BloguesLe voisin

La résilience libérale: petitesse et mépris de soi

Je me suis passablement fourvoyé à propos de mes prédictions électorales: j’ai sans doute confondu mes souhaits pour la réalité… J’y reviens sous peu.

Reste qu’au-delà de l’attentat qui a assombri cette soirée électorale, ce triste événement a démontré toute la force de Pauline Marois lorsque celle-ci a calmé la salle et le maître de cérémonie Yves Desgagné. Bien sûr, celle-ci ne connaissait pas l’ampleur de l’événement qui venait de se passer lorsqu’elle est retournée sur scène pour calmer la foule et terminer son discours, mais elle savait sans aucun doute qu’une menace à sa personne avait eu lieu: on n’interrompt pas un discours de victoire électorale de cette façon s’il n’y a pas une menace sérieuse qui se pose… Mme Marois sort grandie par sa force tranquille et assurée.

Revenons donc aux résultats de cette élection. Depuis le temps où je vous dis qu’il faut se méfier des sondages, on peut maintenant dire que c’est le vote libéral qui est sous-estimé de façon importante par ceux-ci. La difficulté de mesurer les intentions du vote libéral réside dans le fait qu’une très grande proportion d’électeurs libéraux sont gênés de dire publiquement ou aux sondeurs leurs positions. Il est en effet gênant de dire qu’on vote pour un parti qui a institutionnalisé la corruption, le financement illégal, le favoritisme, le népotisme, le mépris de la jeunesse, la dilapidation des fonds publics au bénéfice des contributeurs du parti, le travestissement des orientations gouvernementales au profit des firmes d’ingénierie, le discours vide des slogans creux, et quoi encore?

Il y a quelque chose de profondément petit dans cette résilience du vote libéral, particulièrement hors du West-Island. Je peux bien concevoir que les anglos se sentent prisonniers du parti libéral, mais que les francophones de Trois-Rivières, de la Beauce, de Rivière-du-loup, de Laval, de Québec et d’ailleurs aient voté de façon aussi importante pour le PLQ de Jean Charest après presque 10 ans d’incurie et de détournement des fonds publics au profit des petits amis, je me dis qu’il y a un fort contingent de satisfaits du régime actuel.

À l’image d’un livre marquant écrit par le sociologue et historien Stéphane Kelly il y a plusieurs années, c’est comme si les électeurs libéraux avaient décidé de jouer à «la petite loterie», c’est-à-dire qu’ils ont considéré pouvoir eux aussi tirer profit de la gabegie de nos élites. Plutôt que de condamner la corruption, ceux-ci se sont dits qu’ils pourraient peut-être eux aussi, piger dans le pot à biscuit… Un bon tiers des Québécois préfèrent maintenir un régime qui entretient un système de trafic d’influence, pensant pouvoir en faire partie, plutôt que de lutter contre celui-ci et réinstaurer des pratiques plus transparentes et plus honnêtes. Il y a du mépris de soi là-dedans, un mépris du Québec et du contribuable dans ce réflexe. Il y a quelque chose qui relève d’un petit provincialisme bête, d’une ex-colonie gouvernée par des élites serviles. Nous ressemblons à un pays du tiers-monde qui se refuse à instaurer de saines pratiques de gestion. Il y a des relents de l’ère duplessiste dans cette résilience du Parti libéral.

Nous ne sommes pas complètement sortis de la grande noirceur. On s’ennuie de Georges-Émile Lapalme et de René Lévesque ! La dérive autoritaire et policière qui caractérisent la réponse du gouvernement Charest à la crise étudiante n’ont pas été suffisamment sanctionnées. La corruption et la gestion pour le moins odieuse des fonds publics et des orientations gouvernementales n’ont pas été clairement punies par l’électorat. La république des petits satisfaits perdure. Elle a 50 sièges sur 125.

Je me serais donc attendu à une plus grande poussée de la CAQ: que tous ceux qui ne veulent rien entendre d’un autre référendum ou qui se situent plus à droite de l’échiquier idéologique décident d’appuyer ce nouveau parti qui incarnait un tant soit peu la volonté de «faire le ménage». Ce vote m’apparaissait plus cohérent, plus sain et plus démocratique que ce qui est sorti des urnes hier soir.

Je soigne donc ma gueule de bois politique avec ces quelques réconforts: Jean Charest battu dans Sherbrooke; Léo Bureau-Blouin élu dans Laval-des-rapides; Françoise David élue dans Gouin. Ces trois élections ont valeurs de symboles. Le chef libéral devait porter le blâme de ses décisions odieuses et malveillantes. Le jeune leader étudiant devait être récompensé pour son parcours. La co-porte-parole de QS méritait son entrée à l’Assemblée nationale.

Ces trois résultats et certains autres sont des baumes que je ressens face à la résilience du Parti libéral.

Maintenant, faisons en sorte que notre résilience à nous soit plus forte. Restons mobilisés et vigilants pour que ce que nous avons semé lors de ce printemps québécois puisse s’étendre davantage et un jour pas si lointain, triompher du cynisme, de la satisfaction béate et servile de cette frange significative de notre population qui alimente notre petitesse et le mépris de nous-mêmes.