Vous l’avez peut-être oublié, à la faveur de l’été qui se pointe ou de la loi spéciale qui a suspendu les sessions (et affecté les libertés civiles), mais il y a encore 14 collèges et plusieurs facultés d’université en grève. Jean Charest n’a rien réglé. Il a repoussé à plus tard, dans un contexte de déclenchement d’élections, la crise sociale amorcée par cette grève étudiante qui n’est malheureusement pas terminée.
Et si on se fie aux sondages (méfiez-vous de ceux-ci, presque aucun sondage n’offre actuellement d’échantillons représentatifs de la population de référence), M. Charest profite de sa stratégie du pourrissement et de l’affrontement avec le mouvement étudiant. Il entend bien basculer dans ce scénario qu’il qualifiait lui-même de «grotesque», soit de déclencher une élection sur le dos des étudiants et se faufiler dans des luttes à trois ou quatre et ainsi, grâce à une base électorale qui vote bêtement et des dizaines de comtés acquis d’avance, gagner une quatrième élection d’affilée!
Comment ne pas tomber dans ce piège immense que nous tend ce premier sinistre aux sombres projets? (1)
Voici quelques scénarios de cette rentrée scolaire du mois d’août qui s’annonce également électorale.
Scénario 1: La grève se poursuit; la loi spéciale permet aux policiers d’écraser le mouvement étudiant dans la violence; les étudiants se radicalisent; Charest gagne ses élections dans un contexte où il n’y a pas de place pour souligner son bilan de pire premier ministre de l’histoire du Québec.
Scénario 2: La grève est suspendue; les étudiants continuent de manifester en se réinventant sans cesse; le parti libéral de Jean Charest subit la pire dégelée de son histoire.
Scénario 3: La grève se poursuit dans certains collèges; les étudiants sont incapables de tenir des piquets de grève devant les Collèges plus de deux jours; le mouvement étudiant se marginalise; le taux de participation des jeunes reste famélique; les Libéraux corrompus de Jean Charest sont reportés au pouvoir avec un appui populaire qui dépasse à peine les 30% et un taux de participation historiquement bas.
Les scénarios 1 et 3 sont bien sûr cauchemardesques, mais je les vois venir comme un Hummer jaune frais lavé: c’est risible mais inquiétant.
Le scénario 1 fait également penser au film Bingo, de Jean-Claude Lord. Je suggère aux militants étudiants de bien visionner ce film de la décennie 1970, dans lequel des stratèges politiques manipulent de jeunes militants des mouvements sociaux pour créer un climat de peur qui bénéficiera à un parti de droite faisant campagne pour restaurer la loi et l’ordre…
Le scénario 3 m’apparaît plausible et déprimant. Une rumeur circule actuellement et soutien que des étudiants cherchent à se procurer des armes pour lutter contre les forces policières qui risquent de forcer l’accès aux cours lors de la rentrée du mois d’août. Y croyez-vous? Si vous savez quelque chose là-dessus, faites en sorte que cela ne se réalise pas. Ce serait l’horreur. Et le mouvement étudiant serait discrédité et affaibli pour les prochaines décennies.
Les étudiants gagneront s’ils jouent d’intelligence, s’ils refusent de tomber dans le piège tendu par cet homme malhonnête, malveillant et corrompu qu’est Jean Charest.
Je crois personnellement que si les étudiants choisissent le scénario 2, ils contribueront à faire passer leurs revendications à un niveau supérieur. La fin de la grève n’est pas la fin de la mobilisation, au contraire! Elle permet seulement aux étudiants de tirer le tapis sous le pied de ce gouvernement qui cherche l’affrontement et veut pousser le mouvement étudiant vers la violence pour ensuite se présenter comme le champion de la loi et de l’ordre.
Je sais, c’est absurde, mais ce type de scénario s’est produit plusieurs fois dans l’histoire, ce n’est pas que du cinéma!
(1) Même le p’tit gars de La Guerre des Tuques nous le dit: «Chu sûr que c’t’un piège!»
Oui mais, les étudiants ou les syndiqués, quand ils ont recours à la grève, oublient souvent qu’écœurer le peuple, c’est nuisible, principalement, pour la grève actuelle des étudiants.
Nuire à la circulation automobile, bloquer des ponts, laisser les casseurs, casser sans trop les dénoncer…ce n’est pas fort pour gagner la sympathie des Québécois qui préfèrent, majoritairement, la loi et l’ordre. Si ces préférences sont représentées par l’actuel gouvernement, c’est LUI qui va probablement en bénéficier, sauf si les étudiants changent de tactiques en passant plus de temps expliquer leur point de vue qu’à marcher dans les rues, ce qui demande beaucoup d’énergie tout en étant contre-productif…totalement.
Et puis, Monsieur Bousquet, il convient de noter que très majoritairement les étudiants ont opté pour étudier.
Il est très présomptueux de chercher à vouloir à répétition (chez certains) parler de ce que veulent «les» étudiants. Si bruyants soient-ils, ces étudiants qui parcourent les rues et s’efforcent de nuire par-ci et de bloquer par-là, ces étudiants ne sont pas «les» étudiants.
Ces étudiants sont très minoritaires – malgré leur nombre.
Mais à quoi bon le dire et le redire…
Bon article et bon analyse!!
Mais au fait, c’est quoi cette rumeur relativement aux armes? C’est encore un fil Twitter de 140 caractères qui fait frémir ? Ça sort d’où?
Merci!
J’ai entendu cette chose pour le moins inquiétante au sein d’une instance non officielle de profs qui sont inquiets de la rentrée. On ne peut dire qu’elle est crédible, car c’était des «ouï-dire», mais devant la radicalisation actuelle des débats, ce ne serait pas si surprenant… La nuance s’estompe sous les coups de matraques et le refus d’un réel dialogue…
Hey ça n’a pas loadé?
Je disais bon article et bon analyse mais ça m’inquiète de lire que des étudiants chercheraient des armes… Quand même important comme rumeur? Ça vient de Twitter? Ailleurs sur le web?
Même le p’tit gars de la guerre des Tuques nous le dit: «Chu sûr c’t’un piège»…
http://youtu.be/Hnxfsbxy8vY
Moi, je me pose qu’une seule question. Qu’en est-il des autres scénarios? Que se passera-t-il si les étudiants continuent la grève et qu’il y a annulation de session? Que Jean Charest soit élu ou non, ça ne fera pas de différence. Il devra démissionner puisqu’il sera le premier ministre de l’histoire à avoir annulé une grande partie des sessions de la communauté étudiante. Il faut se rappeler qu’il y a quand même 30 % des étudiants en grève qui entraineront des pertes économies énormes pour le gouvernement seulement en impôt si annulation il y a!!! Ça, c’est sans compter qu’il existe surement d’autres scénarios tout aussi plausibles. Présentement, il n’y a personne qui c’est comment ça va se terminer, alors ça ne sert pas à grand-chose de se faire des scénarios, il existe trop de variables.
Pas d’annulation de session en vue, mais avec la loi 78, de la violence aux portes des Collèges… Ce scénario est loin de la fiction: Rosement, Lionel-Groulx, UQO, ont tous vécu cette violence directe et la loi spéciale n’était pas adoptée… Bien sûr qu’il y a d’autres scénarios, mais ceux évoqués sont plausibles. Le 1 et le 3 se ressemblent, mais les deux mènent à un cul-de-sac. Je ne vois pas comment la grève effective pourrait durer plus de deux jours … Directions et professeurs sont sous la tutelle de la Ministre et la police est en guerre ! Je cherche à convaincre que sur ce terrain de l’affrontement direct, nous sommes perdants. Mais si on déplace le combat, Charest est déstabilisé. Sun Tsu disait qu’il faut surprendre l’adversaire, surtout lorsque les rapports de force sont asymétriques.
Je me demande si le scénario no.2 est réaliste… Ce que je veux dire par là, c’est que, en supposant que les étudiants rentrent gentiment en classe au mois d’août, qu’est-ce qui nous dit que Charogne n’utilisera pas cela pour se faire du capital politique en disant: « Regardez! Ils sont gentiment rentrés en classe! J’avais raison de tenir mon bout! » Évidemment, ça pourrait en convaincre beaucoup et ainsi permettre au premier minus de remporter ses élections…
Pour moi, la situation actuelle en est une de « kobayashi maru » (référence à un célèbre test dans l’univers de Star Trek dans lequel un commandant est placé devant une situation sans issue positive pissible)…
C’est pourquoi j’inclus dans ce scénario l’idée que les manifs et la mobilisation continuent. Que le clame ne soit en rien venu, mais que la crise se déplace pour battre Charest. Et je parle de «suspendre» la grève. Les étudiants pourraient très bien utiliser la grève comme menace si Charest est réélu! Comme quoi le «candidat de l’ordre» serait celui qui engendre de nouveau le désordre…
Le problème, c’est que compressé comme le 2-3 prochaines sessions seront, plus personne n’aura le temps d’aller manifester/faire des action symboliques. La grève nous permet justement de prendre le temps pour faire des actions et ça, le gouvernement le sais très bien malheureusement…
Je ne crois pas en la matérialisation de ce scénario apocalyptique que John James désire, celui d’une escalade de la violence dans le conflit avec les étudiants.
Étant donné l’imminence d’une élection d’ici la fin de l’été, une campagne électorale en août aura de toute évidence un impact considérable sur la suite des évènements dans la crise sociale actuelle. L’intelligence et la sagesse commandent aux associations étudiantes et à leurs membres de composer avec le PQ et QS durant cette campagne, dans leur actions, pour faire subir une écrasante défaite au PLQ.
M. Chénier, ce n’est pas la première fois que vous conseillez au mouvement étudiant de mettre fin à sa grève, supposément pour son bien. Pourtant, la grève étudiante demeure le principal moyen dont disposent les étudiantes et les étudiants pour exercer un rapport de force face au gouvernement. Si la grève se termine, oubliez ça, il n’y aura pas de poursuite du mouvement sous d’autres formes: dans le cadre d’une session compressée les ex-grévistes seront bien trop occupés par leurs études pour avoir le temps de manifester.
Imaginons un sénario « 4 »: À la veille du déclanchement des élections, le mouvement étudiant met fin à la grève et rentre en classe pour éviter d’être instrumentalisé par le PLQ. Le lendemain, Charest se défile et décide de ne pas déclancher l’élection. Il s’accroche au pouvoir jusqu’en 2013. La hausse a passé, le mouvement étudiant a perdu…
Je pense par ailleurs que vous sous-estimez la capacité du mouvement à poursuivre la grève malgré la loi 78 et les éventuels affrontements avec la police. Si les injonctions ont pu être défiées avec succès, il en sera de même de la loi 78. L’enseignement supérieur n’est pas une activité qui s’exerce de force ou sous contrôle policier, c’est ce qu’ont démontrés les affrontements de l’UQO, de l’UdeM, de Lionel-Groulx, de Rosemont, etc. Dans tous les cas, les injonctions sont demeurées inapplicables.
Ceci étant dit, j’ai vu Bingo moi aussi et je suis d’accord pour dire qu’en cas de déclanchement des élections, la meilleur stratégie pour le mouvement étudiant serait de rentrer en classe. La victoire du PQ, qui sera forcé d’annuler la hausse après tous les engagements pris, est suffisament probable pour que ce pari en vaille la peine. Mais jusqu’au moment du déclanchement officiel des élections, la grève doit impérativement se poursuivre! Le gouvernement ne doit pas pouvoir se défiler: ou il négocie, ou il va en élection, ou la grève se poursuit.
@Fil: à ma connaissance, c’est la première fois que je propose de «suspendre» la grève… Avant, j’ai surtout critiqué LA CLASSE pour ne pas avoir agis assez vite sur la question de la condamnation de la violence… Ce fut selon moi un moment raté, qui a contribué à cristalliser l’opinion publique contre les étudiants…
Je propose donc de suspendre la grève le temps de finir la session d’hiver. Et la loi 78 est beaucoup plus contraignante que les injonctions. Pour les injonctions, ce sont les Directions des Collèges qui devaient constater l’impossibilité de tenir des cours… Avec la loi 78, les Directions (et les profs!) sont obligées de dispenser les cours et la Ministre peut mettre en tutelle les Directions de Collèges qui refusent l’affrontement…
Dites-vous également que les manifs ne seront plus uniquement portées par les étudiants: le mouvement s’est élargi…
Enfin, je demeure sceptique sur ce que vous pouvez aller chercher de plus en poursuivant la grève. Cette grève historique a déjà eu ses effets: elle a débouché sur une crise sociale importante, qui remet en question le modèle néolibéral dominant; elle a forcé le gouvernement à faire des propositions qui sont des gains significatifs pour limiter les dégâts de cette hausse des frais inappropriée; elle a mise en lumière la mauvaise gestion des universités et des fonds publics en général; elle a contribué à l’émergence d’une génération politisée et inventive…
En poursuivant la grève, que pensez-vous gagner de plus face à ce gouvernement qui cherche la confrontation? Quel est votre objectif concret?
@Jean-Félix Chénier:
La grève doit se poursuivre pour forcer le gouvernement à négocier ou à déclancher les élections. Ce qu’il faut éviter c’est un sénario où le PLQ maintient la hausse et reporte les élections à 2013. Non seulement les étudiantes et les étudiants subiraient alors la hausse de plein fouet, mais en plus en 2013 le govuernement pourrait se mettre à son actif le fait qu’il a gagné le conflit étudiant, qu’il a imposé la hausse et cassé la résistance.
Je le répète, si les élections sont déclanchées, je ne crois pas qu’il soit dans l’intérêt du mouvement de poursuivre la grève pendant la campagne. Mais il ne faut pas laisser d’échapatoir au PLQ. Si jamais les sondages ne lui sont pas favorable au début août, Charest voudra reporter l’échéance. Pas question, dans un tel cas, de le laisser s’échapper sans négocier avec le mouvement étudiant. La grève devra se poursuivre.
Et en passant, même si la police est capable de briser les piquets de grève par la force, les gévistes ont bien d’autres moyens d’empêcher les cours de se donner, en perturbant les classes par exemple, en manifestant à l’intérieur des cégeps et des universités. Je ne crois tout simplement qu’il sera possible d’enseigner dans de telles conditions. La militarisation des campus ne permet pas de réunir les conditions nécessaires à l’enseignement. Les étudiantes et les étudiants ont déjà prouvé qu’ils étaient capable de faire respecter leurs votes de grève face à la répression.
Je suis d’accord avec vous: grève pour ne pas donner l’impression de céder, mais suspension de la grève si les élections sont déclenchées.
Il manque une composante aux scénarios ici évoqués, il me semble: la commission Charbonneau ne manquera pas d’affaiblir le gouvernement et de le faire dérailler.
@Gilbert Dion:
C’est possible en effet que la commission Charbonneau nuise suiffisament aux libéraux pour réduire de beaucoup leurs chances de succès aux élections. Le problème c’est que le PLQ contrôle l’agenda et peut très bien reporter le scrutin à 2013 s’il sent qu’il n’a pas une fenêtre favorable. Après avoir perdu Argenteuil, je suis certain que les stratèges du parti considèrent cette possibilité. Mais dans un tel scénario le gouvernement devra faire face à la reprise de la grève, avec le risque de perdre la face complètement si sa loi spéciale ne réussi pas à forcer le retour en classe.
IL est vrai que la commission Charbonneau est suspendue jusqu’au 17 septembre, ce qui peut offrir un répit profitable pour les libéraux…