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Réévaluer les alliances des États-Unis

John Forbes Kerry

Le Président des USA vient de nommer John Forbes Kerry au poste de Secrétaire d’État pour succéder à Hillary Clinton. John Kerry est l’ex-Sénateur du Massachusetts, candidat malheureux à la présidence en 2004 contre W. Bush.

C’est un homme au parcours exceptionnel: héros de guerre au Vietnam, il devient leader de la lutte anti-guerre à son retour aux USA, témoignant devant le Congrès avec une éloquence et une connaissance du terrain qui mettait à mal le discours guerrier et la fuite en avant de la classe politique de l’époque. Comme Sénateur, son parcours législatif est teinté de deux votes en apparence contradictoires: son refus à autoriser la Guerre du Golfe de 1991 et son autorisation à celle de l’Irak en 2003. Disons que la première guerre avait l’apparence d’une forme de légitimité car elle bénéficiait d’un appui très large de la Communauté internationale et elle avait pour but de mettre fin à l’invasion du Koweït par l’Irak. On cherche en vain les bonnes raisons morales et politiques d’entrer en guerre contre l’Irak en 2003… En campagne présidentielle en 2004, Kerry expliquait que la motion autorisant George W. Bush à utiliser la force militaire contre Saddam Hussein exigeait d’abord que l’on ait épuisé tous les moyens autres que la guerre… Kerry accusait donc W. Bush d’avoir menti au Congrès et abusé de la marge de manœuvre que lui avait octroyé le Congrès. Mais essayez de convaincre d’une position complexe et nuancée dans un clip de 15 secondes, ce qui est à peu près le temps que les médias permettent aux politiciens aujourd’hui pour s’expliquer…

John Forbes Kerry est donc un homme complexe. Nuancé. Cultivé. Fils de diplomate, il est peut-être le plus européen des législateurs de Washington. Que nous léguera cet émule de JFK dont il partage les initiales et l’État de provenance? Est-il déjà convenu qu’il ne changera rien aux fondements pourtant pourris de la politique étrangère des USA?

Voici en bref deux amitiés que les USA devraient réévaluer cette année:

La relation avec Israël doit être clarifiée. La politique expansionniste (ou expan-sioniste) du gouvernement actuel nuit aux intérêts stratégiques des USA dans le monde. Le glissement inquiétant de la politique israélienne vers une forme de fascisme juif (1) ne peut plus durer. Lorsque nos amis dérapent, il faut leur dire! Or, ce sont les USA qui garantissent la sécurité de l’État hébreu et seuls les USA fournissent l’appui diplomatique inconditionnel d’envergure à Israël (le Canada de Harper n’a pas d’envergure!), lui permettant ainsi de ne pas respecter le Droit international en émergence, les résolutions de l’ONU, voire le simple respect du Droit humanitaire codifié par la Croix rouge et les diverses Conventions internationales. Il est arrivé à quelques reprises que les USA en viennent à faire pression sur Israël pour qu’il accepte l’idée de négocier avec ses voisins. Après la guerre du Kippour en 1973, le choc pétrolier a forcé les USA à exercer une pression sur Israël pour qu’elle amorce au moins des négociations avec l’Égypte sur le Sinaï – ce qui fut conclu par les Accords de Camp David en 1978-79. En 1991, George Bush père a également fait pression sur Israël pour amorcer les négociations d’Oslo. Sous Bill Clinton, le gouvernement rigide de Benjamin Netanyahou a dû accepter la création d’un aéroport international à Gaza (détruit depuis…) et l’idée d’un lien territorial entre Gaza et la Cisjordanie (cette idée devra faire partie de tout accord futur pour assurer la viabilité du futur État palestinien).

La conjoncture de 2013 est favorable à ce que les USA exercent à nouveau cette pression sur Israël pour qu’il contribue à l’émergence d’un État palestinien dans la région. Les élections israéliennes ont démontré que la poussée de l’extrême-droite est terminée. Netanyahou réélu faiblement devra dorénavant composer une majorité avec des partis plus modérés et ouvertement favorables à une paix négociée, donc à des compromis historiques. L’environnement des régimes arabes est insécurisant pour Israël et la menace iranienne vient troubler le tout. Encore une fois, Israël aura besoin de tout l’appui des USA pour sécuriser sa position de plus en plus précaire sur le plan régional. C’est un atout que les Américains détiennent pour faire pression sur l’État hébreu: la colonisation doit être immédiatement gelée et des négociations sur le démantèlement de celles-ci doivent commencer.

Bien sûr, tout cela peut apparaître farfelu étant donné l’aplat-ventrisme quasi-continu de la politique étrangère des USA face à Israël. Mais de plus en plus de voix crédibles au sein de la Maison Blanche (celle du nouveau patron du Pentagone Chuck Hagel en fait partie), des services de renseignements, des thinks tanks gravitant autour des cercles du pouvoir à Washington militent pour qu’on serre la vis à Israël. Le temps de la complaisance est révolu. Il faut dire la vérité à nos amis, surtout lorsque leurs actions compromettent nos intérêts…

C’est la même situation qui devrait prévaloir à propos de la relation pour le moins trouble qu’entretiennent les USA avec l’Arabie saoudite. Ce pays n’est plus un allié des USA. Il compromet la stabilité du monde arabe par ses politiques agressives d’expansion culturelle. L’Islam wahhabite issu d’Arabie saoudite et véhiculé à grands coups de milliards de pétro-dollars partout dans le monde compromet la démocratie et l’égalité homme-femme, tout en répandant une culture du mépris pour l’occident et une fascination morbide pour la violence politique à l’égard de tous ceux qui ne pensent pas comme eux… L’alliance USA-Arabie qui date du pacte du Quincy en 1945 doit prendre fin. Cela permettrait aux USA d’opérer un virage énergétique qui profiterait à l’ensemble de l’humanité, tout en coupant le robinet à tous ces prêcheurs d’un Islam obscurantiste qui répandent leur fiel du Bangladesh jusqu’au Mali en passant par la modérée Tunisie…

John Kerry aura-t-il la marge de manœuvre nécessaire pour opérer cette réévaluation des alliances? Souhaitons-le, car il a l’envergure intellectuelle pour le faire. Et l’administration Obama a encore un capital politique élevé sur la scène internationale pour réussir ce virage. Mais il lui reste peu de temps pour laisser sa marque en politique étrangère…

LA question est: en auront-ils le courage et la volonté?

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1- Je ne suis généralement pas d’accord avec ceux qui accusent très souvent l’État hébreu d’être fasciste. Vous pouvez le constater ICI. Mais en lisant cet article cette semaine, et en constatant la montée des partis d’extrême-droite qui adoptent un discours sans gêne favorisant le transfert des Palestiniens vers les autres pays arabes, je constate qu’il y a des glissements forts inquiétants que même les amis d’Israël ne peuvent plus laisser passer. À ce stade, le silence est complice.