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Préludes au «printemps québécois»

Ceux qui me voisinent depuis longtemps connaissent ma «déprime politique», moi qui suis pourtant un passionné du Québec, des relations qu’il entretient avec son voisin canadien-anglais et états-unien. Et du reste du monde.

Mais Jean Charest me déprime et Stephen Harper me fait peur…

Charest a torpillé ce qui a déjà été notre deuxième sport national avec ses discours creux et ses slogans préfabriqués par des conseillers en communication. Il nous a fait revenir au patronage institutionnalisé en affaiblissant l’expertise de l’État et en laissant la corruption envahir tout le processus décisionnel. Harper fait glisser le Canada «vers le côté obscur de la force» (des USA) : manichéisme, justice revancharde, militarisme, politique étrangère déséquilibrée au Proche-Orient, négationnisme scientifique, moralisme religieux, autoritarisme, manipulations et tricheries électorales, diffamation, etc.

(Quoi d’autres? Dois-je vous parler de mon pleutre de Maire : Gérald Tremblay?)

Et cette déprime politique qui est la mienne est accentuée par notre impasse nationale…

Et puis les firmes de cotation de crédit qui gouvernent le monde après avoir foutu notre système en l’air me donnent la nausée…

Comme si on entrait dans une nouvelle grande noirceur où la corruption de Québec additionnée à l’obscurantisme d’Ottawa nous rappelaient les effluves nauséabondes de ce passé que l’on croyait révolu.

Là où je trouve réconfort dans l’amour de mon pays (et de l’espoir envers l’humanité) c’est dans la culture. Par exemple, au Québec, je trouve que nous avons une vraie littérature nationale. Des chanteurs et chanteuses de talent. Une scène musicale cool, variée et originale, un théâtre et un cinéma de grande qualité, etc. Cette culture vivote trop à mon goût, mais elle est là. Elle me sort de ma déprime.

Notre grande noirceur est politique. Elle n’est pas culturelle. Contrairement à Hubert Aquin qui décriait «la fatigue culturelle du Canada français», je m’insurge comme le philosophe Daniel Jacques contre «la fatigue politique du Québec français».

Mais je ne suis pas seul. Nous ne sommes pas seuls. Patriotes du Québec, indignés de nos dérives actuelles, un éveil de mobilisation se concrétise.

Les étudiants sont dans la rue. Leurs revendications sont un écho concret aux indignés du mouvement «Occupy Wall street». Le combat contre la hausse des frais de scolarité doit sortir du combat de chiffres et devenir un argument de plus pour refonder notre société sur des principes moins destructeurs du social et des assises fondamentales de la vie. Le système capitaliste actuel est destructeur de la société et de la vie. Les inégalités sociales et intergénérationnelles se creusent. Après l’indignation, il nous faut passer à l’action. Le slogan des indignés de Wall street dit que nous formons la majorité: nous sommes les 99%!  En avons-nous conscience? Pas encore. La majorité demeure silencieuse et démobilisée, sinon désemparée devant l’état de la situation.

Qu’est-ce qu’il manque pour que tout ça lève? Pour que notre saine colère débouche sur un printemps québécois?

La réponse réside peut-être chez nos artistes. J’ai confiance que notre blocage politique actuel puisse être bientôt brisé. Les grands déclencheurs de la débâcle printanière sont actuellement actifs.

***

En 1948, en pleine Grande noirceur, à un moment historique que plusieurs jugent engoncé dans l’immobilisme le plus sombre, le peintre et professeur à l’école des Beaux-arts Paul-Émile Borduas lançait Refus Global, premiers jalons d’une colère qui prendra encore un peu plus d’une décennie à «lever».

Les extraits qui suivent constituent selon moi des paroles à méditer :

Extrait#1 : «Du règne de la peur soustrayante nous passons à celui de l’angoisse. (…) À ce règne de l’angoisse toute puissante succède celui de la nausée. (…)

«Des œuvres révolutionnaires, quand par hasard elles tombent sous la main, paraissent les fruits amers d’un groupe d’excentriques. (…)

Comme si après «Occupy Wall street» et le triomphe de Stephen Harper, il nous fallait puiser dans l’art pour nous sortir de notre torpeur…

Extrait#2 : «Des consciences s’éclairent au contact vivifiant des poètes maudits: ces hommes qui, sans être des monstres, osent exprimer haut et net ce que les plus malheureux d’entre nous étouffent tout bas dans la honte de soi et la terreur d’être engloutis vivants. Un peu de lumière se fait à l’exemple de ces hommes qui acceptent les premiers les inquiétudes présentes, si douloureuses, si filles perdues. Les réponses qu’ils apportent ont une autre valeur de trouble, de précision, de fraîcheur que les sempiternelles rengaines proposées au pays du Québec et dans tous les séminaires du globe.

Les frontières de nos rêves ne sont plus les mêmes.

Des vertiges nous prennent à la tombée des oripeaux d’horizons naguère surchargés. La honte du servage sans espoir fait place à la fierté d’une liberté possible à conquérir de haute lutte». (…)

Après la grève étudiante qui sévit, le chemin est-il tracé pour que nous réussissions une autre révolution tranquille, alimentée par la simple prise de conscience des intérêts communs que nous partageons et que nous pouvons regagner par la mobilisation collective?

Et la soumission de nos gouvernements face aux grandes corporations qui vident notre territoire de ses ressources, alimentent des guerres en Afrique de l’est ou ailleurs, détruisent tout autour sans égards à ce qu’ils laissent, sauf pour ce qui concerne la valeur boursière qu’ils se partageront entre initiés:

Extrait 3 : «Ne pas avoir la nausée devant les récompenses accordées aux grossières cruautés, aux menteurs, aux faussaires, aux fabricants d’objets mort-nés, aux affineurs, aux intéressés à plat, aux calculateurs, aux faux guides de l’humanité, aux empoisonneurs des sources vives.

Ne pas avoir la nausée devant notre propre lâcheté, notre impuissance, notre fragilité, notre incompréhension. Devant les désastres de notre amour… En face de la constante préférence accordée aux chères illusions contre les mystères objectifs.

Où est le secret de cette efficacité de malheur imposée à l’homme et par l’homme seul, sinon dans notre acharnement à défendre la civilisation qui préside aux destinées des nations dominantes (…) héritières à la dent pointue d’un seul décalogue, d’un même évangile». (…)

Ce passage, parle-t-il de l’économisme triomphant qui dicte tout notre processus décisionnel et la teneur de tous nos débats?

Et celui qui suit se moque-t-il de nos vaines protestations, sans se soucier que cette sourde colère se mue en quelque chose de plus grand?

Extrait 4 : «Si nos activités se font pressantes, c’est que nous ressentons violemment l’urgent besoin de l’union.

Là, le succès éclate!

Hier, nous étions seuls et indécis.

Aujourd’hui un groupe existe aux ramifications profondes et courageuses; déjà elles débordent les frontières.

Un magnifique devoir nous incombe aussi: conserver le précieux trésor qui nous échoit. Lui aussi est dans la lignée de l’histoire.

Objets tangibles, ils requièrent une relation constamment renouvelée, confrontée, remise en question. Relation impalpable, exigeante qui demande les forces vives de l’action.

Ce trésor est la réserve poétique, le renouvellement émotif où puiseront les siècles à venir. (…) Que ceux tentés par l’aventure se joignent à nous. Au terme imaginable, nous entrevoyons l’homme libéré de ses chaînes inutiles, réaliser dans l’ordre imprévu, nécessaire de la spontanéité, dans l’anarchie resplendissante, la plénitude de ses dons individuels.

D’ici là, sans repos ni halte, en communauté de sentiment avec les assoiffés d’un mieux-être, sans crainte des longues échéances, dans l’encouragement ou la persécution, nous poursuivrons dans la joie notre sauvage besoin de libération.

***

Ces moments choisis de Refus global éclairent notre indignation actuelle. Mais en 2012, le temps est plus rapide. La parole est aussi plus directe. La révolution à faire, moins conceptuelle. Que nous manque-t-il donc pour «faire notre printemps» nous aussi?

Si les étudiants nous ouvrent la voie, je continue à croire que nos artistes constituent peut-être l’étincelle qui manque pour embraser et embrasser le changement qu’il nous faut. Pour nous réunir tous. Pour que notre majorité prenne forme. Pour que de Véronique Cloutier à Lise Bissonnette, ou du spectateur de TVA au lecteur du journal Le Devoir, notre saine colère débouche sur une société meilleure.

Deux exemples de ces étincelles en qui je crois: Philippe Ducros et Dominic Champagne, qui incarnent tous deux une forme d’esthétique du changement social. Une esthétique qui pousse à l’action.

De Philippe Ducros, j’irai voir Dissidents, à l’Espace go, dès le 6 mars. Le texte de la pièce semble être une diatribe contre les excès marchands de notre époque, mais aussi une réflexion sur l’acte de dissidence et ses conséquences… On lance le livre ce soir dès 17h30 à la librairie Le port de tête, sur Mt-Royal. Ducros est ce photographe et homme de théâtre, actuel directeur artistique de l’Espace libre. On peut aussi voir et entendre son expo-photo «déambulatoire» La porte du non-retour à la galerie Occurrence. C’est fort bien documenté, ça chamboule son homme, mais ça vaut la peine d’être vécu. Il est aussi l’auteur de l’extraordinaire pièce L’Affiche, qui propose un regard lucide et nuancé sur l’occupation israélienne.

De son côté, Dominic Champagne prépare une autre grande mise en scène : il nous invite tous (en fait il invite chacun de nous à inviter 2 personnes) à réclamer et à clamer le début de notre prochaine révolution tranquille. C’est au printemps:

Ça commence le 22 avril prochain!