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Le normal contre les bouffons

Le nouveau Président de la République française, François Hollande, s’est fait élire en misant sur l’image d’un «Président normal». Cette idée fût excellente, puisque dans le contexte français, Hollande cherchait à succéder à un Président excessif, omniprésent, clinquant et polarisant. En invoquant une normalité politique, Hollande se voulait modéré, capable de partager le pouvoir, sobre et rassembleur. Du coup, comme disent les Français, Hollande diminuait aussi les attentes à son égard. Il sera normal.

Or, jusqu’ici, j’aime les échos de cette «normalitude». Le discours d’investiture de Hollande a parlé d’éducation nationale pour justement critiquer la marchandisation de celle-ci et il a questionné les plans d’austérité appliqués partout en Europe pour remédier à une crise budgétaire largement causée par les marchés bancaires et financiers. Pour ses premières actions comme Président, il a choisi de réduire les salaires des ministres, du premier ministre, du Président, des haut-dirigeants des sociétés d’État, tout en exerçant de fortes pressions pour bloquer les «parachutes dorés» et les rémunérations excessives des entreprises pour lesquelles l’État français est actionnaire. Bon, il n’annonce pas de chamboulements majeurs, mais il a le mérite d’insister sur sa volonté de soutenir une économie qui produit du travail, faisant vivre des familles, et non simplement une économie fondée sur la seule recherche effrénée de profits qui engraissent une petite élite affamée mais pourtant tellement repus qu’un roulement de vomis lui racle la gorge.

Le groupe Anonymous a rendu public cette semaine une sorte de version 2.0 du film de Pierre Falardeau, Le Temps des Bouffons, c’est-à-dire qu’ils ont publié sur le web des images prises dans un banquet grandiloquent au Château de Sagard du milliardaire Paul Desmarais. Tous les serviteurs du pouvoir y sont: Lucien Bouchard, Brian Mulroney, Jean Chrétien, George Bush père et bien sûr, juste derrière lui, Jean J. Charest. (Denis Villeneuve a merveilleusement illustré cette décadence d’une élite qui abuse de tout dans son court métrage Next Floor. Les excentriques britanniques de Monty Python l’avaient également imagé dans un des sketchs de The Meaning of Life.)

Que serait un premier ministre normal, dans le contexte de notre printemps québécois? Ce serait quelqu’un qui accepterait d’opérer un réel virage par rapport au modèle dominant de notre économie politique. Il serait comme François Hollande, favorable à une meilleure réglementation des marchés financiers, hostile aux politiques de coupes dans les programmes sociaux, actif pour réduire les écarts de revenus entre patrons et employés, résolu à développer une économie qui crée de vrais emplois faisant vivre des personnes incarnées et non seulement des actionnaires privilégiés qui créent de la richesse virtuelle ou des «papiers commerciaux adossés à des dettes étudiantes» !

S’il y a tant eu de vulgarités dans certains slogans vus dans les manifestations, c’est parce que la vulgarité monstrueuse de nos élites déborde. Et personnellement, je trouve que la rue a été plutôt civilisée devant la grossièreté de nos pouvoirs politiques et policiers.