Plusieurs intervenants forts articulés appuyant le mouvement de grève historique des étudiants semblent considérer mes positions précédentes sur la suspension de la grève le temps de l’élection comme une position de repli, un appel à la défaite ou pire encore, une sorte de mépris envers ceux et celles qui ont sorti le Québec de sa torpeur.
Je suis au contraire fort admiratif du mouvement étudiant tel qu’il s’est déployé, mais je cherche à faire en sorte que cette mobilisation historique ne débouche pas sur une sorte d’impasse ou pire, sur une note d’amertume débouchant sur un repli généralisé. Les étudiants ont déjà gagné plusieurs points relatifs à l’aide financière aux études, ils ont réussi à élargir le débat de façon à articuler, au-delà de la hausse des droits de scolarité, une critique de fond de l’administration des universités et décrier plus loin encore le modèle de développement capitaliste axé uniquement sur la croissance et générant sans cesse de plus grandes iniquités.
Lorsque je suggère de suspendre la grève le temps des élections, je suggère simultanément aux étudiants de faire la promesse du désordre si les libéraux de Jean Charest ou la CAQ de François Legault sont portés au pouvoir. Le but est de gagner sur le plus de fronts possibles plutôt que de se conforter dans la seule victoire morale, celle de la rue. Prendre la rue tout en chassant nos adversaires du pouvoir m’apparaît un meilleur scénario que de crier sans cesse notre indignation dans la rue sans que certaines de nos revendications soient reprises par le pouvoir en place.
De leur côté, les professeurs Marco Ancelovici et Francis Dupuis-Déri ont publié dans Le Devoir un papier qui suggérait presque de «prendre le risque de la défaite», car la démocratie ne s’incarne pas selon eux que dans les urnes. Bien sûr que la démocratie n’est pas qu’un vote, mais pourquoi ne pas chercher à battre ceux qui sont nos adversaires les plus directs plutôt que de se cantonner au seul front de la rue? Mon voisin blogueur Marc-André Cyr semble aller dans le même sens que ses collègues universitaires en critiquant tous ceux qui appellent à une forme de trêve dans la grève étudiante.
Si ma position se limitait à suggérer de rentrer en classe bêtement, je serais d’accord avec ces critiques, mais je rappelle que je suggère plutôt de suspendre la grève pour tout mettre en œuvre pour battre les libéraux et écarter les caquistes du pouvoir. Se limiter au seul front de la rue, poursuivre la grève et négliger le combat des urnes m’apparaît suicidaire, inconséquent ou imbécile.
À moins que les partisans de la grève sans égards à la conjoncture soient des gens qui préfèrent le pire ! Je ne veux pas présumer de leur position, mais il existe dans une certaine gauche (partout dans le monde) une frange qui préfère que le pouvoir politique soit occupé par les pires gouvernements de droite plutôt que des gouvernements de centre-gauche… Préférer le pire leur permet de justifier leur combat perpétuel contre le Grand Capital. Cela les conforte dans une position manichéenne du Bien contre le Mal, cela leur donne plus de clarté dans leur volonté de prendre la rue et de contester le système en place.
Je trouve dommage une telle posture. Pire, je la trouve méprisante pour ceux que ces gens sont censés défendre. En effet, il y a de réelles différences entre un gouvernement libéral et un gouvernement péquiste (ou en France entre Hollande et Sarkozy; aux USA entre Obama et Romney, etc.) pour plusieurs citoyens des classes moyennes inférieures et pour tous les moins nantis. La qualité de vie de ces gens est directement touchée s’ils sont gouvernés par un parti de droite ou un autre de centre-gauche. Préférer le pire conforte une petite élite intellectuelle et militante dans leur position de confrontation permanente, mais ne sert en rien une grande proportion de la population qui pourrait voir sa situation économique et sociale s’améliorer ou arrêter de se détériorer si on sacrait dehors le gouvernement libéral corrompu.
Alors, avant de choisir de poursuivre la grève coûte que coûte, peut-être devrait-on réfléchir aux meilleurs moyens de gagner sur tous les fronts. Et comme le front électoral est ouvert, il me semble que la priorité est de battre nos adversaires les plus directs: PLQ et CAQ.
Éviter le pire, puis poursuivre notre combat pour la plus grande accessibilité possible à l’éducation et la refondation de notre système économique et politique.
Sauf qu’il y a un «a priori» très discutable dans ton argument.
Tu sembles croire que la trêve de grève nuirait automatiquement aux libéraux, alors que c’est pas du tout évident. Il me semble au contraire que ça pourrait tout autant jouer en leur faveur en plus de démobiliser les troupes.
Une chose est certaine, il y a un schisme entre la «majorité obéissante» et la «minorité agissante». Et ça ne se réglera pas par une élection. Parce que les gouvernements sont formés par la majorité des voix et la majorité de la population ne comprend pas ce qui se passe..
Ce n’est pas parce qu’ils sont plus nombreux à se tromper que ça leur donne raison.
C’est important de voter, mais c’est loin d’être suffisant.
Chose certaine, les libéraux comptent sur la grève et le grabuge pour être réélus, alors pourquoi leur faire ce plaisir?
La politique du pire est la pire des politiques.
Préférer le pire ??? Vous supposez alors qu’il existe au Québec des partis de centre-gauche qui pourraient prendre le pouvoir et défaire les libéraux ou les caquistes ? Je crois qu’il faut redéfinir ici ce que vous attendez par parti de centre-gauche, car très certainement, il est possible que plusieurs gauchistes considèrent, et avec raison selon moi, le PQ comme plutôt de centre tout court pour ne pas dire de centre-droit par momentS.
Je ne suis pas certaine, mais j’ai l’impression que vous mettez en opposition la poursuite de la grève et aller voter. Est-ce le cas ? Si oui, pourquoi ?
À moins de considérer la présente élection comme un réréfendum sur la question des frais de scolarité ?
Relisez le texte toutes les réponses à vos questions s’y trouvent.
@ Ariane: Je dirais qu’il y a deux présupposés dans mon billet. Le 1er est une intuition que je ne peux prouver mais que j’ai ressenti et vu se renforcer après mon été «en région»… Charest risque de profiter largement du chaos généré par la poursuite de la grève. Mon 2e présupposé est que le PQ est réellement différent des libéraux. Bien sûr, Mme Marois a été très louvoyante, mais elle est clairement plus sensible à la pression que la gauche – mvmts sociaux, syndicats, etc. – peut exercer sur elle. Et avec les candidatures de JF Lisée et Daniel Breton, j’ai confiance que cette différence se creuse nettement!
Je suis en faveur dans mon billet de combattre et de gagner sur les Deux Fronts : le front de la lutte sociale, dans la rue. Et le front de l’élection: dans les urnes!
Ce printemps, le mouvement étudiant a été la formidable locomotive d’un mouvement social de contestation multigénérationnel beaucoup plus large et qui couvait depuis un bon moment déjà. Il a constitué un extraordinaire bain de politisation pour la jeunesse québécoise et de repolitisation pour les autres segments de la société civile du Québec.
Au delà de la stricte revendication concernant la hausse des frais de scolarité, dont il n’a pas réussi à produire l’annulation, le mouvement étudiant a cependant réussi, et de façon éloquente, à remettre à l’ordre du jour la question centrale d’une société démocratique: le bien commun. En se faisant l’agent de son expression en matière d’éducation, il a rejoint les autres mouvements sociaux qui s’étaient fait les vecteurs de sa défense et de sa promotion notamment en matière d’énergie et de ressources naturelles, de justice sociale, de culture et de langue.
Par son attitude, ses décisions et ses politiques, le gouvernement libéral de Jean Charest a non seulement contribué à aggraver et à approfondir une crise sociale majeure, mais il est apparu plus que jamais comme une entrave à la poursuite du bien commun.
La rue, c’est-à-dire nous les citoyens du Québec, avons signifié clairement à ce gouvernement à travers nos multiples manifestations, qu’il n’avait plus la légitimité pour diriger le Québec, qu’il ne traduisait plus la volonté populaire. Nous l’avons ébranlé.
La prochaine étape consiste à se débarrasser du gouvernement Charest devenu illégitime et indigne.
Et jusqu’à nouvel ordre, la manière appropriée de le faire dans une société libérale et partiellement démocratique, c’est par le vote aux élections générales.
Par la suite, bien sûr, nous poursuivrons la lutte pour le bien commun sur d’autres terrains. Chaque chose en son temps, et comme le disait si bien mon ancien réparateur de TV monsieur Beaudin: «une chose à fois!».
Mais pour l’heure, libérons-nous des libéraux!
Louis Caron
Kamouraska et Montréal