le candidat mal aimé de la droite, Mitt Romney, s’est qualifié de «severe conservative» dernièrement pour contrecarrer ses critiques qui doutent de sa fidélité aux idéaux de la droite, perçus comme les idéaux «naturels» de ce pays. L’expression en a fait sourciller plusieurs, comme si cette posture idéologique était une pathologie. Chose certaine, le fait que le Grand old party (les républicains) soit tiré vers la droite par la mouvance du Tea Party doit réjouir le candidat Obama.

Car Obama n’est pas un président contre-nature. Au contraire, il est le reflet de la lente évolution des USA d’aujourd’hui. Ce pays s’est progressivement extirpé du racisme institutionnalisé; il a fini par intégrer les grandes réformes sociales de l’ère Roosevelt; ce pays a, malgré le discours des fondamentalistes chrétiens – qui a ses affinités avec le Tea Party mais demeure un mouvement social et politique distinct –  adopté un mode de vie plus relâché par rapport aux exigences de la morale religieuse; bref, les USA ne sont plus tout-à-fait le pays du white anglo-saxon protestant (Romney est mormon, Santorum est catholique) à la recherche du bonheur. C’est une société éclatée qui carbure par contre toujours au mythe du Rêve américain.

Et si vous écoutez Obama, il m’apparaît dans le contexte actuel le candidat le mieux à même de promettre un Rêve américain pour tous ! Mais ce rêve américain est effectivement associé à l’american way of life, c’est-à-dire au consumérisme, à un mode de vie axé sur l’automobile, le gaspillage et donc la destruction de la planète…

C’est là que nous espérons un virage dans les politiques du président Obama (il faut toutefois tenir compte des nombreux freins institutionnels du régime américain, qui favorisent des changements lents plutôt que des ruptures radicales). J’ai déjà dit qu’Obama avait opéré un changement dans l’état d’esprit de ce pays en politique étrangère, surtout par rapport à son prédécesseur. Il faudrait maintenant qu’il réussisse à donner une impulsion plus verte au mode de vie américain. Disons qu’en cette matière, il a raté une occasion historique lorsque le gouvernement fédéral a sauvé GM de la faillite. Maintenant que ce symbole de l’Amérique est relancé, on y produit encore des voitures énergivores et luxueuses, ce qui va à l’encontre de ce que devrait être l’esprit de notre époque…

Mais comme citoyen canadien, suis-je vraiment bien placé pour critiquer les occasions manquées du président Obama? Alors que les USA se sont sortis de l’ère Bush, nous, on nage en plein dedans!