Je viens de terminer Les trésors de la mer rouge de Romain Gary. Vestige retrouvé d’un de mes écrivains préférés, ce court récit du passage de ce monument de la littérature entre Djibouti, la Somalie, le Yémen et «l’Arabie heureuse» est d’une beauté imprenable. Il transperce la sagesse du voyageur qui sait s’imprégner des lieux sans hauteur, sinon que celle des hommes et des femmes du pays.
Et ce qu’il y a de plus beau dans ce livre, c’est la description des déserts proposée par Gary. On y comprend à la fois tout le vide, l’hostilité des lieux, la chaleur étouffante du jour et le froid glacial de la nuit. On entrevoit du même souffle comment ces lieux mythiques et inhospitaliers sont pleins, nous rapprochant des Cieux, et où malgré la solitude, la chaleur des caravaniers vient contredire leur apparence hostile et distante.
J’ai visité plusieurs déserts dans ma vie. J’ai parcouru le Sinaï en Égypte, à dos de dromadaire, cet animal à la démarche insupportable, mais seul capable de supporter la démence de ces champs de sables et de roches qu’on dirait bombardés par des restants d’astres lointains. Romain Gary a cette belle image pour décrire les voyages à dos de chameaux: «l’impression de chevaucher un pommier que l’on secoue»…
J’ai aussi entrevu le désert de Judée, celui qui s’étend aux pieds de Massada entre Israël et la Jordanie. Puis j’ai traversé en Jeep avec deux Pakistanais le Neguev: ce désert entrecoupé de villages bédouins et de bases militaires israéliennes. En Turquie, j’ai parcouru à vélo les hauts-plateaux de la Cappadoce où j’ai été frappé d’une insolation qui m’a fait basculer dans une transe fiévreuse pour trouver refuge dans une grotte qui a autrefois servie de cachette religieuse à des chrétiens persécutés. Il y avait des fresques datant du Moyen-âge sur les murs. De quoi se sentir en filiation avec la grande histoire et se donner le courage de retourner à Gorëme, mon camp de base, pour me réhydrater.
J’ai aussi traversé en vieux bus scolaire le grand désert de sel d’Uyuni en Bolivie, jusqu’à San Pedro de Atacama au Chili, où les jeunes freaks en voyage viennent se saouler ou fumer de l’herbe sans réellement profiter de l’immensité du ciel. Plus récemment, j’ai sillonné en Westfalia la Death Valley californienne pour m’y balader dans ses anciennes mers de sel et y contempler son sol fracturé par la sécheresse permanente.
Tout ça pour dire que j’entretiens comme plusieurs, une véritable fascination pour les déserts. Ce sont des lieux où notre individualité se rapetisse. Ce sont des lieux où notre pensée s’agrandit. Difficiles d’accès et suffocants de chaleur, les déserts nous projettent dans des réflexions métaphysiques, surtout le soir lorsque la voûte étoilée nous écrase et nous élève à la fois.
Traverser les déserts, c’est se rapprocher de Saint-Exupéry, cet écrivain-aviateur qui a si bien décrit le vrai désert, celui où nous sommes seuls avec notre imaginaire et nos amis en pensées pour espérer pouvoir en sortir vivants.
Si je me mets à disserter quelque peu sur les déserts, c’est parce que je m’inquiète que notre époque fasse émerger deux tendances inquiétantes: l’avancée des déserts face aux terres arables combinée à l’aridité de la pensée – donc le recul de l’agriculture comme celui de la culture. Et pour ceux qui me suivent depuis maintenant un an sur Voir, c’est le point de départ de ce blogue.
Nous pouvons entrevoir cette désertification en cours dans le nord du Mali, qui est aujourd’hui envahi par des guerriers islamistes hostiles à la musique du désert et aux contes de la tradition orale qui ont de tous temps occupé ces lieux. Le blues du pied du désert d’Ali Farka Touré et celui de son fils prénommé Vieux doivent aujourd’hui s’écouter dans la clandestinité, alors que ce sont des musiques pleines d’humanité qui invoquent un Islam millénaire accueillant et chaleureux, comme celui décrit par Romain Gary…
Je nous souhaite donc que pour les années à venir, les déserts qui nous habitent s’éloignent de ceux que je viens d’évoquer: déserts de culture et d’agriculture.
Les déserts que j’espère sont ceux de l’hospitalité des gens malgré l’adversité des lieux; ceux qui invitent à s’isoler du brouhaha constant, à s’arrêter pour penser et ainsi mieux retourner à la civilisation, là où notre modeste contribution profite du recul forcé que nous imposent ces lieux habités par un vide rempli de silences et de lumières.
Et vous? Quelles sont vos pensées du désert?