Je viens de lire «Un cynique chez les Lyriques, Denys Arcand et le Québec», de Carl Bergeron. C’est un essai sur l’œuvre de l’un de nos plus grands cinéastes. Sur son rapport avec le Québec, son destin et son histoire. Il est important de revenir sur cette contribution fondamentale à la culture qu’a apporté Denys Arcand et Carl Bergeron le fait très bien.
Premier constat: Denys Arcand porte un regard généralement pessimiste – certains diront lucide et réaliste – sur l’avenir du Québec, sa culture, sa capacité à assurer sa pérennité en Amérique du Nord, sa possibilité de devenir indépendant ou simplement d’exister à la mesure de sa potentialité. Et son réalisme, fortement inspiré de Machiavel, repose sur un fait historique et mathématique: le Québec est le grand perdant de la Conquête de 1759 et il ne fait pas le poids numériquement en Amérique du Nord. Il est trop faible pour s’émanciper et s’affranchir, mais il est suffisamment fort et résilient pour perdurer en tant que «société distincte»… Une sorte d’impossibilité historique ferait de nous des sujets mineurs impossibles à voir naître ni à voir mourir…
Je vous laisse lire l’essai de Bergeron (et il mérite d’être lu!), mais je tiens ici à faire ressortir certaines dimensions de la nature humaine véhiculées dans l’œuvre d’Arcand qui selon moi, mériteront toujours d’être combattues. Et contrairement au pessimisme d’Arcand, je crois que ce combat n’est pas mené vainement.
D’abord, l’extraordinaire (et déprimante) actualité de Réjeanne Padovani (1973). Il s’agit d’un portrait un peu lugubre de la classe politique de l’époque, où mafia et industrie de la construction sont liés au parti au pouvoir, chacun se renvoyant l’ascenseur dans une atmosphère d’impunité et d’arrogance immorales trop proche de notre réalité actuelle… Le premier ministre Charest, le Maire de Montréal et les nombreuses firmes d’ingénierie et compagnies de béton nous ont montré ces derniers mois comment les «grandes décisions» se prennent dans cette province de parvenus qui pourrait tellement aspirer à plus, mais qui est trahie par ses élites satisfaites d’être roi-nègres plutôt que libérateurs de peuple. (Vivement le 22 avril…)
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Et puis, en revoyant Jésus de Montréal (1989), on pense à ces serpents qui corrompent la culture pour en faire une industrie mensongère et insipide, alors qu’elle pourrait nous élever tous plutôt que nous abrutir… Les extraits qui suivent offrent un parallèle réussi entre le diable qui cherche à semer chez Jésus de Montréal (cet artiste pur, qui ne pousse que vers la beauté et la quête de sens) l’envie de «réussir», c’est-à-dire devenir une vedette riche qui domine la ville et l’espace médiatique… Mais le Jésus de Montréal résiste et «pique une sainte colère» – la colère du Temple – devant le monde de la publicité qui considère les actrices comme des putes qui servent à vendre des produits de consommation éphémères au bénéfice de l’érosion culturelle et de la marchandisation de la beauté.
http://youtu.be/KOKRfgPzGIk
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Que dirait Denys Arcand du combat de nos étudiants pour une plus grande accessibilité aux études supérieures? Comme un cynique chez les lyriques, il dirait sans doute que ce combat est perdu d’avance… Les jeunes n’ont pas le poids du nombre et leurs élites ont déjà plié vers le pouvoir marchand. Les porteurs d’idéaux sont les perdants chez Denys Arcand.
Il est toutefois possible de «rêver mieux», d’apprécier l’œuvre de ce grand cinéaste, tout en lui donnant une leçon d’espérance. Il suffit d’être vraiment nombreux ce jeudi 22 mars avec les étudiants. Puis de reprendre la rue le 22 avril.
Notre printemps s’en vient. Que Denys Arcand sorte sa caméra, il pourrait être surpris !
Monsieur Le Voisin, j’adore vous lire !
J’ai pensé aux étoiles
À celles qui brillent
Mais qu’on en voit pas
À celles qu’on invente toute bas
Dans un grand soupir
À celles qu’on crie trop fort
Loin dans son ventre
Et qui restent cahées
Dans un ciel d’orage
Au fond, les étoiles
Qu’elles soient toutes petites
Ou qu’elles occupent l’univers
Elles appartiennent à ceux
Qui les dessinent dans leur tête
Quand il n’y croient plus
Ce n’est pas la fin d’un ciel
C’est seulement la fin d’un rêve
Et bien que la terre
Continue de tourner
Quand tout un peuple
Met fin à un rêve
C’est le début de l’oublie
De sa propre identité
Alors « rêver mieux » … Oui … J’y serai le 22 avril !
Pour bien comprendre Arcand, il faut avoir lu Vadeboncoeur, mais aussi Fernand Dumont et Jean Larose. Leur grande peine commune, ce fut le NON de nos deux référendums. Ils le prirent personnel, comme on dit. Quasiment comme une insulte. Dumont alla se réfugier « dans la pensée » et Vadeboncoeur, dans la logique implacable de son déni définitif de l’indépendance possible du Québec.Jean Larose, pour faire la somme, s’emmura dans la littérature, ce qu’il nomma fort à propos « L’amour du pauvre », dans son meilleur essai.
Le plus atteint fut le poète Pierre Perrault, qui ne se remit jamais du NON de Félix-Antoine Savard, auteur emblématique de « Menaud Maître Draveur »,et personnellement, je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi Gabrielle Roy a dit elle aussi NON à l’indépendance. Je soupçonne Jacques Ferron, grande corne du Parti Rhinocéros et suprême admirateur de l’oeuvre de notre plus grande écrivaine , je pense que cela l’a profondément découragé aussi.
Ces personnalités nommées plus haut ont beaucoup fait, et donné, pour le Québec, pendant et après la Grande Noirceur.Nous leur devons beaucoup en effet. Leur drame, c’est leur déni de notre appartenance à l’Amérique du Nord. Et surtout , cette croyance chez-eux indécrottable, que le Québec est une espèce d’oasis face à la barbarie USA. Bref, la grande affaire de ces notables, c’est le malheur comme condition essentielle de l’existence. Le petit pain avec sa maigre consolation, notre « Bonheur D’Occasion »…
Ils étaient tous allés à l’université des Lettres françaises, qui n’a jamais, et encore aujourd’hui, fait grand cas de notre littérature. Les Français ne savent pas que Gauvreau est aussi grand poète qu’Artaud, et même plus, parce qu’il a mieux géré sa folie dans ses poèmes. Ils n’ont jamais lu Paul-Marie Lapointe, car ils s’extasieraient beaucoup moins devant Breton. Et ainsi de suite…je suis saisi d’effroi quand je pense aux sottises que pourrait proférer le frénétique Sollers en lisant les poèmes coups de poing de Denis Vanier.Et Jacques Ferron n’est pas publié dans La Pléiade, ce qui est proprement honteux. Faut dire qu’il pratiqua aussi la médecine dans l’armée canadienne, avant d’aller ouvrir un bureau à Sainte-Anne-des-Monts en Gaspésie. S’il vivait aujourd’hui, en voyant les centaines d’éoliennes plantées comme des poignards sur les montagnes des Chic-Choc par des barbares verts, je crois bien que cela le tuerait une deuxième fois.
Vous faites le lien entre Arcand et la protestation des étudiants. C’est un très mauvais lien. Si j’étais mauvaise langue, j’appellerais ça de la propagande. Arcand est originaire de Deschambeault, un beau village sur le bord de notre grand fleuve, et je ne suis pas sûr qu’il soit en faveur de la grève des étudiants. Il faudrait le lui demander. Arcand est aujourd’hui Montréalais, comme la plupart des jeunes intellos et artistes de notre pays.Ce n’est pas un mal en soi, mais encore faut-il bien voir ceci: cette protestation étudiante se fait hors du Québec réel, elle est LITTÉRAIRE, en premier lieu et voilà pourquoi sa parole ne va guère plus loin que le regard qui l’habite, cette université ventripotente, tournée contre elle-même entre le commerce de nos richesses naturelles et celui de notre intelligence collective. Cette protestation est sans avenir et sans lieu habitable, hors des manigances et des assemblées de vote de grève paquetées des leaders étudiants comme au temps de L’Union Nationale….
Je vois ces jeunes gens sur la rue avec leur carré rouge et mon amour pour eux est sans limites. Ils me pardonneront toutefois de ne pas aimer la façon dont ils se déplacent dans le paysage. Leurs rassemblements sont trop gratuits pour être réfléchis. Honnêtement et je le dis avec chagrin, je pense qu’ils ne savent plus où ils vont.
Et les recteurs que je vois dans les corridors des universités n’en mènent pas large non plus. Ils ne regardent personne, ils ont des mines patibulaires et s’en vont ainsi vers une retraite qui ressemble à un enterrement.Oh, et j’allais oublier, je n’aime pas le cinéma de Denys Arcand. Aux dernières nouvelles, c’était encore permis, au Québec…
@Bourbonnais: si vous me relisez, vous remarquerez que je doute fortement que Denys Arcand puisse même envisager appuyer la grève étudiante. C’est pourquoi j’intitulais mon billet «Surprendre Denys Arcand»… Parce son pessimisme et son réalisme machiavélien font qu’il considérerait sans doute le combat des étudiants comme vain et perdu d’avance… Mais de mon côté, je persiste a croire que les étudiants mènent un combat plus grand qu’eux. Le combat pour une plus grande accessibilité aux études supérieures, comme le réclamait le rapport Parent…
lire la critique de Louis Cornellier dans Le Devoir de ce matin qui explique pourquoi Arcand lui tombe sur les nerfs