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François Legault, la belle vie, la croissance

Le chef de la CAQ François Legault a repris cette semaine la complainte de Lucien Bouchard sur le manque de productivité des Québécois. Selon lui, les jeunes québécois, contrairement à leurs compatriotes asiatiques, ne valorisent pas assez l’effort. Ils seraient trop enclins à profiter de «la belle vie»…

Bon, comment réagir à une telle déclaration? Bien sûr, il y a quelque chose de vrai dans le fait que la société québécoise ne valorise pas assez l’éducation et l’effort soutenu dans ce domaine. Notre histoire a trop longtemps porté une forme d’anti-intellectualisme et ceci a laissé des traces… Il est toujours de bon ton au Québec de décrier les intellectuels ou de présenter Le Devoir comme un journal incompréhensible (alors qu’il est selon moi le journal qui explique le mieux les enjeux en circulation dans notre société) ou l’enseignement de la philosophie au collégial comme une perte de temps.

Le débat sur la hausse des frais de scolarité a d’ailleurs été détourné de son vrai sens par le gouvernement libéral (et ses alliés de la CAQ) avec les slogans vides de la «juste part», du «50 cents par jour», du «droit à l’éducation» entendu comme un produit offert par des institutions d’enseignement… Pendant ce temps, les porte-parole étudiants discouraient intelligemment sur l’éducation comme fondement de la culture et de la citoyenneté et s’insurgeaient contre la conception marchande véhiculée par nos décideurs.

Il y a une dérive importante dans les propos de M. Legault. S’il voulait déplorer le fait que l’éducation n’est pas assez valorisée, il a manqué son coup. Il me semble que valoriser l’éducation devrait vouloir dire que celle-ci est accessible le plus possible à tous, sans égards à sa condition sociale… On serait alors favorable à ce que ce soit l’ensemble de la société, par ses impôts, qui finance un tel accès universel. Mais valoriser l’effort et l’éducation pour M. Legault, cela veut dire étudier dans certains domaines plutôt que d’autres, comme si des vocations étaient plus légitimes… Le chef de la CAQ a donc vite fait déraper son propos vers le fait que les étudiants ne valorisent pas assez le goût de «réussir dans la vie», sur le fait que le salut du Québec passerait par la formation d’un plus grand nombre d’ingénieurs, ainsi que sur l’amélioration de la productivité des travailleurs québécois… Belle conception de l’éducation! Celle-ci devrait servir uniquement à faire du Québec une société capable de compétitionner avec les autres pays dans cette grande course à la croissance de cette économie mondialisée.

Or, si on écoute un peu ce que les étudiants remettent en question depuis le début de ce printemps québécois, c’est justement le modèle de développement économique actuel qui est obnubilé par la seule croissance et la quête du profit qui bénéficie à une élite peu nombreuse en regard du 99% largement mis à l’écart par le capitalisme mondialisé. Ce modèle économique produit des crises à répétition. Ces crises entraînent des coupures dans les programmes sociaux et le renflouement des banques alors que celles-ci ont été complices de cette financiarisation débridée de notre économie et bénéficiaires de «plans de relance» axés sur des géants considérés comme «too big to fail»…

On comprend donc tout le fossé qui sépare le chef de la CAQ de la nouvelle génération. Les aspirations ne sont pas les mêmes. La compréhension de ce qui est nécessaire pour affronter les défis du futur est à l’opposé. Et dans ce débat, je préfère la position des jeunes, qui est loin de se résumer à cette supposée quête hédoniste de «la belle vie». En effet, la majorité des jeunes qui fréquentent les institutions d’enseignement supérieur (cégeps et universités) travaillent tout en étudiant. Ils apprennent assez vite à concilier ces deux exigences et la pression pour augmenter les heures travaillées s’accentue dans le contexte de cette hausse des frais de scolarité tant décriée. Avec tout ce que cela peut avoir comme effets néfastes sur la priorité accordée à l’éducation…

Et puis, ce que cette jeunesse qui nous a sorti de notre torpeur nous dit, c’est que pour affronter la crise écologique dont ils seront les premières victimes, il nous faut repenser notre système économique. Au premier chef, remettre en question ce mythe de la croissance comme seule solution pour sortir de la crise… En fait, notre conception de l’économie doit opérer un virage vers la création d’emplois plutôt que la seule création de la richesse. Et une façon rationnelle d’amorcer ce virage serait de «détaxer le travail» en déplaçant ce champs fiscal vers les ressources naturelles non-renouvelables.

Pour vous convaincre de ceci, je vous invite à visionner ce très court-métrage de Mélanie Busby et Érik Bouchard-Boulianne. Mélanie est biologiste et pilote d’hélicoptère. Erik est diplômé en droit et en économie. Ce qu’ils présentent dans cette synthèse de leur recherche qui les a mené dans un périple à travers le monde, c’est cette idée qui est implicite à la révision de notre modèle de développement économique exigée par nos jeunes qui sortent dans la rue chaque 22 du mois: la croissance continue menace la vie sur Terre et ne bénéficie pas à la grande majorité des citoyens.

On pourrait être tenté de récupérer le slogan populiste de la CAQ et dire: «C’est assez ! Faut que ça change!»