BloguesLe voisin

L’intelligence du territoire

Ma blonde (la voisine) est allée à une consultation publique sur le réaménagement du Parc Morgan dans Hochelaga-Maisonneuve cette semaine. Sa réaction au projet de réaménagement m’a impressionnée: elle insistait sur le fait que le territoire nous parle et qu’il faudrait, avant de dessiner de beaux plans informatisés qui esthétisent les lieux, marcher l’endroit et voir ce que le relief nous dit.

Voici ce qu’elle a porté comme discours:

«Selon ce qui est projeté, notre parc sera surveillé, animé et sécuritaire. Un oasis où il fera bon vivre, pensé pour de belles journées… d’été. Il est en effet dommage que l’on n’ait pas pensé à l’hiver. Pourquoi pas de patinoire? Et les espaces de glisses? Ont-ils seulement été remarqués par ces designers informatiques? Sur les plans, l’espace naturel de glissade semble obstrué par un muret ou une clôture délimitant l’aire de jeux des tout petits. Pourquoi ne pas avoir pris en compte le relief naturel du terrain qui nous donnait juste envie de s’y jeter avec une crazy carpet et qui comptait déjà des adeptes!  Nous manquons une belle occasion de créer un espace fréquentable en toutes saisons».

La critique formulée par ma blonde est fondamentale. Nous sommes en quelques sorte étrangers à notre territoire, comme si nous ne l’habitions pas vraiment. Depuis plus de 60 ans, le Québec a calqué le modèle états-unien du tout à l’automobile. Nous nous obstinons à repousser l’hiver par un usage abusif des abrasifs et un déneigement maladif alimenté par un chiâlage permanent sur la météo.

Or, la recherche d’une plus grande adéquation entre notre milieu et notre développement devrait selon moi se retrouver partout où on sévit en matière d’occupation du territoire. Mais c’est souvent l’inverse qui guide nos décisions. Le développement actuel du Québec est imprégné de cet illogisme qui nous met en décalage par rapport à ce que nous suggère notre territoire et notre climat. Ce qui fait que nous nous obstinons à ne pas nous rappeler («Je me souviens» est pourtant notre devise) que l’autoneige a été inventée ici… Nous aurions pu développer ce mode de transport à grande échelle et ainsi nous approprier l’hiver plutôt que de chercher à l’abolir comme le disait ironiquement l’anthropologue Bernard Arcand. Il est probablement trop tard pour l’autoneige (les changements climatiques vont peut-être diminuer l’utilité de tels véhicules… quoique…). Mais nous oublions également qu’il y a déjà eu au Québec une marine marchande qui sillonnait le fleuve, avec des goellettes à fonds plats qui pouvaient s’accoster à presque tous les quais et plages des villages. Est-il si farfelu d’envisager leur retour? Ceci stimulerait toute une industrie proprement québécoise en plus de favoriser une occupation dynamique du territoire: celle qui renforce les communautés et les rendent véritablement propriétaires des lieux, puisqu’elles se les approprient réellement. Le fleuve redeviendrait ainsi une voie centrale de notre vie collective.

L’idée générale est de mieux prendre en compte la réalité qui est la nôtre: le Québec est un pays nordique au vaste territoire. Ce territoire sera de plus en plus accessible dans les prochaines années. Sous les libéraux de Jean Charest, on s’apprêtait à le vendre aux compagnies minières et aux firmes d’ingénierie contributrices du parti. Je ne veux pas trop psychanalyser sur la condition du Québécois moderne, mais je dirais que depuis la révolution tranquille, notre imagerie du territoire est celle de l’arnachement de nos rivières réalisé pour faire du Québec la puissance énergétique qu’il est. L’effet pervers de cela est que nous considérons encore que la modernité passe par le béton… Reste que cette grande réalisation du Québec moderne – la nationalisation de l’électricité et son corrolaire non complété, soit la nationalisation de nos ressources énergétiques – est aujourd’hui vampirisée par des capitaux privés et il n’est pas encore clair que l’actuel gouvernement freinera cette dépossession de nos richesses. Sous le PQ actuel, on a en effet l’impression que les principes forts qu’incarnaient Daniel Breton et Martine Ouellet sont sur le point de tanguer par le poids de l’appât du gain…

Ce qu’évoquait la voisine à partir du plan de modification du parc Morgan, que je qualifierais de rupture avec notre territoire, se reproduit dans le dossier du développement du Nord. Il n’y a pas de véritable Plan Nord au Québec. Il y a un Clan Nord, qui cherche à se partager nos richesses sans que nous puissions véritablement, fondamentalement, essentiellement, être les véritables habitants du pays: ceux qui possèdent, décident, construisent et s’adaptent au territoire habité. Ceux qui écoutent et comprennent ce que nous dit notre bout de terre à nous.