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Grandeurs de l’Amérique pré-colombienne

Tête de poulpe en or, peuple Mochica (100-800 apr. J.-C.) Lima, Museo de la Nación.

Le Musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM) présente à partir du 2 février en exclusivité mondiale une exposition sur l’art péruvien, de l’ère précolombienne à la période contemporaine. Nous sommes tous fascinés par les grands mystères de la civilisation Inca (1450-1532). Il semble par contre que cette expo nous fera découvrir des pièces issues de d’autres peuples précurseurs aux Incas, comme les Mochicas (100 à 800 ap. J-C), derniers à pratiquer les rites sacrificiels… L’exposition du MBAM semble centrée sur l’art et la représentation des populations autochtones du pays.

J’ai sillonné plusieurs régions du Pérou et de la Bolivie où les descendants des peuples anciennement soumis à l’empire Inca – parlant le Quechua ou le Aymara – vivent aujourd’hui. J’ai toujours trouvé que ces peuples parlaient une langue, pratiquaient des rites, une musique et des coutumes proches de celles de nos Amérindiens du Nord. La grande différence entre ces peuples est que la culture des «Amérindiens du sud» est encore valorisée, elle n’est pas confinée au seul folklore, mais intégrée aux cultures nationales.

Alors que chez nous, les cultures amérindiennes subsistent tristement dans un folklore de pacotille, là-bas, elles sont encore au cœur d’une mythologie que l’on associe à la grandeur culturelle du pays. Sans doute parce que les autochtones là-bas n’ont pas été «parqués» dans des réserves… Sans doute aussi à cause du poids du nombre. Peut-être aussi leur condition est-elle moins misérable parce que leur culture était plus «établie» au sens littéral, soit qu’elle était le produit d’une sédentarité qui permet justement un savoir à accumuler et à transmettre, ainsi qu’une maîtrise de la nature…

Mais dans tous les cas, la pauvreté matérielle et la rupture culturelle que vivent aujourd’hui plusieurs populations autochtones d’Amérique du Nord et du Sud sont de véritables drames. Si c’est le temps de Idle no More chez nous, il y a plusieurs années que le «réveil autochtone» a sonné dans le Sud. Du Mexique à la Bolivie, les descendants des nations pré-colombiennes reprennent leurs droits ou poursuivent leur quête de dignité dans une quête de réparation de 500 ans d’oppression et de spoliation. Mais les autochtones du Nord comme ceux du Sud vivent tous une crise de la transmission. Ils ont subis une rupture trop brusque avec leurs traditions et modes de vie. C’est d’autant plus triste que ces peuples entretenaient un culte pour les anciens qui devrait au moins susciter une réflexion de notre part, dans un contexte où le Grand Débat que nous pourrions avoir sur l’euthanasie et l’aide médicale à mourir semble manquer de profondeur…

Grâce à l’exposition du MBAM, on pourra replonger dans ces artéfacts et ces tableaux plus contemporains qui communient avec les cultures anciennes de l’Amérique pré-colombienne. Cela stimulera peut-être notre réflexion sur les grands mystères de la vie et sur les dettes que nous avons ou non envers nos prédécesseurs… Le sens du sacrifice existe-t-il encore à notre époque en occident? Je ne demande pas à ce que l’on retourne aux pratiques violentes et barbares des sacrifices humains, mais à cette invocation récurrente d’une transcendance qui mérite respect et nécessite des rites nous reliant aux anciens.

Notre société contemporaine semble incapable de se relier au passé, jugé ringard et périmé, mais incapable aussi de penser le futur: trop aride et effrayant devant la perspective de la crise écologique. Nous ne vivons qu’au présent. Or, les populations autochtones d’aujourd’hui comme d’hier ont toujours eu besoin du passé pour envisager leur présent et leur avenir. Leurs revendications actuelles interpellent d’ailleurs ce lien fissuré mais nécessaire et résilient. Cette posture autochtone devrait nous servir de leçon.

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Je disais donc que j’ai effectué plusieurs randonnées dans les régions d’Arequipa et de Puno au Pérou, ainsi que dans les Andes boliviennes pour constater qu’il y a une forte rupture mémorielle au sein des populations autochtones de ces régions: j’y ai vu des enfants ne plus comprendre leur grand-mère, dû au fait que la petite école enseigne l’espagnol et que la langue locale est confinée au folklore. J’y ai vu des telenovelas espagnoles ou pire, la télé-série Dallas pénétrer le foyer familial sans électricité grâce à une télé ploguée sur une batterie de char… Bien sûr, un très grand nombre parmi ces populations portaient encore leurs tenues traditionnelles faites de broderies et coiffées d’un chapeau..  Leur mode de vie impliquant élevage et agriculture en terrasse perdurait… Mais on sentait qu’il craquait de toutes parts sous la pression conjuguée de ce que l’on associe à une américanisation des cultures, mais que l’on devrait plutôt identifier comme un processus d’homogénéisation culturelle…

En remontant la principale vallée nous menant aux sources des rivières qui irriguent ces terres, en effectuant au passage mes premières ascensions en haute altitude et mes premières marches sur glaciers, mon guide m’a montré des grottes du côté ombragé des falaises qui contiennent des momies! Plusieurs ossements, des crânes, mais aussi une momie entière, assise repliée bras autour de ses jambes. On pouvait encore deviner le cuir asséché de sa peau à certains endroits. Peut-être aussi des restants de cordes ou de tissu ou quelque chose qui emballait le corps ainsi fixé par le temps et le froid de la caverne… Je suis reparti chamboulé de ces lieux. Cette momie devait bien dater de l’ère pré-colombienne… J’ai documenté l’endroit et transmis l’information au Centre canadien d’études et de coopération internationale (CECI) pour lequel j’effectuais un stage. Reste que je me demande si depuis, ces lieux font encore partie du patrimoine local ou s’ils ont été pillés par quelques profiteurs inconscients?

Tout ça pour dire que j’ai parcouru un pays d’un angle que personne dans la région n’avait jamais vraiment parcouru. Mon guide, Grimaldo Florès, un ariero (du nom de celui qui marche «derrière» et qui est propriétaire de l’âne qui transporte notre matériel) connaîssait la vallée du bout de ses doigts, mais il n’avait jamais vu l’autre côté de la montagne, les autres vallées alimentées par ces glaciers sans fin qui servent également de sources aux principaux fleuves de l’Amazonie… J’ai d’ailleurs effectué là-bas plusieurs premières ascensions de montagnes obscures de près de 6000 m. avec mes partenaires de montagnes. Pas parce que ces montagnes sont difficiles sur le plan technique, mais parce qu’elles sont éloignées des zones touristiques et que les habitants du coin avaient d’autres choses à faire que de la haute montagne. Leurs circuits à eux se limitaient à une grande vallée d’où ils ne sortaient pas depuis des générations. Quand j’ai passé mes jumelles à Grimaldo Florès au sommet de la plus haute montagne du coin, il n’en revenait pas de voir à 360 degrés toutes les vallées qui outrepassaient la sienne…

D’ailleurs, la semaine suivante, j’arpentais une autre vallée qui me menait vers «une autre montagne», mais je me suis rendu compte au sommet que je venais de gravir la même que la semaine dernière, mais mon nouvel ariero la nommait différemment, simplement parce que la vallée à partir de laquelle il y accédait avait une autre forme, donc les gens de cette vallée avaient nommé les lieux différemment. Et ils croyaient même que le Mismi et le Wiracahua étaient des montagnes distinctes alors qu’elles constituaient un seul et même sommet vu de perspectives différentes…

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Les cultures amérindiennes du nord et du sud mériteraient à être revalorisées. Nous devrions de part et d’autres changer nos perspectives: bien que victimes de l’histoire, les populations amérindiennes peuvent devenir maîtres de leur avenir. Et puisque que nous sommes largement coupables d’actes de spoliation et de paternalisme politique, nous devrions au moins faire notre part pour redresser la situation économique et sociale catastrophique des communautés autochtones. Il y a un Tiers-monde chez nous, c’est celui des populations autochtones. Et pour y remédier, à moyen terme, ce sont les principales recommandations du rapport Erasmus-Dussault (Commission royale d’enquête sur les peuples autochtones) qu’il nous faudra appliquer: créer des gouvernements autochtones distincts ayant un pouvoir de taxation qui mettrait ainsi fin à l’extrême dépendance des communautés autochtones envers le Fédéral tout en développant un lien de responsabilité politique effectif pour les leaders autochtones envers leurs propres populations.

D’ici là, espérons que la grandeur passée des cultures autochtones puisse inspirer un renouveau politique et culturel porteur pour ces populations. Le contexte y est favorable. L’expression Idle no more semble intraduisible, mais disons simplement que l’immobilisme est l’envers de la solution…